PANORAMAPORTRAIT DÉCOUVERTE

Yaoundé: De la viande de bœuf empoisonnée sur le marché

A Mvog-Mbi, des commerçants sans scrupule utilisent du formol (formaldéhyde) pour conserver des abats destinés à la consommation courante. Enquête.

Comptoirs de viande formolisée sur des brouettes au marché Mvog-Mbi.

Valma et Rock, deux mâtins sont morts le 12 mai dernier au quartier Kondengui, dans le quatrième arrondissement de Yaoundé. «Le premier a rendu le dernier soupir vers 19 heures. Le second a pris le relais trois quarts d’heure plus tard. Avant de rendre l’âme l’un et l’autre, j’ai constaté qu’ils éprouvaient des difficultés respiratoires juste après leur repas. Celui-ci était fait de viande de bœuf», relate Adrien Ba’ala Ondja, leur propriétaire.

Sa douleur est d’autant plus vive que, sur sa commande, les résultats des autopsies réalisées sur les deux  chiens par un  cabinet vétérinaire très réputé, sis à Bastos (Yaoundé 1er), sont  formels: «intoxication alimentaire au formaldéhyde (formol) ; famille chimique : aldéhydes ; facteur de conversion : 1 ppm (partie par million) = 1.23 mg/m3 ; 1 mg/m3 = 0,80 ppm; âge des animaux : 10 et 6 ans», lit-on sur deux feuillets tenus pour certificats de genre de mort des deux bêtes. Les copies, apprend-on, ont été mises à la disposition de la brigade gendarmerie de Kondengui, où une enquête est ouverte.

Ce 07 juin 2018, des détails s’éveillent pour souligner que la viande servie à Valma et Rock a été achetée (le jour même de leur mort) au marché de Mvog-Mbi (Yaoundé 4ème). «J’y ai, moi-même marchandé avec un vendeur de viande de bœuf à la criée. C’était en fin d’après-midi», jure Blandine Ba’ala Ondja. Trempé dans un ruisseau de larmes, le propos de la maîtresse de la maison est ponctué par: «le moins cher de Mvog-Mbi a tué mes chiens !»

«Rue Viandeur»

A reprendre l’affaire, l’on reprend également le chemin du marché de Mvog-Mbi. Entre le carrefour éponyme et le lieu-dit Mvog-Atangana Mballa, la rue nouvellement goudronnée dévoile un espace pour bouchers ambulants. C’est la «Rue Viandeurs». Sur l’origine de cette appellation, l’anecdote est simple, mais pas claire: «c’est juste le secteur des sans-comptoirs», apprend-on.

En fait, l’endroit baigne dans sa grammaire et son vocabulaire, ceux de l’anonymat. «Ni vu, ni connu», c’est la maxime dans ce bordel, où s’y croise toute une humanité en quête de viande de bœuf bon marché et en posture de vengeance contre la vie chère. Beaucoup s’y font des habitudes à cause des prix pratiqués: «Avec 300, 500 ou 1 000 francs seulement, tu peux aussi manger la viande que d’aller chez les grands-grands  qui ont beaucoup d’argent». On fait dans l’humour noir, comme dans le marché de la même couleur. Parfois des femmes achètent des abats sous le manteau, à l’abri des regards.

A la vérité, la «Rue viandeurs», c’est le giron de l’omerta. Entre commerçants, c’est la règle ; la même qui régit leurs rapports avec les acheteurs. Pas question de lorgner dans les coulisses. «Ils achètent et partent. Tout simplement ! Pas de question», tranche un homme à la barbiche de saint-cyrien. Ce 22 mai 2018, une jeune femme et son frère tentent de questionner l’origine de la viande vendue ici. La fratrie se heurte à des états d’âme sentencieux des «viandeurs».

Les mots de ces derniers sonnent comme des uppercuts, comme des jets d’acide en pleine figure. Tous ensembles, ils fustigent les leçons de morale dispensées par les autres commerçants. Avec une pointe de dédain dans la voix, une vieille dame assise à côté ironise: «Les viandeurs-ci ont gâté Mvog-Mbi  avec ce formol qui vient de Guinée». Comprendre Guinée Equatoriale, selon certaines indiscrétions obtenues aux forceps.

