PANORAMAPORTRAIT DÉCOUVERTE

Lions indomptables : enchères de poule venus du «continent»

Comme c’est très souvent le cas, l’équipe a animé le groupe «scandale» à la CAN 2024.

 

«Comme moi, vous avez été certainement déçus par l’élimination précoce de nos Lions Indomptables lors de la Coupe d’Afrique des Nations, qui se déroule actuellement en Côte d’Ivoire. Je vous félicite d’être restés dignes dans la défaite, comme vous l’avez été tant de fois par le passé, dans la victoire. Je puis vous assurer que nous reprendrons le combat et que nous vaincrons encore. Après tout, comme vous le dites si bien, dans une formule dont vous seuls avez le secret, nous sommes Le Continent. La victoire n’est toutefois pas le fait du hasard. Elle exige certes du talent, mais aussi du courage, de la discipline, de l’organisation et un travail acharné. Voilà certainement le secret de notre compatriote Francis Ngannou, qui a émerveillé le monde entier lors de son premier combat de boxe anglaise. Je sais l’importance que vous accordez au football. L’Etat, dans le contexte difficile qui est le nôtre, consent de lourds sacrifices financiers à cet égard. Il est donc en droit d’exiger une meilleure organisation et de meilleurs résultats. Nous allons y veiller». Ce 10 février 2024, au cours de son adresse à la Jeunesse, ce qui compte pour Paul Biya, c’est de s’arrêter aux sentiments qui semblent prévaloir chez les supporters des Lions indomptables. La déception. Faut-il en départager les multiples causes? Le chef de l’Etat camerounais donne sa réponse: «Le Gouvernement et tout particulièrement le Ministère en charge des sports ont reçu des instructions claires sur le sujet». Dans son élaboration, cet énoncé se prête aussi à des mises en récits de quelques scandales. Labélisées «Lions indomptables», ces histoires ont fait le tour du monde et aussi, bien sûr, de nos conversations.

Ce 12 février 2024, au lieu-dit Mobil Kondengui (Yaoundé 4e), quatre amis sont attablés dans une vente-à-emporter. L’un d’eux anime la conversation, s’agitant et parlant avec véhémence. L’objet de sa colère? «Le scandale financier du siècle». «Il n’est ni original, ni nouveau de constater que l’équipe des Lions indomptables est parcourue de comportements répréhensibles», ajoute-t-il. «Aujourd’hui, semble-t-il, les dérives financières deviennent inhérentes à chaque sortie de cette équipe». Entre 1972 et 2024, les mises en récits de chaque participation de l’équipe à la Can révèlent tantôt des maquillages comptables, tantôt des détournements de fonds par le biais de fausse facturation, tantôt des honoraires occultes versés aux prestataires de services ou encore les dettes cachées. Et parce que le label «Lions indomptables est immensément répandu et commenté, il passionne, séduit ou, pour le moins, intrigue même celles et ceux qui ne s’y intéressent pas ou qui l’ont en horreur. «C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles la tanière ne cesse de faire l’objet d’évaluations sceptiques et parfois très négatives», articule un fonctionnaire du ministère des Sports et de l’Education physique (Minsep).

1-Cameroun 1972
Ce 3 mars 1972, le Cameroun tout entier s’est réveillé avec une sacrée gueule de bois. Après leur élimination en demi-finales par les Diables Rouges du Congo (0-1), Emmanuel Mvé Elemva et ses coéquipiers subissent tout: le bruit du tapage et le silence de la stupéfaction. Organisée au Cameroun, la CAN est un fiasco pour Emmanuel Mvé Elemva qui étrenne ses galons de capitaine. Le silence qui existe dans les mots des autorités locales, qui les traverse, signifie le non-dit et leur donne un espace de recul signifiant avant d’organiser la chasse à l’homme. En arrière-plan, des soupçons de détournements de deniers publics s’impriment dans le continu signifiant du silence. De plus en plus, lesdits soupçons marquent le quotidien, le segmente même. L’après-CAN 1972 devient vite un espace politique où culpabilité et innocence se battent. Par son fonctionnement, l’ambiance atteste du parcours de versions diverses sur qui a fait quoi et quand. Le bruit est confus ; la panique est générale. Des membres de la commission de billetterie sont jetés en prison. Le ministre des Sports de l’époque, François-Xavier Ngoubeyou tombe, même s’il n’est pas impliqué directement dans les malversations financières sont évoquées.

2-Algérie 1990
Cette année-là, les Lions indomptables croient tirer profit d’un double mouvement créé par leur profil de champions d’Afrique en titre et de l’un des représentants africains à la coupe du monde. Le dispositif mobilisé par l’équipe du Cameroun est l’indice d’un même et seul discours: gagner une 3e fois la CAN. Concernés au premier chef, le collectif des joueurs brille par discussions internes, des rebellions et des scissions. On voit dans le gouvernement un bouc émissaire de la crise. Entre temps, les Lions indomptables sortent dès le premier tour, après deux défaites face à la Zambie et au Sénégal respectivement. Au sein de l’opinion publique nationale et internationale, les mots sont durs, à la hauteur de la déroute subie. «Les problèmes de primes, les dissensions internes, la situation politique du pays, peuvent expliquer cette déroute», croit savoir Japhet Anafak, auteur de l’ouvrage «L’équipe nationale de football du Cameroun (les Lions indomptables) en compétition internationale: entre passions et récupération?»

3-Egypte 2006
Scandale autour de l’argent de Yannick Noah! L’élimination du Cameroun en quarts de finale est mal digérée. A la veille de la dernière coupe du monde, le bref passage de Yannick Noah dans l’encadrement de l’équipe nationale de football du Cameroun a été rappelé. Ceci à travers une déclaration de l’ancien tennisman dans une interview accordée au quotidien français Le Parisien. Dans cet entretien, Yannick Noah indiquait qu’il ne pourrait pas parier sur une équipe africaine. Et parlant du Cameroun, il a rappelé un scandale qui a suivi la coupe d’Afrique de 2006 au cours de laquelle le Cameroun a eu une piètre prestation. Il avait été dit que Yannick Noah avait perçu de l’argent pendant cette période, en tant que conseiller psychologique. Ce qu’il a démenti à travers cette interview au Parisien. «J’ai été préparateur psychologique des Lions en 2005. C’est mon cousin qui était ministre des Sports. Il décidait du staff. Je voulais bien venir sur certains matchs et je lui avais dit: «je viens bénévolement, je paye mon avion, mon hôtel». On manque la qualif pour le Mondial 2006 sur un penalty raté. Là-dessus, il y a la Can. J’étais en concert. Il y a un truc qui sort comme quoi pendant la Can, j’avais pour 125 000 € (environ 82 millions FCFA) de frais. Je n’y étais pas. En fait, mon cousin avait pris de l’oseille sur mon dos. Il n’est plus ministre…»

États-Unis 1994
L’argent du coup de cœur volatilisé Dans son livre Desperate Football House, Jean Lambert Nang revient sur le scandale de la troisième coupe du monde disputée par le Cameroun. Lassé des complaintes récurrentes des joueurs dans les médias au sujet de primes jamais encaissées, le ministre des Finances Antoine Ntsimi défraie la chronique en octobre 1993, en débarquant nuitamment à l’hôtel Le Makombé, accompagné d’un fonctionnaire du trésor public. Il est venu en personne procéder à l’apurement des primes et autres manques à gagner des footballeurs. J’interroge le Ministre des Finances sur son offensive qui fait perdre la face à son homologue des Sports. Antoine Ntsimi use alors de cette expression que j’entends pour la première fois: «La Fécafoot ne saurait être un éternel tonneau des Danaïdes». On se dit alors que la leçon va porter. C’est mal connaître les Camerounais. Lors de la coupe du Monde des Etats-Unis quelques mois après, le même ministre, Bernard Massoua II, n’éprouva aucune honte ni ne mit de forme à empocher, devant une assistance stupéfaite, les chèques de voyage devant servir au paiement des primes des sélectionnés. Raison évoquée, les joueurs voulaient être rétribués en dollars liquides pour ne pas laisser des plumes au change. Lui, ne les avait pas. Avec ce détournement aussi terrien qu’anecdotique, on crut avoir atteint les sommets de l’indécence et de la roublardise. Comme disent les Anglais: «The best was to come». Et le meilleur vint avec Augustin Kontchou Kouomegni, Ministre de la Communication. À son retour au pays après l’élimination du Cameroun de la World Cup, «Zéro Mort» déclara, pince sans rire, avec son flegme légendaire: «La valisette contenant les primes des footballeurs se trouve dans un avion, entre Los Angeles et Paris». Si dans les chaumières l’on devisa sur l’ingéniosité du ministre à vouloir masquer ce qui prenait toutes les allures d’un détournement, personne ne rit car l’argent en question provenait des contributions à l’échelle nationale d’une campagne dénommée «Coup de cœur pour les Lions indomptables». Aujourd’hui, nul ne sait si le ministre a récupéré sa valisette de dollars. Les années ont passé. Rien n’a changé dans le monde du football camerounais».

Bien avant, le sélectionneur Henri Michel publie la liste des 22 joueurs retenus pour la compétition. Les supporters, furieux, organisent une marche de protestation et réclament la convocation de Louis-Paul Mfédé et Victor Ndip Akem. Le président Paul Biya exigea alors le retour des recalés au sein de l’équipe 25. C’est dans une ambiance d’hystérie et de tensions internes que l’équipe nationale arrive aux États-Unis pour cette compétition conduite par Massoua II Bernard. Les ingérences politiques divisent les joueurs, favorisent la corruption et clivent les supporters sur fond de tribalisme et de récupération politique. C’est logiquement que le Cameroun s’incline alors par 3 buts à 0 face au Brésil, puis par 6 buts à 1 face à la Russie, après un match nul contre l’équipe de Suède

Corée-Japon 2002
Womé Nlend quitte l’équipe. Le sélectionneur Schäfer maintenu malgré les fortes critiques auxquelles il a fait face après l’élimination des Lions au premier tour. En 2002, les Lions ont été éliminés au premier tour (après un nul, une victoire et une défaite) à la Coupe du Monde qui s’est jouée au Japon et en Corée du Sud. Après cette élimination, Winfried Schäfer, le sélectionneur allemand de l’équipe nationale était la personne visée. Une partie de l’opinion et certains membres de la Fédération camerounaise de football (Fécafoot) demandait sa démission, sous prétexte qu’il n’avait pas su gérer «certaines tensions» dans le groupe de 23 joueurs qu’il a emmené à la Coupe du Monde. Selon Jean Paul Akono, ancien entraîneur des Lions Indomptables, l’élimination «précoce» des Lions Indomptables était due à la grève des joueurs camerounais pendant le stage d’avant compétition à Paris en France. «Schäfer a fait un programme qui a été rendu public, connu par tous les camerounais qui suivent les Lions indomptables. Il avait réuni tous les atouts et avait prêté attention sur tous les compartiments. Ce programme a été appliqué avec rigueur et méthode. Mais, malheureusement, ce qui s’est passé à Paris où il a été impuissant, a pratiquement détruit son travail. Schäfer est un entraîneur exigeant, mais il a été trahi quelque part», avait déclaré Jean-Paul Akono dans les colonnes du Messager le 28 juin 2002. Après avoir été pointé du doigt comme l’instigateur de la «grève», le défenseur Pierre Womé a décidé de quitter l’équipe nationale, comme Lauren Etame Mayer, qui avait pris la même décision à cause de «l’amateurisme» qu’il avait observé dans cette équipe.

Ongoung Zong Bella

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *