Allaitement maternel : Suçon interdit aux papas
Au Cameroun, la pratique de l’allaitement maternel est entourée d’un certain nombre de procédés traditionnels visant à conserver la qualité du lait. Pas utile, déplore les professionnels de la santé.
L’allaitement maternel exclusif avant six mois est le meilleur moyen de garantir la santé et la survie du nouveau-né. Au Cameroun, les notions sur cette pratique fort-recommandée sont transmises dans le cadre de cercles familiaux, de mère-à-fille, entre sœurs ou de belles-mères à bru. Au cœur souvent de l’apprentissage, l’ensemble des comportements et précautions à prendre pour éviter que le lait maternel «se gâte».
«Je ne dois pas sucer la canne à sucre, l’ananas, par exemple pour éviter que mon enfant ne fasse la diarrhée. Je ne mange pas non plus le plantain mûr et l’Ikok, il parait que ça favorise la maladie rouge chez le bébé», énonce dans un récit sans anicroches Solange Amougou, mère d’une fillette de deux mois.
Comme elles, nombreuses femmes camerounaises ont bien appris par cœur ces leçons maternelles qui doivent renforcer l’efficacité du lait et permettre de fournir une protection plus accrue au nourrisson. Au grand dam des personnels de santé qui n’y voient pas toujours l’utilité et crie aux préjugés. «Je suis allée en mariage à l’Est. J’ai trouvé là-bas que dès que la femme accouche, on doit lui faire des décoctions avec des écorces pour laver le sein. Parce que parait-il le premier lait n’est pas bon pour l’enfant. Moi je ne connaissais pas ça mais quand tu es chez la belle-mère, tu te plies seulement.
J’ai bu ça comme ça pendant une semaine», se souvient Jacqueline Viang. Le but de cette manœuvre est d’éviter des maux de ventre au bébé, des diarrhées et d’autres problèmes liés à l’alimentation. Pour le corps médical, il n’y a aucun risque à craindre: «Le premier lait est meilleur pour l’enfant et c’est le plus nutritif. Dans le ventre, l’enfant est nourri au cordon ombilical or à la sortie, le tube digestif commence à se mettre en place et c’est ce lait qui facilite le processus. Ces écorces représentent plutôt un problème pour l’enfant qui n’a pas encore un système fort pour les assimiler», explique Pauline Manga, Sage-femme au centre médical Virginia de Nkolmesseng.
Suçon interdit aux papas
Il ne faut en aucun cas ouvrir l’accès aux seins aux papas pendant les moments intimes; et même qu’il faut réduire les rapports sexuels au maximum avant les premiers pas de bébé.
Le conseil est très répandu dans les milieux féminins et chacune y prête une observance religieuse de peur de pervertir son lait ou de créer quelques retards de croissance et de mobilité à son nourrisson. Pour y arriver, l’on a tendance à s’exiler chez les parents ou le papa se voit souvent expulsé de la chambre conjugale. Cette pensée n’est pas rejetée par les médecins, à quelques exceptions prêtes. «Il n’y a rien sur le plan scientifique qui peut gâter le lait de la maman.
La croyance selon laquelle le papa gâte le lait de bébé n’est pas fondée. Très souvent on se base sur des arguments hygiéniques mais il faut savoir qu’au-delà de tout, la salive de bébé produit des enzymes qui permettent de le protéger des petites infections. A cela s’ajoute les anticorps que le lait de la maman apporte au bébé qui agissent pleinement. Maintenant, le papa peut avoir des gingivites et il saigne par exemple. Il peut par exemple transmettre le Sida à bébé mais si son statut sérologique est clair, il n’y a pas de problèmes», explique Manga Pauline, sage-femme.
Elle note cependant, qu’il est important d’éviter une nouvelle grossesse. «Le problème avec les rapports sexuels pendant l’accouchement, c’est la grossesse. Parce qu’une fois que la femme allaitante tombe de nouveau enceinte, son corps se reconstitue pour accueillir le nouveau bébé et la maman se trouve en dif iculté parce qu’il faut désormais qu’elle nourrisse trois personnes : elle-même, le bébé dans le ventre et celui qu’elle a dans les bras. Or, regardez que beaucoup de femmes allaitantes ont des dif icultés à se nourrir comme il faut, comment faire dans ce cas ? On est souvent obligé de demander à la maman de sevrer le bébé dans les bras pourtant après six mois l’allaitement doit continuer même si l’enfant mange».
Le mauvais lait colle à la bouche «Chez nous les Bétis on dit que quand le lait de la mère devient liquide, un peu transparent et colle sur les lèvres de l’enfant. Tu regardes partout dans la bouche le lait a collé, sur la langue, les gencives, ça forme une couche blanche, c’est que le lait n’est plus bon. La maman a consommé beaucoup de sucreries maintenant, il faut qu’elle prenne des remèdes», indique Jolie E, jeune maman. Une panoplie d’éléments naturels est mise à contribution au choix pour résorber le problème et permettre au bébé de s’alimenter convenablement.
Tous doivent être amers pour jouer convenablement leur rôle. «Ca empêche l’enfant de se rassasier, il ne peut pas prendre du poids et il aura tout le temps mal au ventre. On va donc faire bouillir les feuilles de papayer, ou le kinkeliba. Tu peux même donner à la maman l’Ekuk elle boit. Ça arrange le lait», explique Mme Onana, guérisseuse traditionnelle. A cette théorie, Manga Pauline oppose les problèmes des carences alimentaires chez la maman «qui seules peuvent affecter le lait maternel» et quelques fois une survenue de mycose chez le nourrisson. La solution «pratiquer l’hygiène de la bouche au bébé en la nettoyant avec une compresse et de l’eau minérale».
Des croyances finalement pas universelles Les préjugés qui entourent la pratique de l’allaitement maternel au Cameroun et les contraintes qu’elle induit sur les mamans ne sont pas communes à tous les groupes ethniques du pays. Dans certaines tribus, l’on ignore leur existence. Les seules règles appliquées sont surtout relatives à l’hygiène du bébé et aux soins de la maman. «Chez nous les Bamilékés on ne connait pas que le lait se gâte. Parfois, il peut arriver qu’une femme ne produise pas de lait là, on lui fait certains breuvages pour arranger le problème. Mais en dehors de ça moi je n’ai rien connu d’autre», explique Rosine Kamdem, quinquagénaire. Face à cette situation, les femmes Bassas ont leur secret de grand-mères: renforcer l’alimentation de la maman en légumes verts sans sel, et lui fournir suffisamment de bouillons.
André Gromyko Balla