A fouiner un peu dans cet endroit où la délicatesse de la communication avec la presse est avérée, l’on obtient d’étonnantes explications. «On vend la viande ici. Mais parce que cette viande est travaillée, on vend çà moins cher», souffle un homme qui se fait appeler Bazor. Son humeur hésitante cache sans doute un plus. Elle fait d’ailleurs découvrir une pratique. «Ici, on injecte le formol à la viande pour garder çà longtemps si çà ne passe pas quand le marché est dur», précise Bazor.

Ce qui confère une consistance formelle à ces mots, c’est la couleur de la viande disposée dans des brouettes ou sur des plateaux. Rouge, rougeâtre, blanchâtre, noirâtre. Cela saute à l’œil. Certains morceaux attirent des mouches, d’autres non. De manière caricaturale, «c’est la viande des viandeurs», lance furtivement «Eto’o Fils». Jeune boucher ambulant, il s’amuse à classifier les produits. «Ça c’est le premier choix, deuxième choix ici, troisième choix là», énumère-t-il joyeusement.

L’explication qu’il en donne est découpée au rythme de trois sens (la vue, l’odorat et le toucher). «Premier choix, c’est la viande qui est encore bien quand vous regardez. Elle est bien, pas de mouche sur çà. Deuxième choix, c’est la viande qui sent un peu là… Troisième choix, c’est la viande un peu dure et qui se détache déjà seule».

Pourquoi ?

Telle que déclinée par notre interlocuteur, cette prose inédite est en réalité un tourbillon de cruauté nauséabond. S’entourant d’un épais coussin de précautions, une vieille dame témoigne: «premier choix, c’est la viande qui a encore beaucoup de formol ; deuxième choix c’est quand le formol n’est plus trop fort ; troisième choix c’est quand le formol commence à sécher la viande».

La suite est banalement ornée d’un oxymore : «C’est poison», «ça tue». Ngnanbi Mominou, le président du Syndicat national des bouchers du Cameroun (SNBC) appuie : «Grave !». Le terme conjugue en deux syllabes l’ampleur du phénomène et la difficulté qu’il y a à l’éradiquer. «Une vraie hydre qu’on traque mais, difficile de l’abattre», résume le syndicaliste. Aboubakar, un cadre de la délégation régionale de l’Elevage, des Pêches et des Industries animales (Minepia) pour le Centre ne dit pas autre chose quand il explique que, c’est un problème que les autorités publiques tiennent à cœur.

Il ne cache pas en effet l’ardeur de celles-ci en alignant les adjectifs dans son discours. «Ce que nous combattons, c’est ce commerce souterrain, qui progresse par les réseaux, qui s’épanouit de manière invisible, qui agit clandestinement, sur des esprits faibles ou instables. C’est un commerce insidieux, qui exige de chaque citoyen, de chacun d’entre nous, un regain de vigilance et de civisme».

Jean-René Meva’a Amougou

Pr Melchior Noa à Mvelem

«A partir des poissons et poulets braisés, soyas, on attrape banalement des maladies chroniques»

Ancien toxicologue associé au Centre Pasteur de Reims (France), le Camerounais est le fondateur de l’ONG « Parole à la nature ». Il liste ici les artifices utilisés sur les viandes et autres denrées vendues dans les espaces marchands au Cameroun. En même temps, cet expert dresse une palette des risques encourus par les consommateurs. 

Du haut de votre expérience, comment peut-on reconnaître qu’une viande contient du formol ?
Le formol n’est pas hautement réactif, c’est même l’inverse, c’est un composé très stable. La détection et le dosage ne sont pas à la portée du particulier. Le formol n’a pas d’odeur marquée lorsqu’il est utilisé à ces concentrations visant à bloquer le développement de bactéries sauvages, mais il reste très nocif pour la santé. Mais, la présence ou l’absence des mouches ou des fourmis sur un morceau de viande peuvent nous guider.

