Mbalmayo: Au marché noir des armes à feu

Malgré la mesure ministérielle interdisant les ventes d’armes et munitions de chasse, la filière affiche une bonne santé dans la ville et ses environs.

Son pseudo est bien connu ici à Mbalmayo. Pourtant, il a fallu près de quatre heures pour voir «Bob Denard». Depuis quelques jours, apprend-on, la petite silhouette de cet homme se raréfie à Mbok-Kulu, un quartier enfoui dans l’extrême-sud du chef-lieu du département du Nyong-et-So’o (région du Centre). Ici, quelqu’un avise qu’échanger avec ce sexagénaire n’est pas une sinécure.

Au motif qu’il a déjà purgé trois peines à la prison de la ville, Bob se méfie des inconnus. Vis-à-vis d’eux, il nourrit un préjugé tenace. «C’est toujours eux qui m’ont livré aux autorités…», obtient-on de ce personnage. En tout, c’est une âme fiévreuse, heureusement traversée ce 10 avril 2018 par un brin de sérénité. Malgré cela, il reste constant dans sa ligne de vie: parler peu, très peu, à un inconnu.

Au final, Bob qui, ici à Mbalmayo et dans les contrées voisines, tient le rôle de magnat de la vente d’armes et accessoires de chasse, a le langage tout imprégné de prudence et de méfiance. Les questions, il les effleure simplement. Sa répugnance à s’étendre sur le format de ses activités depuis l’entrée en vigueur de la mesure ministérielle instruisant la fermeture des armureries se lit au bout de chacune de ses réponses. Furtivement, il lâche: «cette mesure du ministre… C’est comme vous voyez-là».

«Back back»

Que voit-on ? Des gens qui déambulent. Une colonne de cinq armureries juxtaposées. Trois d’entre elles appartiennent à Bob. Elles sont toutes fermées. Détendue, l’ambiance donne à voir plusieurs acteurs qui se mettent en scène. D’abord quelques conducteurs de moto-taxi qui, de temps à autre, s’arrêtent et repartent, non sans avoir causé avec Bob, en aparté. Ensuite, il y a une demi-dizaine de femmes.

Elles travaillent pour Bob. A l’aide d’un code, elles apostrophent les clients venus s’approvisionner en munitions. Débarquant un à un, ceux-ci font figure de derniers acteurs. «Avant, le marché était florissant. Maintenant, nous ne vendons pas, tout est fermé comme vous le voyez», affirme pourtant un connaisseur.

Captée par un ivrogne affalé à la véranda d’une armurerie, la seconde partie de ce propos est vite démentie. «Faux!», tonne le soulard, suffoquant d’apporter aussitôt une précision: «vous vendez dans le back back !» Si la trivialité de cette phrase est avérée, elle a néanmoins le mérite de tout dire en une seule fois. Et de fait, la préciosité des détails qu’elle insinue ouvre un vaste panorama.

Discrétion

Aujourd’hui, parler formellement de Mbok-Kulu comme haut-lieu de vente et d’achat d’armes et de munitions de chasse est presqu’insensé. Personne n’a laissé de trace, ce d’autant plus qu’à la préfecture du Nyong-et-So’o, l’on dit n’avoir aucune ligne des autorisations d’ouverture pour trois armureries sur cinq.

Les démêlés avec le fisc, eux, se chiffrent à la pelle. Un nouveau décor s’est même imposé avec empressement quand des éléments de la compagnie de gendarmerie de Mbalmayo sont arrivés ici. C’était hier, précise-t-on. Ceux qui décrivent le business aujourd’hui le font avec une fâcheuse tendance à enjoliver le passé et noircir le présent.

«Le marché de quoi… depuis que la mesure a été rendue publique. Avant, c’était le marché; maintenant, vous voyez quoi là ?», s’interroge Bob, entre deux cigarettes. Comme lui, clients et vendeurs feignent d’avoir rompu avec leurs activités en mettant en avant leur volonté de se conformer à la mesure ministérielle. Reste que dans le fond, leur premier principe opérationnel est désormais l’assurance de la confidentialité du client.

Affirmée avec force ici, elle oblige les uns et les autres à se préoccuper de la provenance des acheteurs de munitions ou d’autres gadgets de chasse. A l’observation, des rapports directs sont établis entre eux. Selon un jeune moto-taximan, acheteurs et vendeurs de munitions de chasse ont pris langue dès lors que la mesure a été rendue publique.

A ce jour, l’heure est à la rationalisation et à l’institutionnalisation de cette «nouvelle amitié». Les indices d’une telle mutation existent d’ores et déjà, comme en témoigne ce vendeur. «Du fait du nouveau visage de l’activité de vente d’armes et de munitions ici à Mbok-Kulu, dit-il, nous devons entretenir avec nos clients des rapports non pas formels, mais des rapports d’intérêts».

Marketing direct

La mesure des pouvoirs publics pèse-t-elle sur le business d’ici? «Pas tant que cela», répond un connaisseur de ce milieu. Aux effets directs (hausse des prix des cartouches du fait d’une prétendue pénurie) s’ajoutent aussi des effets indirects: concurrence accrue entre vendeurs.

«En cette période de grande chasse dans plusieurs localités du Sud et du Centre, les chasseurs sont nombreux. Il faut aller les trouver en brousse», souffle quelqu’un. La situation a donc fait le lit d’une autre stratégie: le déploiement dans les villages environnants. Tous ou presque ont les moyens de s’y rendre et contourner, à leur manière, la mesure ministérielle.

Dans cette nouvelle approche, ceux qui ne se gênent plus et se frottent plutôt les mains sont les prospecteurs. Ils écument les villes et villages éloignés, parfois jusque dans la région de l’Est. D’ailleurs un proche de Bob Denard dit plancher actuellement sur une check-list de chasseurs avec lesquels il pourrait désormais «collaborer».

Pour se justifier, certains allèguent que leur activité est spéciale et donc plus difficile à réorienter. «Que faire des stocks de munitions? Si c’étaient des arachides, on les aurait mises en terre. Mais là, on est obligé de vendre dans le noir», dit une dame. Tenancière d’une armurerie ici, elle plaide pour une «autorisation spéciale» pour rouvrir sous une forme plus adaptée au contexte décrié par les pouvoirs publics.

 

Jean-René Meva’a Amougou,

envoyé spécial en Mbalmayo

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