CONTRE-ENQUÊTEPANORAMA

Pr Théophile Yimgaing Moyo : «Beu Pu Feu» en trois dessins

Architecte-urbaniste, politicien et panafricaniste, l’homme n’a eu de cesse d’échafauder des idées pour la postérité.

Jean-René Meva’a Amougou

On dirait que converser avec des architectes revient à écouter une longue liste de superlatifs. On pourrait être tenté de le dire autrement à l’aide d’une blague du Pr Théophile Yimgaing Moyo, dans un entretien sur Facebook avec des journalistes étrangers: «l’architecte est un créateur enthousiaste, frondeur et réaliste, qui poursuit une véritable réflexion sociale sur les villes et les banlieues; son crayon est enrichi d’une pensée éthique et esthétique sur le sens que nous entendons donner à nos vies». En ne renvoyant qu’à une compétition entre plusieurs figures de la rhétorique professionnelle, le propos de l’homme décédé des suites de maladie à Yaoundé le 23 octobre 2021 consacre une iconographie généreusement tournée vers le futur. «Celui de Yaoundé tenait à cœur le Pr Théophile Yimgaing Moyo», abrège Wesley Nkongo Dikoume.

Dans une posture d’humilité, l’ancien directeur technique du cabinet d’architecture Yimgaing Moyo (qui au passage fait tenir à son «maître» le titre de «d’architecte camerounais le plus important de notre époque») renseigne que, de son vivant, Pr Théophile Yimgaing Moyo a beaucoup phosphoré autour des plans d’aménagement de la capitale camerounaise. «Il ne comprenait pas pourquoi le design de Yaoundé est pris dans un engrenage où des critères financiers priment sur les valeurs humaines, créant partout des mondes urbains sans qualités», expose Wesley Nkongo Dikoume. Selon lui, le défunt enseignant émérite à l’École nationale supérieure polytechnique de Yaoundé critiquait le profil pris par Yaoundé à l’entame des années 80.

Centre-ville
Invité de l’émission «Dimanche Midi» diffusée sur l’antenne radio de la CRTV en mai 2017, l’enfant de Baham listait les coupables: «maires mégalomanes, entreprises déficientes, appels d’offres biaisés, pots-de-vin et inculture des maîtres d’ouvrages». À l’appui, quelques exemples. Celui choisi par le Pr Théophile Yimgaing Moyo lors de son entretien avec le journaliste Blaise Testelain Nana se rapporte au centre-ville de Yaoundé. «Voilà, disait-il alors, un cas qui n’en finit pas de révéler des erreurs monumentales qui ont détruit la possibilité d’une vie urbaine plus gaie. On aurait dû mieux canaliser la rivière Mfoundi au lieu de l’enterrer pour construire le Boulevard du 20 mai». Sur cette thématique, l’homme n’avait pas changé d’échelle encore moins de point de vue. C’est du moins ce qu’atteste Marina Laure Touang. Secrétaire au cabinet d’architecture Yimgaing Moyo depuis mars 2017, la jeune dame renseigne que son patron «répétait que la programmation architecturale faite pour Yaoundé a plus été une histoire de constructions nouvelles que de réaménagement et de mise en valeur de ce qui existe déjà».

Pour la suite, Marina Laure Touang présente deux documents. Le premier est une copie de l’exposé fait par le Pr Théophile Yimgaing Moyo au cours de l’atelier de la présentation du Projet global d’aménagement de Yaoundé (PAY) en avril 2013. «Je suis très attaché à l’idée de sensibilisation des générations qui viendront. D’une certaine façon, il faut ouvrir la place au temps. Je trouve qu’il y a un véritable danger dans une ville où les eaux de pluies forcent la voie. Voyez par exemple, le Boulevard du 20 mai ne s’arrête pas à Warda. Dans le plan de la ville, il doit continuer, rejoindre la Nouvelle route Bastos jusqu’à l’Avenue Jean Paul II. Or, c’est à Warda qu’on a décidé de construire le Bois Sainte Anastasie, qui n’est sur aucun plan. Le Palais des sports, n’existe non plus sur aucun plan d’urbanisme. C’est quelque chose que l’on fait semblant d’ignorer à Yaoundé depuis que le débat concernant cet endroit a été confisqué à la fois par des identitaires qui veulent tout reconstruire à l’identique, et les pseudos progressistes, qui veulent innover pour innover», décriait le Pr Théophile Yimgaing Moyo.