Pouvez-vous nous dire quels sont les stratagèmes utilisés par les vendeurs de viandes dans notre pays ?
Certains bouchers peu scrupuleux n’hésitent pas à nettoyer la viande avariée avec de l’acide sulfurique. Mais le plus inquiétant, c’est que de la formaline (solution à base de formol) peut y  être ajoutée  afin de la « désinfecter » et de lui redonner un bel aspect. Et le danger est d’autant plus important que des antiseptiques peuvent être injectés en même temps, et que des produits chimiques, tel l’atropine sont utilisés pour dilater les veines des animaux afin d’injecter une plus grande quantité d’eau.

A Yaoundé, au quartier Obili, j’ai vu des jeunes gens «chimistes en herbe» proposer aux bouchers un mélange de produits chimiques à base de phosphates,  à  injecter dans leurs viandes ou poissons pour leur donner « du goût » avant de les passer au barbecue. A partir des poissons et poulets braisés, soyas, on attrape banalement des maladies chroniques. Et que dire de l’aspartame (E951) : il se retrouve dans les plantains, les ananas… C’est ce produit que les commerçants véreux utilisent pour forcer la maturité des fruits.

Quels peuvent être les risques encourus par les consommateurs ?
L’ingestion du formol peut causer des troubles digestifs dont l’intensité dépend de la concentration et de la quantité de la solution ingérée. Lorsque la quantité consommée est importante, le formol se comporte comme un caustique puissant dans l’appareil digestif de l’homme ou de l’animal. On a alors des douleurs buccales, rétro-sternales et épigastriques intenses.

L’intoxication systémique par  le formol  est responsable d’une atteinte polyviscérale se manifestant par un coma souvent convulsif, une cytolyse hépatique, des troubles cardiovasculaires (hypotension, voire collapsus cardiovasculaire), une hémolyse modérée et une néphropathie tubulaire. À court terme, les complications les plus fréquentes sont les perforations et les hémorragies digestives d’une part, les syndromes de détresse respiratoire, une destruction du carrefour aérodigestif d’autre part. L’évolution ultérieure est dominée par le risque de constitution de sténoses digestives.

Par ailleurs, certains produits comme l’huile de palme chinoise sont déconseillés. Bien que portant la mention  huile, ce sont des produits chimiques cancérigènes dont la consommation fait gonfler les lèvres.

Que leur proposez-vous ?
Règle première : éviter autant que possible de manger dans la rue. Vous convenez avec moi que ce qui se fait dans de nombreuses gargotes est déplorable sur le plan de l’hygiène. Et s’il faut associer à cela toute la mauvaise chimie que les commerçants  mettent sur pied à partir de leurs « officines », il faut vraiment se méfier des repas de rue. Car ils sont concoctés avec beaucoup de choses bizarres.

Propos recueillis par

JRMA

Protection du consommateur

Trois tonnes de produits avariés détruits

 Composé de produits alimentaires et cosmétiques de mauvaise qualité, le stock est l’objet d’une série de saisies opérées depuis le 29 mai 2018, sur l’ensemble du territoire national.

 

Dans le cadre des missions et prérogatives qui sont les siennes, Luc Magloire Mbarga Atangana, le ministre du Commerce (Mincommerce) a ordonné la destruction d’un stock de 3,5 tonnes de produits alimentaires et cosmétiques (beurre jadida, des pates dentifrices, huiles de beauté) saisis par les brigadiers de son département ministériel, depuis la fin de l’année dernière, dans plusieurs espaces marchands du pays.

Les produits détruits et enfouis dans une fosse par les engins de la société Hysacam (Hygiène et Salubrité du Cameroun) portent sur la période avril 2017 à novembre 2017 comme dates de péremption. La séance de destruction s’est déroulée en sa présence le 07 juin 2018 à Soa, devant les autorités administratives de la Mefou-et-Afamba.

Au terme de cette opération, au cours de laquelle le concours de la Délégation générale à Sûreté nationale a été sollicité, Luc Magloire Mbarga Atangana précise que les produits avariés introduits dans l’espace commercial camerounais ont transité par le Gabon et la Guinée Equatoriale. Le Mincommerce en a appelle  à la vigilance. «On ne peut pas prioriser les gains au détriment de la santé, la construction de la nation…Nous appelons aussi l’attention des consommateurs eux-mêmes quand vous opérez à l’achat, vérifiez les dates de péremptions et de fabrication du produit» martèle-t-il.

JRMA

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *