Départ de la France du Niger: l’art de maquiller une piteuse retraite en décision musclée
«Qu’est-ce que?» «Pourquoi?» «Qui?» «Comment» «Quand» Tels sont, selon les spécialistes des relations internationales, les cinq modes d’interrogation fondamentaux pour quiconque cherche à comprendre le monde. Ceux qui utilisent ces modes, disent-ils encore, abordent par-là même, la formulation des questions délicates, portant sur des aspects de la diplomatie que les acteurs ne veulent pas forcément dévoiler. Il en est ainsi du retrait («d’ici la fin de l’année») de la France du Niger. Annoncé par Emmanuel Macron au soir du 24 septembre dernier, ce départ marque un terme à la présence militaire française dans tout le Sahel. Pour bon nombre de commentateurs, le ton le plus résolu de Paris n’a pas suffi à maquiller une piteuse retraite en décision musclée. La France, analysent-ils, a simplement reconnu qu’elle se trouvait dans une impasse au Niger et partout où elle est militairement présente en Afrique.
Avec toutes les précautions utiles et des observations nouvelles faites sur la base d’un bricolage plus ou moins inspiré, Paris se pose des questions pour comprendre ce qui lui arrive. Quelques éléments de réponses nous font voir utilement une phase qui arrive tard: la phase de remise en question… D’abord les opérations françaises dans la région, Serval puis Barkhane, n’ont pas empêché le terrorisme de prospérer. Les groupes djihadistes contrôlent encore de vastes territoires au Sahel et multiplient les attaques, en particulier au Mali et au Burkina Faso.
Ensuite, l’approche française a été trop militaire. Dans la doctrine des trois «D», Diplomatie, Défense, Développement, l’accent a été mis sur la Défense. Mais 5000 hommes, c’est un effectif limité pour un immense territoire comme le Sahel. Et quand l’armée française a été montrée du doigt, par exemple lors de la frappe qui a fait 22 morts en 2021 à Bounti au Mali, elle a nié toute responsabilité et rejeté les enquêtes indépendantes.
Et dans le même temps, les actions de développement, mal ciblées, ont donné peu de résultats. La diplomatie française a aussi commis des maladresses. Depuis dix ans, la France donne l’impression de choisir ses régimes. Elle s’était accommodée du premier putsch au Mali en 2020 et surtout elle a soutenu l’année suivante la prise de pouvoir au Tchad du fils Deby en dehors du tout cadre constitutionnel.
Ces incohérences ont discrédité Paris et alimenté le sentiment antifrançais. Emmanuel Macron avait assuré que «la Françafrique est morte», mais les exemples de paternalisme n’ont pas manqué, comme en 2019 quand le président français semble convoquer à Pau ses homologues des pays du Sahel après la mort de treize soldats de Barkhane.
Dans une interview accordée à atlantico.fr le 27 septembre 2023, François Gaulme (chercheur associé au Centre Afrique subsaharienne de l’Institut français des relations internationales) pense que «les Français ont gardé ces liens très forts, institutionnels, dans certains pays africains. Il y avait une garantie monétaire pour certains pays africains apportée par la Banque de France. Il y a maintenant des jeunes qui se révoltent contre ça. La première révolte s’est déroulée dans les années 60-70. Ça revient à nouveau parce qu’il y a une démographie galopante en Afrique et que la jeunesse est anticolonialiste comme elle l’était y a 50 ans. C’est une deuxième vague à laquelle on ne s’attendait pas 50 ans après».
Jean-René Meva’a Amougou