Mfandena
Le second document (copie de l’interview accordée au site sportif camfoot.com le 28 janvier 2016) fait valoir un autre exemple. «Parlons de l’accès au stade Ahmadou Ahidjo. Observez tout le désagrément que ça cause aux populations lorsqu’il y a un match des Lions indomptables. C’est inadmissible. Ça fait pourtant plus de 20 ans que je hurle; je montre l’urgence de construire un métro urbain. Les rails sont là, partant du Nord au Sud; les locomotives sont là et vous avez tous les wagons. Notre métro est construit à 60%. L’Éthiopie qui n’avait rien au départ, vient en quelques années seulement, de construire son métro. Imaginez la foule qu’il y aura à Yaoundé pendant les matchs de CAN. Si en temps normal, on n’arrive pas à circuler en ville, que va-t-il se passer lorsqu’il y aura cet événement? Le stade Ahmadou Ahidjo a une capacité d’au minimum 60 000 personnes. C’est-à-dire que tout le quartier Mfandena sera noir de monde et comme toujours, on va bloquer les routes. Toutes choses qui vont créer un autre gros problème difficile à gérer», pestait le Pr Théophile Yimgaing Moyo.

Panafricaniste
Au sujet des prises de position de ce dernier, Blaise Testelain Nana dit avoir «interviewé un homme de convictions aimant décortiquer les faits et analyser les événements». Le même constat est fait par ses camarades du MOCI (Mouvement Citoyen). Valentin Ateba Abeng (secrétaire aux affaires administratives et politiques au sein de ce parti politique) se souvient du «parler vrai», la marque de fabrique de son «président-fondateur» au cours d’une conférence de presse à Yaoundé le 26 janvier 2011. Dans les colonnes du quotidien privé Mutations du 2 mars 2012, «Beu Pu Feu» («soutien du bras du chef de Baham, dans les Hauts-Plateaux région de l’Ouest, NDLR) déclare : «la politique chez nous est dégueulasse parce que les hommes qui la font la rendent dégueulasse.

Il faudrait des partis politiques qui aient la même vision que le MOCI, pour que les choses changent. Il faudrait des hommes politiques qui ne soient pas des girouettes à la solde des puissances extérieures. J’insiste sur ce dernier point, car ces puissances ont toujours manœuvré pour contrôler les dirigeants africains. Ceux d’entre ces derniers qui ont exprimé certaines velléités d’indépendance ont été liquidés. C’est ça qu’il faut expliquer aux jeunes Camerounais, parce que la majorité des aînés comprend ce qui se passe». Pour tout expliquer, Valentin Ateba Abeng estime que «Pr Théophile Yimgaing Moyo était le symbole de la vision panafricaniste progressiste». Mû par l’idéologie anti-impérialiste et anti-colonialiste, Yimgaing Moyo s’était décidé à fonder le panthéon du panafricanisme au cours de la première décade des années 2000 à Yaoundé avec quelques figures de l’échiquier politique, telles que feu Hubert Kamgang, ancien président de l’Union des populations africaines (Upa), Dieudonné Yebga, leader du Manidem, feu Jean Michel Tekam, ancien leader de l’Union des populations du Cameroun (Upc).

Ami des médias
«Quand j’avais créé l’émission «Sapientia» en 2006 à la Radio Tiemeni Siantou (RTS), où seuls les universitaires et intellectuels d’ici et d’ailleurs s’exprimaient, mon premier invité fut le Pr Yimgaing Moyo, qui vint expliquer la problématique de l’urbanisation désordonnée des grandes métropoles camerounaises», se remémore Serge Aimé Bikoi. «Il était très ouvert aux médias avec une originalité qui était la sienne», apprécie le journaliste de RTS. De cette originalité-là, Daniel Anicet Noah en parle. «Certains parmi les confrères ont souvent mis en valeur son élocution lente, et ses conseillers ont même à plusieurs reprises tenté de la corriger. Mais il faut dire aussi qu’il s’agissait au final d’un trait distinctif qui faisait toute l’originalité de son discours et qui finalement le servait. Il en est de même de la simplicité de son langage. Un de mes étudiants avait réalisé un palmarès de la richesse et de la lenteur du discours des hommes politiques. Et le grand vainqueur est comme on pouvait s’y attendre Pr Théophile Yimgaing Moyo. En divisant le nombre de mots différents employés par la racine du nombre total de mots, cet étudiant trouvait ainsi le volume de répétition des mêmes mots. Dans ce classement, Pr Théophile Yimgaing Moyo était donc dernier; ce qui signifie qu’il utilisait le plus de mots différents», renseigne le journaliste émérite.

Jean-René Meva’a Amougou

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