LIBRE-PROPOSPANORAMA

Les relations Afrique-Etats-Unis dans un monde entre décomposition et reconstruction

Une analyse de Dr Christian Pout, Ministre Plénipotentiaire, Président du Think Tank
CEIDES, Visiting Associate Professor– Directeur du séminaire de Géopolitique
Africaine, Catholic Institute of Paris.

Comment se présente le partenariat Afrique/ Etats-Unis deux ans après l’arrivée
du Président Joe Biden à la Maison Blanche?
L’arrivée du 46ème Président des Etats-Unis d’Amérique, Joe Biden, en novembre 2020 à la Maison Blanche, a induit une évolution assez positive des rapports entre l’Afrique et les EtatsUnis.  S’il fallait se résumer en quelques mots, je dirai que les relations américano-africaines ont connu une nouvelle dynamique après une ère marquée par des bizarreries trumpiennes. Ces relations sont plus apaisées, assurément plus affirmées, vraisemblablement plus diversifiées, voire plus conviviales. L’équipe du Président Joe Biden s’est attelée à restaurer le blason américain sur plusieurs plans, notamment en matière de politique étrangère en Afrique. Il y’a donc là une nette démarcation, une rupture avec le précédent Gouvernement. Néanmoins, l’un des rares sujets où l’on peut encore entrevoir une sorte de continuité de Donald Trump à Joe Biden est bien sûr la volonté clairement affichée de ces deux Présidents de sauvegarder ou mieux, d’étendre l’influence stratégique des Etats – Unis en Afrique. Ceci
en veillant principalement à contrer et devancer la percée chinoise et russe sur le continent, en particulier dans un contexte où même les alliés traditionnels sur lesquels les Etats-Unis pouvaient s’appuyer à l’exemple de la France ou du Royaume-Uni, perdent de plus en plus de terrain.

Malgré les gestes d’ouverture du Président Biden, le renouveau des relations extérieures focalisées sur l’Afrique qu’il promeut, qu’elles soient diplomatiques, économiques, commerciales et sécuritaires, souffre encore quelque peu de ce que Maya Kandel, responsable du programme sur les États-Unis à l’Institut de Recherches Stratégiques de l’Ecole Militaire (IRSEM), a appelé «les dogmes de la stratégie américaine en Afrique». Il s’agit selon elle des pesanteurs idéologiques, stratégiques et opérationnelles qui ont plombé la politique américaine en Afrique depuis les années 1990 avec plus ou moins de constance jusqu’au début des années 2000 et après. A sa suite, d’autres auteurs ont affirmé que l’Afrique n’était pas vraiment considérée comme une priorité stratégique des Etats-Unis. C’est pourquoi, ils y limitaient leur ancrage au sol, par une présence militaire et assistance discrète, et préconisaient que des «solutions africaines soient trouvées aux problèmes africains». Le point culminant de ce qui pouvait donc apparaître comme une politique américaine en Afrique désincarnée a été symbolisé par le passage du républicain Donald Trump à la Maison Blanche. Il ne me paraît pas nécessaire de revenir sur les actes et propos regrettables posés par ce dernier, et qui ont malheureusement contribué à renforcer le doute au sein de la classe politique et des populations africaines sur les intentions réelles des Etats-Unis en Afrique. Fort heureusement, l’équipe de Joe Biden s’efforce de changer les perceptions, tout en posant les jalons d’un nouveau partenariat avec l’Afrique. C’est ce qui explique entre autres, le fait que le deuxième Sommet Afrique – Etats-Unis qui se tient à Washington soit aussi couru après celui de 2014 organisé par Barack Obama, un autre démocrate. Déjà, je tiens à rappeler que ce Sommet qui est un moment privilégié d’échanges et de prise de contact entre acteurs américains et africains exerçant à des niveaux de responsabilités très élevés, aussi bien dans le public comme dans le privé, n’est en réalité que l’aboutissement d’une politique de (re)conquête et de séduction de la communauté afro-américaine et de l’Afrique, dont les contours se laissaient déjà voir depuis la campagne présidentielle de 2020 menée par le camp Biden.

En effet, le programme de cette campagne était « America is back », entendez l’Amérique est de retour, et compte bien refaire bouger les lignes aux plans économique et politique, et surtout faire entendre ou plutôt prévaloir sa voix sur la scène internationale. Durant celle-ci, Joe Biden avait alors exprimé sa volonté de faire évoluer les relations entre son pays et l’Afrique. Au-delà des clichés et préjugés misérabilistes et conflictogènes sur l’Afrique auxquels il n’adhérait pas pour s’être fait sa propre idée de la réalité au gré de ses voyages, il avait construit une véritable stratégie pour conquérir la communauté afro-américaine et la diaspora africaine. Il s’était engagé envers elles à éliminer les restrictions anti-immigration contre les pays musulmans, y compris ceux situés en Afrique (le Nigeria, le Soudan et la Tanzanie), à remettre sur orbite et à renforcer un programme pour la jeunesse africaine, Yali (Young African Leaders Initiative), qui avait été mis en place par l’équipe de Barack Obama en 2010. Et par ailleurs, à mobiliser les meilleures compétences pour le conseiller sur l’Afrique. C’est pourquoi dans son équipe de conseiller(e)s pour la campagne, plusieurs membres avaient déjà eu à occuper de hautes fonctions sur et/ou pour le continent autant sur le plan diplomatique que sécuritaire. En analysant ses postures de l’époque, on se rend à l’évidence que le discours de Joe Biden avait des accointances avec celui de ses devanciers et collait groso modo aux objectifs globaux des Etats-Unis.

Ses orientations politiques à l’extérieur qui s’inscrivaient sur les traces de quelques-uns de ses
prédécesseurs annonçaient alors les couleurs d’une intense activité diplomatique à venir.
Celle-ci devait tirer profit des instruments de politique étrangère qui avaient fait leurs preuves,
pour (re)positionner les Etats-Unis au devant de la scène africaine. S’il est vrai que la création en 2007 du Commandement américain pour l’Afrique (AFRICOM) avait permis aux Etats-Unis de jouer un rôle prépondérant sur les questions militaires et sécuritaires sur le continent, c’est davantage les programmes de coopération phares mis en place par ses homologues que Joe Biden entendait capitaliser. On peut mentionner à cet égard, l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) créé en 1999 sous la présidence de Bill Clinton ; le President’s Emergency Plan for AIDS Relief (PEPFAR) créé en 2003 sous l’administration Bush et destiné à favoriser l’accès à la santé sur plusieurs années avec plus de 15 milliards de dollars ou encore le Global Hunger and Food Security Initiative établi par le président Barack Obama en 2009. Avec le soutien du Congrès, Barack Obama avait aussi pu lancer l’initiative «Power Africa», un programme de plus de 7 milliards de dollars destiné à développer l’électrification du continent et fournir l’électricité à près de 60 millions de foyers. En termes d’alignement sur les objectifs globaux des Etats-Unis en Afrique, Joe Biden semble là encore, malgré une touche d’originalité, partager les axes clés énoncés en 2012 par l’Administration Obama, à savoir : le renforcement des institutions démocratiques locales ; le soutien à la croissance économique, au commerce et à l’investissement ; la progression de la paix et de la sécurité ; la promotion «des opportunités et du développement».

C’est dans le cadre de ces axes que s’articule aussi la Stratégie américaine pour l’Afrique depuis la prise de fonction officielle de Joe Biden. Avant de m’étendre sur cette dernière, je crois qu’il est intéressant de dire un mot sur les actes d’autorité et gestes symboliques à forte  portée posés par Joe Biden, et qui apparaissent comme une forme de reconnaissance à la fois de l’importance et du potentiel de la communauté afro-américaine et de l’Afrique. Lors de leur cérémonie d’investiture en janvier 2020, le Président Joe Biden et sa Vice-présidente Kamala Harris, avaient choisi le titre à succès «Destiny» du chanteur nigérian Burna boy dans la playlist officielle de 46 morceaux. Ensuite, en février, soit un mois après son arrivée à la Maison Blanche, Joe Biden avait choisi d’envoyer pour son premier discours auprès d’une instance internationale en tant que Président, un message vidéo aux présidents africains à la veille du 34e Sommet de l’Union africaine (UA). Il assurait alors que pour l’Afrique, les Etats-Unis sont «un partenaire dans la solidarité, le soutien et le respect mutuel». Au plan purement bureaucratique, Joe Biden a su s’entourer pour donner sens à sa politique, de personnes fins connaisseuses de l’Afrique et même des enfants du continent. Il a par exemple nommé Linda Thomas Greenfield, une diplomate chevronnée, qui a été en poste dans plusieurs pays africains, Ambassadrice américaine à l’ONU, avec rang de Ministre ; Samantha Powers, Ambassadrice à l’Agence internationale de Développement, et Dana Banks, ancienne diplomate en Afrique du Sud au Conseil National de Sécurité. Mais surtout, je crois que les nominations les plus remarquées ont sans doute été celles de Wally Adeyemo, 39 ans, Secrétaire adjoint au Trésor, et d’Osaremen Okolo, 26 ans, Conseillère dans la Team anti-Covid-19 du Président Biden, tous deux d’origine nigériane.

En plus de ces innovations managériales, je peux dire que Joe Biden n’a cessé de montrer les signes d’un profond attachement au continent. C’est ce qui explique aussi le balai diplomatique effectué par ses collaborateurs en Afrique. Qu’ils s’agissent du Secrétaire d’Etat Antony Blinken, de la Sous-secrétaire d’État Wendy Sherman, de la Secrétaire d’État adjointe chargée des Affaires africaines, Molly Phee ou encore de la Directrice principale du Conseil de sécurité nationale pour l’Afrique, Dana Banks. Le Secrétaire d’Etat Antony Blinken a par exemple été au Kenya, au Nigéria, au Sénégal, ainsi qu’en Afrique du Sud, en République démocratique du Congo (RDC) et au Rwanda. Il a de même pris part à des rencontres de haut niveau, notamment, à la foire internationale d’Alger en juin 2022, au cours de laquelle les Etats-Unis étaient à l’honneur ou encore, au Maroc, lors de la tenue de la 14ème édition du
Sommet des affaires États-Unis – Afrique en juillet 2022, placée sous le Haut patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, et organisée par le Gouvernement marocain, en partenariat avec le Corporate Council on Africa (CCA). Ce dernier événement qui avait pour thème «Bâtir l’avenir ensemble – le futur» a connu la participation d’une importante délégation gouvernementale américaine, de ministres africains et de décideurs des plus grandes multinationales américaines et des milieux d’affaires africains. On a ainsi pu recenser la participation de 1.500 responsables, dont 80% issus du secteur privé, six ministres des affaires étrangères ainsi que plus de vingt ministres représentant des secteurs différents et plus de cinquante pays africains. Plus de 450 entreprises américaines étaient présentes et plus de 5.000 mises en relation ont été initiées entre des représentants des secteurs public et privé. C’est d’ailleurs en Août 2022 à Pretoria en Afrique du Sud, que le Secrétaire d’Etat Anthony Blinken, a égrené durant son discours à l’Université de Pretoria, les principaux piliers de la Stratégie américaine envers l’Afrique subsaharienne.

Contrairement à la stratégie de décembre 2018 implémentée par l’administration Trump, qui se voulait plus sélective et orientée sur la sécurité, la nouvelle stratégie des Etats – Unis repose sur le postulat selon lequel «l’Afrique subsaharienne est une force géopolitique majeure, qui a façonné notre passé, façonne notre présent et façonnera notre avenir». Elle souligne l’importance de la démographique croissante de l’Afrique, son poids à l’ONU de même que la diversité de ses nombreuses ressources naturelles et opportunités. Pour les cinq prochaines années, cette stratégie reposera sur quatre objectifs, entre autres : favoriser les sociétés ouvertes; offrir des dividendes démocratiques et en matière de sécurité; travailler au redressement après la pandémie et sur les opportunités économiques; soutenir la préservation et l’adaptation au climat et une transition énergique juste. A l’observation, il semble que le calibrage de cette stratégie ait tenu compte des priorités continentales telles qu’énoncées dans l’Agenda 2063 de l’Union africaine (UA). De ce fait, la mise en œuvre des programmes américains consacrés à l’Afrique et particulièrement de la stratégie américaine en Afrique laisse penser que le nouveau partenariat Afrique – Etats-Unis peut avoir des impacts plus concrets capables d’accélérer l’atteinte des objectifs de développement du continent. Je relève que ces deux dernières années, beaucoup de choses ont évolué. Je note une multiplication des projets transformateurs. Pour ne citer que quelques exemples, l’initiative Prosper Africa a permis depuis 2019 de conclure 800 accords d’une valeur globale de 50 milliards de dollars entre les Etats-Unis et des pays africains dans les domaines du commerce et de l’investissement. La MCC, Millennium Challenge Corporation, l’agence de développement américaine, a quant à elle investi quelques 8,85 milliards d’euros dans 25 pays d’Afrique depuis 2004. En matière de connectivité, grâce au soutien des Etats-Unis et à la collaboration du Gouvernement et des entreprises, le Mozambique est devenu le premier pays africain à utiliser sous licence la technologie Starlink de SpaceX. Une technologie qui recourt aux satellites pour fournir un service Internet, et contribuer à élargir l’accès et à réduire les coûts correspondants pour les habitants des zones rurales du pays. De même, la Société de financement du développement international des États-Unis a investi près de 300 millions de dollars dans le financement du développement, de la construction et de l’exploitation de centres de données en Afrique, notamment en Afrique du Sud. Un contrat de 600 millions de dollars avait ainsi été attribué pour la construction d’un câble de télécommunications sous-marin qui s’étendra sur plus de 17 000 kilomètres – de l’Asie du Sud-Est au Moyen-Orient, en passant par la Corne de l’Afrique et l’Europe, pour offrir des connexions à haut débit, fiables et sécurisées pour les populations de tous les continents. Dans le domaine de la sécurité alimentaire les Etats-Unis se sont engagés à travers l’initiative Feed the Future à investir 11 milliards de dollars sur cinq ans dans 20 pays partenaires, dont 16 en Afrique. Une autre initiative lancée avec la collaboration des Émirats arabes unis devait aussi contribuer à stimuler les investissements et l’innovation dans l’agriculture intelligente
face au climat. Concernant la santé, le PEPFAR qui a bénéficié de plus de 100 milliards de dollars de financement a contribué à sauver la vie d’environ 21 millions de personnes, et faciliter la naissance de cinq millions et demi de bébés séronégatifs. A ce jour, le PEPFAR finance 70 000 cliniques, 3000 laboratoires, 300000 agents de santé et d’innombrables ambassadrices DREAMS, qui aident à protéger les adolescentes et les jeunes femmes du VIH.

De plus, durant la crise coronale, les Etats-Unis ont eu à fournir gratuitement plus de 170 millions de doses de vaccins COVID aux pays africains. Des financements américains ont aussi été engagés dans la construction des installations de production de vaccins au Sénégal. Toujours en lien avec les vaccins, la National Institution of Allergy and Infectious Diseases des États-Unis s’est associée à Afrigen, un organisme sud-africain pour partager son expertise technique en matière de développement de vaccins à ARNm de nouvelle génération, ainsi qu’en matière de traitements. Pour aider les pays africains à faire face au changement climatique, les Etats-Unis apportent également leur accompagnement. Au Ghana par exemple, les partenariats noués ont permis de lancer la construction de la première centrale hybride solaire-hydraulique d’Afrique de l’Ouest. Cette dernière permettra d’améliorer la fiabilité, de réduire les coûts et d’éliminer plus de 47 000 tonnes d’émissions chaque année. De même au Kenya, où 90 % de l’énergie provient de sources renouvelables, les entreprises américaines ont investi 570 millions de dollars dans les marchés de l’énergie hors réseau, et créé 40 000 emplois verts. La jeunesse africaine est elle aussi au cœur des programmes américains. Le réseau YALI qui fournit aux jeunes leaders africains des outils, des ressources, et des interactions virtuelles, compte aujourd’hui plus de 700 000 membres, un nombre qui va grandissement. A terme ce programme pourrait aider à substantiellement renforcer l’esprit critique des jeunes du continent.

Quels sont les objectifs et attentes des deux parties relativement au prochain
Sommet Afrique/ Etats-Unis?
Le Sommet des dirigeants Afrique – États-Unis qui s’est ouvert ce 13 décembre, marquera probablement un tournant dans les relations entre la première puissance mondiale et le continent. Plus que des espoirs, il suscite de grosses attentes pour les deux parties à brève et longue échéance. Je pense que le fait pour les Etats-Unis de focaliser leur vision sur «le dialogue, le respect des valeurs partagées ou des valeurs communes», est une position qui peut retenir l’attention des leaders africains, même si cela tarde encore à bien se matérialiser dans les faits. Mais déjà, je remarque que les desseins collaboratifs annoncés par les EtatsUnis cadrent bien avec les priorités de l’agenda africain actuel influencé par des défis internes et des perturbations externes. En effet, la démarche américaine tend à resserrer les liens avec l’Afrique en mettant l’accent sur des politiques susceptibles de favoriser une nouvelle dynamique économique ; renforcer l’engagement des États-Unis et de l’Afrique en faveur de la démocratie et des droits humains ; atténuer l’impact de la COVID-19 et des futures pandémies ; renforcer la collaboration pour la santé régionale et mondiale ; promouvoir la sécurité alimentaire ; faire progresser la paix et la sécurité ; répondre à la crise climatique ; et amplifier les liens avec la diaspora. Le sommet qui se tient à Washington se présente alors comme un laboratoire pluridisciplinaire où les acteurs gouvernementaux, la société civile, les communautés de la diaspora et le secteur privé, devront concevoir les premières formules à administrer pour parfaire le renouveau de la relation américano-africaine. A ce propos, je constate que le format d’organisation est révélateur des attentes et objectifs poursuivis par le pays hôte et les partenaires africains. Les événements thématiques organisés durant les trois jours nous permettent en effet de voir par qui et comment les priorités devront être adressées.

Permettez-moi donc de revenir brièvement sur ce que prévoit le programme. Cela améliorera aussi la lisibilité des objectifs et attentes réciproques. D’après le programme adopté de commun accord avec les parties africaines, le Sommet durera trois jours, au cours desquels une série de forums sera organisée. C’est donc dans cette logique que pour la première journée, il s’est tenu un forum des jeunes leaders africains et de la diaspora ; un forum de la société civile ; un forum sur la paix, la sécurité et la gouvernance ; un forum spatial civil et commercial États-Unis-Afrique ; ainsi que des sessions sur le climat, l’énergie, l’éducation, la santé et l’industrie créative. Comme on peut s’en douter, le choix des thématiques n’est pas anodin. Les Etats-Unis sont bien conscients de la place qu’occupent les jeunes dans la transformation de l’Afrique et du rôle plus grand encore qui sera le leur dans la gestion des affaires, de même que de l’importance de la diaspora africaine présente sur le territoire américain. Déjà considérée comme la sixième région de l’Union africaine, la diaspora africaine représente aussi bien un gisement de ressources, de création de richesses, qu’un éventuel contrepoids politique. Il est donc compréhensible que l’un des objectifs des Etats-Unis soit de capter les opportunités offertes par les dividendes démographiques et diasporiques venues d’Afrique. L’intérêt des autorités américaines pour une mise en synergie des acteurs de la société civile africaine et américaine s’inscrit aussi dans la poursuite de ses objectifs d’accroissement de son influence. Bien qu’elle soit qualifiée de « porte-voix de la gouvernance », la société civile est aussi une formidable voix de résonnance dont la portée du discours ne cesse de croître en Afrique, et surtout, un partenaire privilégié pour exécuter des projets au plus près des communautés africaines. La proximité des organismes de la société civile avec les acteurs locaux comporte un grand avantage. Les sujets abordés par eux comme la corruption, la violation des droit humains ou l’autonomisation des femmes et des filles etc. ont souvent permis une réappropriation par les politiques. Il ne faut donc pas sous-estimer l’impact des projets financés et/ou réalisés avec le soutien américain. Concernant les questions de paix, sécurité et de gouvernance, la présence de certaines personnalités américaines le premier jour, comme les Secrétaires d’État, de la Défense et l’Administratrice de l’Agence américaine pour le développement international traduit aussi un fort engagement en faveur du renforcement des institutions démocratiques et de la gouvernance, qui pour les Etats-Unis ont un impact sur la paix et la prospérité à long terme.

La deuxième journée du Sommet qui débute est prévue pour être consacrée au Forum des affaires États Unis-Afrique (USABF). Il sera coiffé par le département du Commerce des États-Unis, la Chambre de commerce des États-Unis et le Corporate Council on Africa, en partenariat avec l’initiative Prosper Africa. Dans le prolongement du Sommet des affaires qui s’est tenu à Marrakech en juillet 2022, le forum se veut une plateforme où les entreprises africaines et américaines en priorité, et aussi, les acteurs étatiques, les organisations financières ou encore les chercheurs d’emploi pourront saisir les plus belles opportunités d’affaires et d’emplois en signant des contrats et en faisant du réseautage. Par ce forum, les Etats-Unis ont pour objectifs de promouvoir une croissance et un développement économiques inclusifs et durables sur tout le continent, d’accroître les flux de capitaux et d’encourager l’esprit dynamique d’entrepreneuriat et d’innovation qui prévaut dans toute l’Afrique. Il faut noter que l’inclusion recherchée ici est en partie le fruit d’une recommandation formulée à l’unanimité par les intervenants au Sommet de Marrakech. Ceux-ci défendaient alors l’idée selon laquelle l’accélération du développement économique et la prospérité passaient par la conjugaison des efforts des gouvernements, des institutions
financières multilatérales, des institutions de financement du développement, des fonds souverains ainsi que des investisseurs du secteur privé.

Enfin, la troisième et dernière journée sera réservée aux dirigeants. Il est prévu que le Président Joe Biden puisse s’entretenir avec les personnalités ayant fait le déplacement, sur la cinquantaine de Chefs d’Etat et de Gouvernement, ainsi qu’avec les Chefs de délégation, Représentants d’organisations régionales conviés. Durant les séquences officielles on peut présumer que le Président Biden continuera à militer pour la formation d’un bloc solide entre les Etats-Unis et l’Afrique afin de relever les défis les plus significatifs de notre époque. Il a déjà été annoncé que les Etats-Unis envisageaient d’allouer 50 milliards de dollars supplémentaires pour le financement de divers secteurs en Afrique. De grandes décisions politiques entre les deux partenaires devraient aussi être prises. Beaucoup plus loin des projecteurs, on peut s’attendre à ce que des sujets plus sensibles soient abordés en tête à tête ou en collégialité. Je pense ici à la revendication somme toute légitime de l’Afrique de voir le Conseil de sécurité de l’ONU être réformé. Cette dernière initiative a l’avantage de bénéficier du soutien des Etats Unis, l’un des membres les plus influents du Conseil de sécurité. A cette fin, l’Union africaine avait eu à publier une déclaration en 2005 où les nations africaines avaient collectivement pris une position commune sur la réforme du Conseil de sécurité. Il s’agissait du consensus d’Ezulwini qui déclinait la forme de représentation équitable prônée par l’Afrique au Conseil de sécurité : deux sièges permanents avec le pouvoir de veto, ainsi que cinq sièges non permanents. Les modalités d’une adhésion de l’Union africaine au G20 telles que suggérées par les Etats-Unis pourraient aussi être discutées. De même, les Etats africains pourraient être incités à revoir leurs positions sur la crise russo-ukrainienne au regard de l’enlisement du conflit et des répercussions sur les économies du continent, voire également, à (re)préciser le sens de leur étroite coopération avec la Chine et la Russie, deux puissances que les Etats Unis considèrent comme adversaires, pis comme une menace. Il va de soi que les Etats africains n’entendent pas être passifs ou se laisser dicter une conduite. En particulier sur les questions internationales, à l’exemple de la situation en Ukraine où l’importance de l’aide et les milliards de dollars de financement qui ne cessent d’être rapidement mobilisés, ont pu heurter certains leaders africains au regard des défis humanitaires, sécuritaires et des catastrophes qui sévissent en Afrique, mais qui pourtant ne font pas l’objet d’une aussi grande attention politique et médiatique. Malgré l’atmosphère apaisée qui règne avec les Etats-Unis et l’existence de sujets d’intérêt commun, comme la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU (UNSC) avec une admission des Etats africains comme membres permanents, la reconnaissance du poids du groupe Afrique à l’ONU, la promotion d’une égalité parfaite au sein du système international, ou encore, une meilleure insertion dans les marchés de capitaux étrangers, les Etats africains ont des objectifs et attentes particulières.

Je crois devoir rappeler que les Etats africains sont très au fait de leurs atouts et des avantages comparatifs que ceux-ci peuvent constituer dans leur quête de développement ou rapports avec des partenaires étrangers. L’Afrique a d’immenses ressources naturelles, une diaspora dynamique, une croissance économique et démographique extrêmement rapide par endroit, la plus grande zone de libre-échange grâce à la ZLECAf, des écosystèmes très variés et diversifiés, et surtout, elle constitue l’un des plus grands blocs électoraux régionaux des Nations unies. Dans cette configuration, les objectifs et attentes africaines s’entrecroisent dans des domaines prioritaires classiques, économiques, politiques et sécuritaires, et aussi, nouveaux, en matière de changement climatique par exemple.

Sur le volet économique, l’Afrique entend proposer des stratégies pour une orientation des investissements américains dans des secteurs jugés prioritaires conformément aux buts de l’Agenda 2063. Elle attend aussi des Etats-Unis qu’ils soient un partenaire de confiance, plus respectueux de la logique gagnant-gagnant en affaires. De sorte qu’il puisse avoir une évolution, voire révolution dans les relations commerciales américano-africaines qui demeurent très déséquilibrées au préjudice de l’Afrique, malgré l’existence des programmes successifs visant à encourager les échanges, tels que l’AGOA et les investissements, comme le Trade Africa Initiative ou Power Africa, et dernièrement, le programme Prosper Africa de l’Administration Trump. Les partenaires africains relevant du secteur privé attendent également de bénéficier d’un meilleur accompagnement pour pénétrer le vaste marché américain avec des produits totalement fabriqués en Afrique. En matière politique, comme j’ai eu à le souligner, les Etats africains veulent pouvoir s’assurer du soutien des Etats-Unis pour consolider leur place dans le système international, en particulier onusien, évidemment à des conditions raisonnables. Ils seront certainement appelés à jouer la carte de l’apaisement et à vanter les vertus du dialogue pour tenter d’infléchir les velléités que suscitent la rivalité entre les Etats-Unis, la Chine et la Russie en Afrique. Les Etats africains qui ont toujours milité pour une diversification des partenariats dans le strict respect de leur souveraineté et des normes internationales, ne souhaitent pas se retrouver en première ligne, ni continuer à subir les conséquences néfastes de la féroce bataille d’influence qui oppose les grandes puissances sur le continent.

Au regard du climat d’instabilité et de volatilité sécuritaire qui règne actuellement en Afrique, il est probable que davantage de discussions soient menées sur ces questions. Les Etats-Unis ont déjà reconnu avoir une approche de sécurité en Afrique « globale », interministérielle, qui intègre les dimensions militaire, économique et politique, et adopté une stratégie qui s’inscrit dans une logique de renforcement des capacités des partenaires africains à la fois par le financement de nombreux programmes d’assistance destinés à renforcer les instruments de sécurité locaux ; et par le développement de la coopération sur le terrain, entre les armées américaines et leurs homologues du continent. Toutefois, un engagement plus poussé de leur part pourrait s’avérer nécessaire auprès de leurs partenaires africains pour conserver les progrès obtenus dans la lutte contre la piraterie maritime dans le Golfe de Guinée par exemple, dans la lutte contre la radicalisation, l’extrémisme violent, et contre l’islamisme radical, qui de l’Ouest à l’Est africain continue de gagner du terrain. Avec autant de défis, la réforme des modes d’intervention de l’AFRICOM et l’augmentation de ses ressources financières, logistiques et humaines deviennent une urgente nécessité. La volonté de démobilisation d’une partie des troupes de l’AFRICOM qui a un temps été annoncée devient donc contre-indiquée.

Comment la rivalité Chine / Etats-Unis et la guerre en Ukraine affectent-elles les
relations entre les pays africains et les Etats-Unis?
Au risque de me répéter, j’aimerai réitérer que l’Afrique est une « zone à enjeux », un
périmètre continental stratégique pour les Etats-Unis en raison de son potentiel, des intérêts économiques et commerciaux américains, et surtout, de la volonté de ces derniers de conserver le lead en tant que puissance militaire et diplomatique de premier plan dont les actions influencent la scène internationale. Du point de vue des puissances comme la Chine et la Russie, l’Afrique débouche sur une fenêtre d’opportunités et possibilités qu’il n’est absolument pas concevable de négliger. Depuis l’époque où plusieurs pays du continent étaient maintenus sous le joug de la colonisation, des liens étroits avaient été tissés avec des organismes chinois et russes pour faciliter l’émancipation de l’Afrique. Avec le temps et l’apparition de nouveaux enjeux, les rapports entre le continent et ces deux pays se sont approfondis et diversifiés. Aujourd’hui encore, la présence de la Chine et de la Russie aux côtés de l’Afrique ne cesse de se faire remarquer que ce soit dans la mise en valeur des ressources naturelles, la construction d’infrastructures, l’octroi de financements, la formation, l’assistance en matière de sécurité, des échanges culturels ou encore, la défense des intérêts réciproques dans l’arène internationale etc. Il est aisé de constater que cette proximité n’est pas appréciée par d’autres puissances qui comme les Etats-Unis, ne souhaitent vraisemblablement pas/plus rester au banc de touche alors même que le «match du siècle» se joue en Afrique. Même s’il est vrai que des réserves peuvent être soulevées sur les méthodes, stratégies de pénétration et impacts des activités chinoises et russes en Afrique, tout comme cela peut se faire pour d’autres puissances à l’instar des Etats-Unis, il demeure que le choc des puissances qui a lieu sur le continent devient plus compréhensible lorsqu’on use du cadre théorique du réalisme en relations internationales, tel que développé par Hans Morgenthau et Raymond Aron. En matière de relations extérieures, la théorie réaliste rappelle que les Etats qui sont les principaux acteurs des relations internationales sont mus par le souci de préserver leurs intérêts nationaux, d’étendre leur influence et d’accroître leur puissance. Le réalisme selon Aron énonce aussi que la guerre et les conflits sont un prolongement naturel des relations entre Etats, lesquelles sont de nature concurrentielle. La vive rivalité qui s’observe dans le monde, en particulier sur le territoire africain, entre les Etats-Unis, la Chine et la
Russie s’inscrit donc complètement dans ce registre.

En effet, comme le relevait la Chercheuse Aline Lebœuf, la compétition stratégique contre la Chine et la Russie est l’unique horizon de la défense américaine en Afrique, même si cette dernière reste engagée dans la lutte contre les djihadistes. Déjà à l’époque en décembre 2018, lors de la présentation de la stratégie africaine de la Maison-Blanche, le Conseiller à la Sécurité de Donald Trump, John Bolton affirmait que les deux objectifs prioritaires étaient: «contrer la menace du terrorisme radical islamique et les conflits violents» et «contrôler ou contenir les présences chinoises et russes» en Afrique. Dès son arrivée au pouvoir, Joe Biden s’est inscrit dans la continuité et a adopté comme priorité diplomatique en Afrique: «contrer l’influence grandissante de la Russie et surtout de la Chine». Cette posture a plus tard été réaffirmée dans la Stratégie américaine envers l’Afrique subsaharienne en août 2022. Dans ce document stratégique, les Etats-Unis dénoncent dans un ton assez dur les actions posées sur le continent par ses adversaires stratégiques pour reprendre les propos de l’Ambassadrice Linda Thomas Greenfield, en indiquant que «la Chine s’y comporte comme dans une arène pour défier l’ordre international fondé sur des règles, faire avancer ses stricts intérêts commerciaux et géopolitiques (…) et affaiblir les relations des États-Unis avec les peuples et les gouvernements africains». Tandis que la Russie considérerait la région comme «un environnement permissif pour les sociétés para-étatiques et militaires privées, créant souvent de l’instabilité pour en retirer un avantage stratégique et financier», allusion faite au groupe Wagner. Certains observateurs estiment que ces accusations sont quelque peu exagérées, et qu’il s’agit avant tout de stratégies pour saper la réputation de la Chine et de la Russie en
Afrique, et par là pénaliser leur déploiement. Toujours est-il que les rivalités entre ces puissances ne sont pas prêtes de s’estomper.

Il s’avère que l’augmentation de l’influence de la Chine et de la Russie sur le continent reste continue, d’où les préoccupations américaines. Après une baisse de régime, un ralentissement dans la conduite des projets d’envergure comme le projet «Nouvelles routes de la soie», les financements de masse de la Chine recommencent progressivement à reprendre le chemin de l’Afrique. Lors du Forum pour la coopération sino-africaine (FOCAC), qui s’est tenu à Dakar les 28, 29 et 30 novembre, le Ministre chinois en charge des affaires étrangères Wang Yi est venu au nom du Président Xi Jinping, annoncer de nouvelles promesses dans ce sens. La Chine peut se targuer d’avoir de l’avance sur les Etats-Unis sur plusieurs plans. D’après un rapport intitulé «The Three Issues That Will Make or Break the Prosper Africa Initiative» (Les trois enjeux qui vont faire ou défaire l’initiative Prosper Africa), élaboré par Zainab Usman et Katie Auth, respectivement directrice et chercheuse non-résidente au sein du programme Afrique de Carnegie Endowment for International Peace, les échanges commerciaux entre les Etats-Unis et l’Afrique ont diminué depuis 2009, lorsque Pékin est devenu le premier partenaire commercial du continent au détriment de Washington, passant d’un pic de 142 milliards de dollars en 2008 à seulement 64 milliards de dollars en 2021.Quant aux IDE américains en Afrique en 2020, ils s’élevaient à 47,5 milliards de dollars, soit 5,2 % des investissements mondiaux des États-Unis. Le même rapport précise également que «la présence des entreprises américaines sur le continent est non seulement inférieure à celle de leurs homologues chinoises, mais aussi, à certains endroits, à celle des pays comme la Turquie et l’Inde». Cependant, je pense qu’à bien y regarder, c’est plus la concentration des financements chinois dans des secteurs jugés stratégiques, comme dans les ressources extractives (métaux stratégiques et terres rares), infrastructures, ports, télécoms etc. qui maintient les Etats-Unis et
d’autres puissances occidentales en alerte.

La méfiance de ces puissances est partiellement partagée par les africains eux-mêmes. Dans la mesure où certaines pratiques sont régulièrement décriées à l’instar du non- respect des droits humains, le peu d’égard pour l’environnement et des violations répétées des législations nationales. Aussi, dans le secteur portuaire par exemple, une étude de 2019 du Center for Strategic and International Studies (CSIS) avance que les investissements chinois dans ce secteur constituent aussi bien une menace «pour l’influence des Etats-Unis» que pour «la souveraineté» des Etats africains. Plusieurs ports logés dans le pourtour du Golfe de Guinée dans lesquels la Chine a pu être investisseur, constructeur ou opérateur des installations sont ainsi en ligne de mire. Beaucoup craignent qu’en plus de l’intérêt commercial et géoéconomique que ces ports peuvent procurer, leur contrôle ne donne en aucun jour un point d’ancrage à la marine militaire chinoise. Même si pour l’instant, Pékin ne possède qu’une seule et unique base militaire sur le continent, à Djibouti, quand d’après le magazine The Intercept, les États-Unis à travers AFRICOM disposeraient d’au moins 34 sites sur le sol africain où sont déployés plus de 6 000 soldats. La plupart situés en Afrique de l’Ouest, dans la Corne de l’Afrique et en Libye. Concernant la Russie, les mêmes griefs lui sont reprochés, à la seule différence que le Kremlim s’évertue plus à restaurer des relations de coopération sécuritaire, en perte de vitesse par endroit. Les russes avancent plus leurs pions dans le secteur de la sécurité, avec la fourniture d’équipement militaire et d’assistance technique. Plusieurs pays africains ont d’ailleurs signé des accords de coopération avec eux. On peut ainsi citer sans exhaustivité, le Cameroun en avril 2015 (accord actualisé depuis lors), le Ghana en juin 2016, la Gambie en septembre 2016, la Guinée en avril 2018, la Sierra Leone en août 2018, la RD Congo en mai 2019 etc.

L’actualisation de ces accords de coopération est perçue par les adversaires de la Russie comme un moyen pour Poutine de remettre son pays en lice en Afrique et de conserver ses alliés tout en débauchant de nouveaux soutiens dans les batailles diplomatiques et stratégiques menées par la Russie. C’est sans doute cette logique qui a justifié la tenue d’un premier Sommet Russie-Afrique, en octobre 2019, et plus récemment les tournées africaines de Sergei Lavrov, le Ministre russe des affaires étrangères. Le rapprochement de la Russie de l’Afrique est d’autant plus scruté depuis l’engagement des sociétés militaires privées russes dans les opérations militaires en Afrique et dans la sécurisation des personnes et des biens, à l’exemple du groupe Wagner actif au Mali et en République centrafricaine. De nombreux observateurs et des rapports ont accusé le groupe Wagner d’exactions et de violation systématique des droits de l’homme, sans que pour autant son implication ne soit retenue par les dirigeants des pays en question. Nonobstant cela, le sujet qui rencontre à l’heure actuelle le plus de résistance dans le camp mené par les Etats-Unis dans les Etats africains, est assurément le faible désir ou refus de ces derniers de condamner et prendre des mesures de rétorsion pour manifester leur désapprobation des hostilités engagées entre la Russie et l’Ukraine. Pour ma part, ce refus de prendre des sanctions et ouvertement position pour un camp ou pour un autre doit en réalité être compris comme une volonté des Etats africains d’amener les parties belligérantes à renouer le dialogue, à privilégier le compromis et à s’engager dans un processus de paix, plutôt que d’encourager une escalade de la violence, et une sur médiatisation orientée au bénéfice d’une partie en conflit, et qui au final risquerait de déboucher sur une crise encore plus grave. L’Afrique est mieux placée pour porter le discours de l’apaisement. C’est le continent qui subit de plein fouet les conséquences de la guerre en Ukraine du fait de la perturbation des chaînes d’approvisionnement, et de la flambée des prix des matières premières et des produits de base.

Vous conviendrez donc avec moi que toutes ces tensions affectent négativement l’évolution de l’Afrique et le quotidien de ses populations. Ces tensions se répercutent malheureusement aussi dans les relations bilatérales de nature diplomatiques et économiques. J’ai encore en mémoire le clash qui a opposé les Ambassadeurs américains et chinois en poste à Kinshasa (RDC), à la suite des révélations sur ce qu’on a appelé le contrat du siècle sino-congolais pour parler de la conclusion d’un méga-contrat en 2008 portant sur le cuivre et cobalt congolais, des minerais très prisés par les grandes industries de pointe chinoises et américaines. Les relations américano-africaines se trouvent aussi affectées par la concurrence qui apparaît entre ces puissances au moment de l’endossement des prétentions portées par l’une d’elles au sein des instances internationales. Le cas ukrainien illustre bien ce phénomène. En somme les rapports entre les Etats-Unis et l’Afrique aussi privilégiés qu’ils puissent être en ce moment, pâtissent de l’instrumentalisation des perturbations internationales par les puissances concurrentes, et aussi, des contre-performances provoquées par des rivalités qui embrassent désormais tous les secteurs d’activité. Il est peu probable que les Etats-Unis lâchent du leste en Afrique, surtout à une période aussi charnière. Seulement, l’efficacité de son action extérieure reste conditionnée par sa politique intérieure, l’interventionnisme du Sénat et de la Chambre des représentants qui ont un mot à dire sur le budget du Président des Etats-Unis.
Quels sont les axes et acteurs principaux autour desquels pourrait se renouveller
fondamentalement le partenariat entre l’Afrique et les Etats-Unis ?

L’avènement de nouvelles formes de coopération entre les Etats-Unis et l’Afrique, plus soucieuses des priorités communes via ce qui a été baptisé le partenariat du XXIe siècle exige une profonde et transversale rédéfinition de tout ce qui se faisait à ce jour. Certes quelques politiques et projets novateurs doivent être conservés, mais il est indispensable de les mettre à jour en améliorant leur inclusivité. Je pense qu’il n’est pas surperflu de rappeler ici que l’Afrique est le continent qui connaît la croissance la plus rapide au monde. D’ici 2030, le continent comptera près de 1,7 milliard d’habitants, soit un cinquième de la population mondiale. Le taux élevé des jeunes qui y résident augmente les possibilités, et aussi les défis. Ces derniers qui se superposent aux enjeux mondiaux, concernent l’accès simplifié aux financements, le maintien d’un climat de paix qui entretiendrait la prospérité, une meilleure prise en compte des droits humains et de la gouvernance, le développement des infrastructures et de l’écosystème technologique, l’amélioration des conditions de santé et d’éducation, le renforcement des dispositifs normatifs ou encore, la promotion d’un multilatéralisme plus participatif. De mon point de vue, si on veut avoir une chance de convenablement relever lesdits défis, il faudra impliquer à la fois, les acteurs publics, les organisations multilatérales, le secteur privé, la société civile, les femmes et les jeunes, ainsi que les communautés de la diaspora. Dès lors qu’on conviendra de le faire, il deviendra plus évident de trouver des moyens pratiques pour atteindre les objectifs communs en matière de relations économiques, commerciales et d’investissement, de paix et sécurité, de démocratie, de sécurité alimentaire, dans la santé et l’humanitaire, de changement climatique, voire de coopération transversale avec l’UA par exemple. Si vous n’y voyez pas d’inconvénients, je voudrais dire quelques
mots sur chacun de ces axes.

Dans le cadre des relations économiques, commerciales et d’investissement américano-africaines, il subsiste des déséquilibres malgré l’immense potentiel reconnu aux deux partenaires. Avec la mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine composée de 54 pays, l’Afrique est partie pour être le cinquième bloc économique du monde par la taille. Cela donne nécessairement droits à des opportunités en termes d’emplois, de consommation, d’innovation et de pouvoir pour peser dans une économie mondialisée. Toutefois, à ce jour plusieurs régions africaines prises individuellement n’arrivent pas à compétir ou à s’associer avec certains mastodontes américains. L’Afrique subsaharienne par exemple, ne représente que 2 % de la production et 3 % du commerce dans le monde, alors qu’elle compte 17 % de la population mondiale. Ce qui m’amène à dire que le partenariat commercial de l’Afrique avec les États-Unis doit être repensé, réformé de long en large. Je suis de ceux qui pensent que ce chantier doit débuter par l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), l’accord préférentiel le plus important qui lie les Etats africains aux Etats-Unis. Ce dernier pressenti un temps comme un outil de transformation économique par l’intermédiaire des exportations, présente à ce jour un bilan mitigé auprès de la majorité des parties africaines.

En effet, en 2018, une bonne partie des exportations africaines vers les États-Unis était concentrée sur les ressources extractives, le pétrole, le gaz et les produits pétroliers représentant 73 % des importations américaines en provenance de la région dans le cadre du programme. Alors que des importations avec les mêmes droits sur des ressources américaines étaient inenvisageables. A cela, il faut ajouter que l’éligibilité des pays à l’AGOA est déterminée annuellement par le Gouvernement américain, par une décision insusceptible de recours, ce qui contribue à renforcer le caractère imprévisible du marché américain pour les exportateurs africains. Il faut dire que le pouvoir discrétionnaire des Etats-Unis en la matière a souvent porté préjudice aux parties africaines, en particulier lorsque celui-ci était utilisé à des fins politiques comme mesures de rétorsion contre des Etats en désaccord avec Washington. Cela s’est vu avec le Rwanda, Madagascar, la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie, le Cameroun etc. La fin de la dérogation accordée par l’OMC le 30 novembre 2015 à l’AGOA, arrivant à échéance le 30 septembre 2025, date d’expiration du régime lui-même, et les Etats-Unis ayant manifesté leur volonté de voir l’AGOA céder place à de multiples accords bilatéraux de libreéchange, je crois qu’il importe pour les parties africaines de «faire bloc et de parler d’une seule voix», pour négocier un accord de libre-échange unique entre les Etats-Unis et l’Afrique prise comme une seule entité. Il s’agit d’ailleurs là d’une option plus conforme aux engagements souscrits par les Etats africains au sein de l’Union africaine.

Cela étant dit, le partenariat entre l’Afrique et les Etats-Unis doit s’approfondir sur d’autres sujets à forte valeur ajoutée. Par exemple dans le secteur des technologies numériques, y compris par le biais du commerce électronique au sens large, en privilégiant le transfert de technologie, et en veillant à la protection des données sensibles. Il doit aussi tenir compte des besoins réciproques et des avantages comparatifs. Ainsi donc, des relations d’affaires devraient être multipliées dans le secteur privé, entre les membres de la diaspora et le continent, les promoteurs de petites et moyennes entreprises, entre les opérateurs des services financiers, acteurs de l’industrie pharmaceutique, sociétés extractives, énergéticiens, sociétés de BTP pour la construction des infrastructures de qualité. Il me semble que les atouts de la diplomatie économique et commerciale ne sont pas suffisamment exploités par les deux partenaires. Il serait donc opportun de renforcer la présence des services commerciaux extérieurs auprès de chaque partie. Ces derniers pourront faciliter la multiplication des Hub commerciaux spécialisés dans les produits américains et africains.

Evidemment tout cela ne pourra être possible que si les Etats-Unis et les Etats africains s’engagent de bonne foi à lever certains obstacles, au nombre desquels figure la dette bilatérale et multilatérale qu’elle soit publique ou privée. En matière de paix et de sécurité, il serait probablement approprié de faire évoluer l’approche indirecte privilégiée par les États-Unis et qui continue d’être expérimentée à travers le concept d’empreinte légère (light footprint). Ce dernier aussi efficace qu’il soit pour rapidement dénouer des situations complexes sur le terrain, ne permet cependant pas de transformer comme il se doit les causes lointaines et immédiates des conflits qui surgissent. La radicalisation, qu’elle soit d’origine islamique ou non et l’extrémisme violent qui donnent lieu aux conflits, sont le fruit d’un mal-être profond qui se conjugue à des lacunes structurelles systémiques. Il faut donc solutionner ces problèmes en mettant l’accent sur la prévention et satisfaction des besoins. Il est intéressant de savoir que les Etats-Unis s’investissent dans ce domaine. Comme l’a relevé Bakary Sambe, le Directeur de Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies (Dakar, Niamey), ce pays a mis en place le programme le plus poussé en matière de prévention dans la zone sahélienne. Il s’agit du « Projet Partenariat pour la paix P4P » – développé par USAID qui accompagne le G5 Sahel et aide des pays comme le Burkina Faso, la Centrafrique et le Niger à mettre en place des politiques de prévention de l’extrémisme violent. Ce programme a ainsi contribué ces dernières années à l’élaboration des stratégies de prévention de l’extrémisme violent. Les États-Unis ont en outre financé l’élaboration d’un guide régional pour la prévention de l’extrémisme violent, au sein du G5 Sahel. En tant que pays membre de l’Alliance pour le Sahel, les Etats-Unis envisagent également d’établir de nouveaux partenariats avec les donateurs, le secteur privé et le gouvernement hôte afin de renforcer les initiatives de développement et de réforme au Sahel, de même que pour lutter contre l’insécurité croissante en Afrique de l’Ouest.

Sur les aspects purement militaires, je pense que les Etats-Unis devraient élargir leur
entendement de la notion «d’Etats clés», par exemple, en agrandissant la liste des pays africains (anglophones, francophones, lusophones) déjà parties prenantes à la résolution des conflits ou non, et pouvant bénéficier de leurs expérience et expertise durant des événements majeurs. Je fais référence ici au plus grand exercice militaire conjoint (l’exercice militaire international « African Lion ») qui a l’habitude d’être co-organisé par le Maroc, pays hôte depuis 2004. Comme a pu le préciser le Général Townsend d’AFRICOM, cet exercice a d’abord pour objectif «d’améliorer le niveau de préparation, les compétences des armées participantes et de renforcer les partenariats ». Il consiste en des manœuvres terrestres, aéroportées, aériennes, maritimes, de décontamination NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique) et d’assistance médicale et humanitaire.

Je dois enfin dire qu’en s’inspirant des recommandations formulées lors du Sommet pour la démocratie tenue à Washington en décembre 2021 et d’après les échos qui nous reviennent du forum sur la paix, la sécurité et la gouvernance organisé lors de la première journée du Sommet des dirigeants, des réaménagements devraient continuellement s’opérer sous l’impulsion des Etats-Unis et des Etats africains en matière de renforcement des institutions et des valeurs démocratiques, de gestion des institutions militaires par des civils, de responsabilité et respect des droits humains, et d’implication des femmes, des jeunes et de la société civile dans la consolidation de la paix.

Ces derniers aspects tombent à point nommé dans un contexte où les assauts contre la paix aussi bien dans les pays africains, qu’en Ukraine, ont de graves conséquences sur les populations. En effet, en plus de la fragilité liée à l’existence de plusieurs conflits internes, la crise russo-ukrainienne est venue accentuer l’insécurité alimentaire qui règne dans certains territoires africains. Au regard des catastrophes que cela entraîne, il serait tout à fait juste que les nouvelles modalités de coopération entre les Etats-Unis et l’Afrique s’intéressent de plus près à ces problèmes. Les Etats-Unis ont initié le programme Feed the Future dédiée depuis 15 ans à l’amélioration à long terme de la sécurité alimentaire, en particulier avec des partenaires de toute l’Afrique. Ils ont aussi annoncé un supplément de 215 millions de dollars pour l’aide alimentaire d’urgence en Algérie, au Cameroun, en Ouganda, au Zimbabwe, en Mauritanie, au Nigeria, au Burkina Faso, au Rwanda, en Tanzanie et au Kenya, entre autres pays. En avril 2022 l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), a
décidé de fournir plus de 311 millions de dollars d’aide humanitaire supplémentaire pour soutenir les personnes vulnérables dans les régions du Sahel et du bassin du lac Tchad. Le financement supplémentaire annoncé aujourd’hui permettra aux partenaires de l’USAID de fournir une aide alimentaire et nutritionnelle d’urgence à plus de 3,8 millions de personnes. Mais ces montants et l’action unilatérale d’un pays ne permettront pas de renforcer la résilience agricole sur le long terme. Il est donc souhaitable que les Etats africains et les EtatsUnis mobilisent d’autres partenaires et institutions multilatérales, de même nature que la Banque africaine de développement (BAD) qui a mis en place un plan d’un milliard de dollars pour aider 40 millions d’agriculteurs africains à utiliser des technologies résistant au climat et accroître les rendements des cultures.

A l’heure de la pression due au changement climatique, il n’est vraiment plus acceptable de lésiner sur les moyens et options à prendre. La COP27 qui a eu lieu il y’a quelques semaines en Egypte est venue nous rappeler d’écouter notre instinct de survie et de coopérer pour faire comme l’a si bien dit le Président Joe Biden, «des progrès vitaux d’ici la fin de cette décennie» et avoir une chance d’échapper en commun à un funeste destin. Toutefois, j’aimerai rappeler que même dans cette quête de survie il est nécessaire que chaque partie puisse y apporter du sien. Les États-Unis comptent environ pour 4% de la population mondiale et contribuent à hauteur d’environ 11 % des émissions mondiales, ce qui les placent au deuxième rang des pays émetteurs après la Chine. Parallèlement, l’Afrique subsaharienne, qui représente 17 % de la population mondiale, ne produit que 3% des émissions. Même s’il pèse une responsabilité plus lourde sur les Etats-Unis, ses partenaires africains doivent pouvoir trouver le moyen de travailler en bonne intelligence pour mener le combat de l’adaptation et renforcer leur résilience en recourant autant que possible aux énergies dites propres.

Le dernier axe de consolidation de la relation partenariale américano-africaine qu’il me semble important de mentionner est relatif au resserrement des liens entre les Etats-Unis, l’Union africaine et les regroupements politiques et économiques sous-régionaux. Avec l’Union africaine en particulier, je ne peux que saluer la coopération plus transversale annoncée à la suite du huitième dialogue annuel de haut niveau entre les États-Unis et la Commission de l’Union africaine, organisé en mars 2022 à Washington. Le Président de la Commission de l’Union africaine Moussa Faki Mahamat prenant part au sommet des dirigeants, on peut espérer qu’il obtienne des Etats-Unis un soutien plus prononcé à la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) et un engagement plus significatif pour la mise en œuvre des programmes et projets de l’Agenda 2063 pour parvenir à un développement économique inclusif et durable, et mettre en place des chaînes de valeur régionales tout en stimulant la compétitivité et les perspectives d’investissement pour un bénéfice mutuel.

Au plan bilatéral, ce Sommet n’est-il pas une opportunité pour renforcer les liens
entre le Cameroun et les Etats-Unis?

Effectivement, la participation du Président de la République, Son Excellence Paul Biya, au Sommet des dirigeants qui se tient depuis deux jours à Washington, sur invitation de son homologue américain témoigne d’une sorte d’alignement des points de vue sur les sujets essentiels qui intéressent le Cameroun et les Etats-Unis. La symbolique de ce déplacement est assez forte après une limitation des mouvements des très hauts responsables à l’extérieur à cause de la Covid-19. Comme j’ai eu à l’évoquer, le Président Joe Biden a une bonne connaissance de l’Afrique et dont de ses dirigeants emblématiques, au nombre desquels figure le Président Biya, qui comme vous le savez aussi bien en Afrique que dans le reste du monde jouit d’une très grande considération, et est apprécié pour son expérience et sa pondération. Dès sa prise de fonction en janvier 2021, le Président Biden a montré des signes d’un intérêt particulier pour le Cameroun, leader de la CEMAC et pour l’évolution de sa situation économique et socio-sécuritaire. La nomination depuis le 19 avril 2021 par le Président de S.E Christopher John Lamora, comme Ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique au Cameroun traduisait déjà sa volonté de renouer le contact après presque trois années (2017) où le poste était occupé par une Chargée d’affaires ad interim. En accordant sa confiance à Son Excellence Lamora, sans doute les autorités américaines ont voulu mettre à la disposition de Yaoundé un interlocuteur de confiance, capable de comprendre le contexte sans se laisser influencer par des préjugés ou par une certaine propagande, et surtout apte à échanger sur place avec des personnes dignes de foi. S.E Christopher John Lamora qui assume ce rôle a présenté la Copie Figurée de ses Lettres de Créances au Ministre camerounais des Relations Extérieures, S.E Lejeune Mbella Mbella, le 21 mars 2022.Il se trouve aussi qu’il connaît bien le Cameroun pour y avoir été en poste au Consulat général de Douala entre 1992 et 1993. Bien que peu de temps se soit écoulé, je peux affirmer que sous l’ère Biden, les rapports entre le Cameroun et les Etats-Unis connaissent une positive évolution. Les deux pays sont des partenaires qui s’apprécient. Ils entretiennent des relations diplomatiques depuis 1957. Il s’agit donc de relations privilégiées très anciennes qui ont plusieurs fois été magnifiées par des visites présidentielles et de hautes personnalités dans les deux pays. A ce jour, la coopération entre les deux pays reste très dynamique. Les Etats-Unis étant d’ailleurs l’un des pays où la diaspora camerounaise est la mieux représentée.

A l’occasion d’un Sommet des dirigeants Afrique – Etats-Unis, il était donc logique que le Président de la République soit convié parmi d’autres leaders africains de premier ordre. Depuis son arrivée, le Président Paul Biya fait l’objet d’une grande attention de la part des hauts responsables politiques et économiques américains. Dèjà à la veille du début du Sommet, soit le 12 décembre, il a été invité à prendre la parole lors d’une table ronde privé sous le thème : «Comment la finance peut constituer un atout à l’égard des défis pressants et des opportunités de l’Afrique et contribuer à la résolution des problèmes apparemment sans solution à l’échelle mondiale?». Le thème plutôt évocateur de cette assise lui a donné l’opportunité de donner sa lecture et de proposer des solutions pérennes aux problèmes posés. Après avoir dénoncé les maux qui minaient l’utilisation optimale des finances, au nombre desquels figurent l’existence d’un cadre juridique et réglementaire très contraignant, la mise en gage des ressources naturelles et une orientation aujourd’hui dépassée de l’aide publique au développement, le Président Paul Biya a suggéré à l’ensemble des parties prenantes de consentir à mobiliser des volumes de capitaux plus importants sur le long terme, d’acter la transformation des ressources naturelles dans les lieux de leur extraction, et de mettre en place un marché local des capitaux susceptible d’offrir des outils adaptés au financement du développement en Afrique.

Par ailleurs, durant le premier jour du Sommet, le 13 décembre, le Président Paul Biya a exprimé ce qui selon lui semblait être la voie à suivre en matière spatiale. C’était lors du Forum sur la coopération civile et commerciale entre les Etats-Unis et l’Afrique dans le domaine spatial. Il a ainsi relevé qu’au regard des défis posés par la maitrise de la technologie pour faciliter la vie en commun, et aussi, assurer l’avenir de l’humanité, un usage démocratisé de la technologie spatiale à travers les outils satellitaires et numériques constituait une chance dont qui devrait bénéficier le plus grand nombre.

Puisque la troisième journée du Sommet qui se tient ce jour doit être ponctuée par des discussions plus formelles entre dirigeants sur les enjeux mondiaux et régionaux, il ne fait pas de doute que le Président ne manquera pas de donner son avis. Mais déjà, on peut s’attendre à ce qu’il reste fidèle aux positions et valeurs partagées par le Cameroun, relativement à la promotion du dialogue et du recours aux modes pacifiques pour la résolution des différends, ou encore, à l’expression d’une solidarité agissante. Il est clair qu’en dehors des thématiques globales, le Président Paul Biya s’attardera sur la situation du Cameroun. En particulier, en matière sécuritaire et économique. Dans le premier cas, c’est-à-dire socio-sécuritaire, j’observe une diminution considérable de la violence, même si des fractions armées restent actives et dangereuses, et que les défis humanitaires demeurent urgents, que l’on soit au Nord-Ouest et Sud-Ouest, ou à l’Extrême-Nord. Sans doute aussi, le Président ne manquera pas d’apprécier les résultats obtenus par le soft power de la diplomatie camerounaise qui a permis il y’a à peine quelques semaines d’attraire devant la justice américaine plusieurs individus d’origine camerounaise accusés d’avoir financer, acquis et fait convoyer illégalement des armes à destination des groupes armées qui sévissent au Cameroun. Une étape supplémentaire pourrait être de plaider pour une extradition des personnes incriminées et pour une recherche plus active sur le sol américain des autres personnes impliquées dans ces actes criminels. En outre, les autorités américaines ayant désormais des informations plus conformes aux réalités du terrain au Cameroun, des discussions seront probablement engagées pour aboutir à la levée des sanctions prises à l’endroit des forces de défense et de sécurité, notamment, concernant la suspension des programmes de formation de certains corps d’élite, la validation des contrats portant sur du matériel militaire et la réévaluation de l’aide militaire octroyée par l’administration américaine au Cameroun.

Dans le domaine économique, par contre, le plaidoyer devrait tout d’abord porter sur la réintégration du Cameroun dans le système préférentiel de l’AGOA dont il avait été suspendu en 2019.Ensuite, la délégation camerounaise devrait sous la houlette du Président Paul Biya poursuivre les négociations sur l’ouverture effective d’un Trade and Investment Hub américain pour l’Afrique Centrale à Douala ; le projet de mise en place d’un showroom des produits agroalimentaires à Philadelphie aux USA dont les négociations sur le financement sont en bonne voie ; et enfin, le Projet de réouverture du Consulat Honoraire du Cameroun à Houston.

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