La crise humanitaire aux portes de la sous-région
Le nombre de victimes, de réfugiés et de déplacés déjà exprimé en millions de personnes ne cesse d’augmenter au gré de la multiplication des foyers de tension et de la survenue des catastrophes. Les gouvernements sont sous pression et l’Onu craint un désastre.

«La persistance des violences armées, y compris des mouvements internes et transfrontières de groupes armés, dans diverses parties de l’Afrique centrale, constitue une menace sérieuse pour la stabilité de l’ensemble de la sous-région, qui peut être lourde de conséquences dans une situation humanitaire déjà précaire, détériorée par les répercussions de la Covid-19». Ce regard du secrétaire général de l’Onu est neuf. En rendant compte de la situation en Afrique centrale telle qu’il l’a perçue entre décembre 2020 et mai 2021, Antonio Guterres donne aussi des indices sur une réalité humanitaire alarmante qui touchent des millions de citoyens communautaires. De tous les pays de la sous-région concernés cependant, trois d’entre eux semblent se détacher du lot et particulièrement inquiéter les Nations unies. Il s’agit d’une part du Cameroun et du Tchad, en raison de leur position et de leur rôle dans le Bassin du Lac Tchad et le Golfe de Guinée, et d’autre part, de la République Centrafricaine (RCA).
Cameroun et RCA
L’exploitation du 20e rapport du secrétaire général des Nations unies sur la situation en Afrique centrale et sur les activités du Brenuac permet de constater que le Cameroun, le Tchad et la RCA totalisent dans la sous-région le plus grand nombre de réfugiés et de déplacés. Les deux premiers étant à la fois des pourvoyeurs et des terres d’accueil.
Pour le cas du Cameroun, l’Onu a notamment observé que «les crises dans les régions de l’Extrême-Nord, du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ont fait plus d’un million de déplacés et 466 000 rapatriés. Pour 2021, 362 millions de dollars sont requis au titre du plan d’action humanitaire qui, à la mi-mai, avait été financé à 18%». Grâce à l’organisation internationale, on sait également que «4,4 millions de personnes auront besoin d’une aide humanitaire au Cameroun. Et que les partenaires humanitaires ont prévu de cibler 3 millions de personnes parmi les plus vulnérables».
Cela dit, plusieurs autres données datant du 30 avril 2021 permettent aussi d’avoir une idée plus précise de la forte pression humanitaire qui s’exerce sur le gouvernement camerounais. À cette date, en effet, «le Cameroun accueillait près de 447 000 personnes réfugiées ou en quête d’asile, dont près de 322 000 réfugiés venus de la RCA et près de 117 000 venus du Nigéria… Plus de 6 500 nouveaux réfugiés centrafricains étaient arrivés au Cameroun au 30 avril», à en croire le HCR.
Tchad et Congo
La situation humanitaire au Tchad soulève aussi des inquiétudes. «Au 14 avril, quelque 4 754 nouveaux réfugiés arrivés du Soudan avaient été signalés dans l’est du Tchad, à la suite d’attaques menées par des milices armées dans le Darfour occidental». Désormais, «il faudrait mobiliser 617,5 millions de dollars, destinés à 4 millions de personnes sur les 5,5 millions qui ont besoin d’une aide humanitaire d’urgence, aux fins du plan d’action humanitaire révisé pour 2021».
S’agissant enfin du Congo Brazzaville, le rapport de l’Onu laisse entendre qu’«au 30 avril, il avait été procédé à 8500 nouveaux enregistrements de réfugiés, dont 2700 enregistrements biométriques. Le Congo comptait alors environ 361 000 réfugiés, demandeurs d’asile, déplacés internes et autres personnes relevant de la compétence du HCR».
Droits de l’Homme
Le Brenuac a relevé, pour le déplorer, plusieurs situations de violations des droits de l’Homme dans la sous-région. Ainsi en est-il «des groupes armés non étatiques, dans les régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest du Cameroun, qui ont continué d’attaquer les forces gouvernementales et les civils, se rendant coupables de meurtres, d’actes de torture et de mauvais traitements à l’encontre de civils, d’enlèvements contre rançon, d’imposition de blocus et d’utilisation d’engins explosifs improvisés». Mais à l’encontre du gouvernement, l’Onu retient également «au moins 10 personnes, le 10 janvier, dont des femmes et des enfants qui auraient été tuées à Mautu, dans la région du Sud-Ouest; et quatre adolescents, le 23 janvier, lors d’un raid à Bamenda, dans la région du Nord-Ouest. Le gouvernement a affirmé que ces personnes étaient membres de groupes armés non étatiques».
En Angola, l’institution internationale a noté que «le 30 janvier, une manifestation organisée par le Mouvement du protectorat des Lunda-Chokwe a été violemment dispersée par la police à Cafunfo. Les faits se sont soldés par au moins six morts et plusieurs blessés. Les autorités ont ouvert une enquête». Au Tchad, «l’enquête sur la mort survenue en détention de 44 des 58 membres présumés de Boko Haram en mars 2020 n’est pas terminée. Les 14 survivants sont toujours détenus dans la prison de haute sécurité de Koro Toro, dans l’attente de leur procès».
Au Congo, «le 3 mai, le rédacteur-en-chef du journal Sel-Piment, arrêté le 5 février pour diffamation présumée visant un haut responsable du gouvernement, a été condamné à six mois de prison». Tandis qu’au Gabon, «deux contrevenants au couvre-feu ont été abattus le 18 février lors de violentes manifestations organisées pour contester les restrictions imposées au titre de la Covid-19 dans certains quartiers de Libreville», rapporte enfin le Bureau régional de l’Onu en Afrique centrale.
La veille humanitaire du Brenuac
Bons offices, médiation et diplomatie préventive ont caractérisé l’activité du Bureau régional des Nations unies pour l’Afrique centrale (Brenuac/Unoca) entre décembre 2020 et mai 2021. En puisant dans cette palette de moyens diplomatiques, l’intention des responsables onusiens était aussi de contribuer à décanter une situation humanitaire demeurée préoccupante. Au Cameroun par exemple, «des conditions humanitaires très complexes persistent du fait de l’insécurité généralisée, des épidémies et des inondations. En 2021, 4,4 millions de personnes auront besoin d’une aide humanitaire», à en croire Antonio Guterres, secrétaire général de l’Onu.
L’observation est consignée dans le 20e rapport sur la situation en Afrique centrale et sur les activités du Brenuac présenté au Conseil de sécurité le 1er juin dernier par son représentant spécial, François Louncény Fall.
Parmi les facteurs ayant, en effet, contribué à faire le lit de cette inhumanité, figurent les changements climatiques, écologiques et autres catastrophes naturelles, mais surtout les crises politiques et sécuritaires dans la sous-région, dans le Bassin du Lac Tchad et dans le Golfe de Guinée. Antonio Guterres relève par ailleurs que l’on est en présence d’«une situation humanitaire déjà précaire, détériorée par les répercussions de la Covid-19».
Ainsi, dans les pays de la Cemac, mais aussi en Angola, au Rwanda et au Burundi, un front humanitaire a été ouvert. Avec l’aide des partenaires et des États concernés, des missions de travail conjoint ont été déployées et des consultations d’experts ont été engagées, notamment en matière de poursuites, de réadaptation et de réintégration des personnes associées à Boko Haram. Et pour rétablir la sécurité climatique, «le Brenuac a achevé la première phase d’un projet de deux ans en cours d’exécution depuis octobre 2020. Cela a permis de recenser les principaux liens entre les effets des changements climatiques et les problèmes tels que les conflits fonciers, l’insécurité liée au pastoralisme, l’insécurité maritime, l’urbanisation sauvage et la montée des groupes armés non étatiques». Le présent zoom se borne alors simplement à rendre compte de l’étendue du sinistre dans la sous-région.
Théodore Ayissi Ayissi
La situation humanitaire de la sous-région en chiffres