«Racket fiscal» : Le non du Gicam
Traiter en journaliste des rapports entre patronat et politique est une tâche délicate. C’est en effet l’archétype du sujet que l’on qualifierait volontiers de «sensible», voire «brûlant». Parfois, ceux qui bruyamment osent en parler se voient repris sur le coup. Le Gicam (Groupement inter-patronal du Cameroun) l’a expérimenté le 9 juillet dernier à Yaoundé. Préalablement intitulée «Comment sortir du piège fiscal», la conférence du patronat camerounais n’a pas reçu l’onction gouvernementale. Au point où sur le fil, les termes du libellé ont été remaniés. Et on a eu droit à des discussions autour du thème «la fiscalité en débat». Et là encore, «c’était houleux», pour reprendre la Une du journal l’Économie. Problème : les deux parties ne sont toujours pas d’accord sur les grands chantiers de réformes fiscales à mener pour le bien des entreprises locales. Parfois, l’opposition est virulente et frontale. Les arguments martelés ces dernières années par le Gicam ont été entendus. Dans leur litanie, ils incluent la preuve que le gouvernement ne maîtrise pas son sujet aussi bien qu’il le dit et que d’autres problèmes non anticipés vont surgir, dont ils feront les frais. «Asphyxiés par une dette de l’État vis-à-vis des entreprises qui ne cessent d’augmenter, ils se disent incompris, abandonnés. Ils naviguent entre la baisse de l’activité pour certains, l’arrêt complet de l’activité pour d’autres, voire le basculement dans l’informel. Malgré ce contexte, les contrôles fiscaux ont gardé la même ampleur, le même harcèlement et le même caractère tracassier pour les entreprises. Au final, face à des situations de plus en plus intenables et écartelés comme ils le sont, leur enthousiasme à la tâche s’est érodé au fil des dernières années, et la confiance est aujourd’hui fortement entamée !», déplorait Célestin Tawamba, le président du Gicam lors de la 11e édition du Cameroon Business Forum tenue le 22 octobre 2020 à Yaoundé. «Quand on interroge les entreprises, pour 95,6% de celles-ci, leur premier problème est le problème fiscal. Comment peut-on ne pas parler d’un problème qui est important pour nous», avançait-il encore le 9 juillet dernier à Yaoundé. Socle du plaidoyer : apporter davantage de sécurité juridique aux entreprises face l’extrême complexité des règles fiscales.
Une fois encore, le patronat camerounais a exprimé son ras-le-bol vis-à-vis des politiques publiques en matière d’impôts auxquels sont assujetties les entreprises locales.
«Le Cameroun a la caractéristique désolante de proposer un système fiscal qui à la fois frustre ses contribuables, coûte cher à l’administration, et nuit à l’attractivité du pays». Voilà une phrase qui a été accompagnée par une longue salve d’applaudissements à Yaoundé le 9 juillet dernier. Laure Kenmogne Djoumessi qui l’a prononcée entendait décrire, objectivement et sans considération politique, la fiscalité appliquée aux entreprises au Cameroun. Au cœur du débat, le système d’imposition: un impôt sur les sociétés de 30% pour les PME et 33% pour les grandes entreprises et un précompte de 2,2% sur le chiffre d’affaires. «C’est trop!», peste le conseil fiscal et juridique. Calculette en main, Laure Kenmogne Djoumessi schématise : «une entreprise qui a par exemple un chiffre d’affaires de 100 FCFA, pour gagner ce chiffre d’affaires, l’entreprise dépense 98 FCFA. Cela veut dire concrètement que l’entreprise en question a gagné 2 FCFA. Dans le système de la loi fiscale actuelle, l’entreprise doit payer 33% de 2 FCFA. L’actuel système prévoit que l’entreprise en question doit payer un chiffre d’affaires minimum qui est de 2%. En conclusion, l’entreprise qui a gagné 2 FCFA paiera 2,2% sur les 100 FCFA».
En une formule, Célestin Tawamba résume: «imposer sur le chiffre d’affaires et sur le bénéfice, c’est faire une fiscalité prédatrice». «Nous n’avons pas besoin d’une fiscalité punitive. Nous avons besoin d’une fiscalité de développement qui permette non seulement aux entreprises de se développer, mais aussi à l’État d’accroître ses recettes fiscales. Personne n’est plus soucieux du devenir de l’État que l’entreprise», enchaîne le président du Gicam. C’est ce que dit, en d’autres mots, son vice-président, Emmanuel de Tailly. Dans son intervention, le directeur général du Groupe des Brasseries du Cameroun (SABC) roule pour une fiscalité dite de développement, assise sur «une politique fiscale stable, efficace et équitable».
«Il faut revoir la gouvernance macroéconomique et bien définir le rôle de la politique fiscale et le rôle de l’entrepreneur», martèle l’économiste Dieudonné Essomba. Plus largement, selon lui, «il faut réformer le système fiscal camerounais pour réintroduire de la sérénité et avoir une économie compétitive. Il faut non seulement rétablir une justice fiscale, mais également plus d’équité dans le contentieux fiscal, en sortant de la logique de l’embuscade».
Le FMI en posture d’arbitre
Dans un communiqué publié depuis fin mai 2021, l’institution de Bretton Woods propose sa disponibilité à mobiliser une expertise pour un audit du système d’imposition sur le bénéfice des entreprises.
En octobre 2018, le Fonds monétaire international (FMI) estimait que, sur les cinq dernières années précédant son rapport sur l’économie camerounaise, le taux d’imposition du pays se situait en moyenne de 13%, soit 3% en-dessous de la moyenne de l’Afrique subsaharienne. Sauf que dans son constat, l’institution de Bretton Woods a signalé qu’au Cameroun, les recettes fiscales sont faibles: elles représentaient 13,1% du PIB en 2017, tandis que seulement 110 000 personnes sur les quelque 25,9 millions d’habitants paient régulièrement des impôts. Le FMI concluait alors qu’il fallait engager des réformes au sein de l’administration fiscale. Selon le bailleur de fonds international, le succès desdites réformes dépendait en partie de l’introduction d’instruments et de méthodes permettant de mettre en œuvre des procédures efficaces, tant dans la gestion des dépenses que dans l’administration des impôts. L’amorce a été donnée en fin novembre 2020, lors de la rencontre à Yaoundé entre le président du Gicam, Célestin Tawamba et l’ancien représentant résident FMI au Cameroun Fabien Nsengiyumva. Ce dernier scandait déjà la disponibilité du Fonds à mobiliser une expertise pour un audit du système d’imposition sur le bénéfice des entreprises. La proposition est remise au goût du jour en fin mai 2021, selon l’une des lignes d’un communiqué publié à cet effet. Les idées de fond brandies par le FMI allaient de l’accompagnement d’une éventuelle transition du système fiscal vers l’abandon d’une imposition basée sur le chiffre d’affaires à la révision de la structuration de dépenses pour les aligner sur les ressources mobilisables, en passant par la nécessité d’approfondir l’analyse du système fiscal.
A la Direction générale des impôts (DGI), le malaise autour de la suppression de l’imposition sur le chiffre d’affaires est palpable. Certains fonctionnaires en service dans cette administration publique défendent publiquement la mesure tout en confirmant, en coulisses, leur gêne. Ils se plaisent seulement de vanter la baisse des taux d’imposition qui a touché l’impôt sur les sociétés, la taxe spéciale sur les revenus et les droits d’enregistrement. Il s’agirait donc ici, clament-ils furtivement, de poursuivre une orientation de politique fiscale déjà mise en œuvre et dont les résultats se lisent sur l’évolution macro-économique dans un contexte où les exonérations fiscales sont légion. Or, du côté des entreprises du secteur privé, un glissement vers «une fiscalité qui n’exonère rien est meurtrière».
Jean-René Meva’a Amougou