Lendemains de coup d’Etat au Gabon : règlement de comptes contre les commerçants camerounais, maliens, béninois et sénégalais
Les éclairages de Valentin Laissoubo, homme d’affaires camerounais.

Vous êtes un commerçant exerçant dans la sous-région Afrique centrale. Le Gabon est l’un des pays où vous menez une grande partie de vos activités. Le coup d’État vous a-t-il trouvé à Libreville?
Je sortais à peine du Gabon quand le coup d’État a eu lieu. Mais j’y étais tout le long de la campagne électorale. Étant commerçant, j’avais de la marchandise à liquider et en plus il y avait le fisc à gérer. S’agissant du coup d’État, à 4 heures du matin, j’ai regardé la télévision nationale gabonaise quand on proclamait les résultats des élections générales. Après la victoire d’Ali Bongo Ondimba, je faisais déjà autre chose. Quelques minutes après, un de mes compatriotes avec qui nous vendons à Libreville m’appelle et me demande de mettre Gabon 24 (G24), et là je vois des hommes en tenue prendre la parole pour dire qu’ils mettent fin au régime Bongo. Je souligne d’ailleurs que j’ai personnellement reconnus quelques-uns de mes amis. Bref, j’ai appris la nouvelle très tôt, mais comme une personne lambda.
Ce putsch a-t-il impacté vos activités?
Bien évidemment, nos activités ont été affectées parce qu’il y a eu une légère fermeture des frontières. Mais aujourd’hui, la situation se rétablit un peu. Je tiens à souligner qu’il ne fait pas encore bon vivre là-bas, surtout pour nous les commerçants. Cette situation s’explique peut-être parce que le pays est suspendu à l’actualité politique qui est crispée. En plus, il y a le couvre-feu qui entre en vigueur à partir de 18 heures dans les quartiers voisins du Palais. Bref, nos employés expliquent que les journées commerciales sont très courtes.
Vos magasins se trouvent-ils dans les endroits où le couvre-feu commence tôt?
Nos lieux de commerce se trouvent à l’intérieur de Libreville. L’axe visé par le couvre-feu de 18 heures est celui qui débouche sur le Palais présidentiel et le boulevard du bord de mer. Cette situation entrave gravement nos activités parce que la classe moyenne et la haute classe constituent 70% de nos clients et empruntent la voie qui mène à des quartiers huppés. Bref, nos gros clients ne sortent pas. Nous prions pour que la situation redevienne normale, parce que nous commençons à ressentir les méfaits de ce couvre-feu en tant que commerçants.
Quelle est l’ambiance qui prévaut au niveau de la frontière Cameroun-Gabon, et même des ports gabonais?
Au niveau des frontières, nous rencontrons des difficultés. Le délai d’acheminement des marchandises est long! Il est déjà impossible d’effectuer ce trajet par route en 18 heures comme à l’accoutumée, le couvre-feu occupe le reste de temps. Pour un voyage habituel d’environ 20 heures d’horloge, on fait actuellement en 48 heures, voir 72 heures si on ajoute les moments de repos des chauffeurs. Cette situation concerne également les voyageurs terrestres, puisque les petites voitures ne circulent plus; les agences sont prises d’assaut et vous connaissez les tracasseries qui peuvent arriver avec l’augmentation des prix. S’agissant des ports, en dehors des échanges brassicoles, le Gabon a suspendu les échanges de marchandises avec le Cameroun depuis le naufrage d’un ferry en mars dernier.
Quel est le type de marchandises que vous commercez là-bas?
La marchandise est diverse; je transporte les produits secs comme la provende, le maïs, le couscous de manioc, les condiments, certaines variétés de riz, le haricot. Il y a bien évidement les animaux comme les chèvres, moutons et bœufs. Mais en ce qui me concerne, je peux dire que le trafic est actuellement de l’ordre de 60% par rapport à ce qu’il était avant le coup d’Etat. Je croise les doigts pour que tout redevienne normal.
Connaissez-vous des commerçants camerounais ou des autres pays africains en difficultés au Gabon?
Bien sûr, parce que le discours du président de transition a été mal compris par ses compatriotes. Des Gabonais véreux en profitent pour régler des comptes aux étrangers, surtout pour l’occupation des espaces et comptoirs dans les marchés. Ils disent exactement que «notre nouveau papa a dit que désormais, c’est 80% pour les Gabonais et 20% pour les étrangers (80-20). On doit reprendre nos terres». Ils estiment qu’ils sont déjà assez mûrs pour mener un certain nombre d’activités comme le commerce. Cette situation crée des tensions avec les autres africains à savoir: Béninois, Maliens, Sénégalais. Personnellement, je ne suis pas visé parce que je fais mon commerce dans les lieux privés, détenus par les Gabonais.
Avez-vous une marchandise bloquée dans un port ou à la frontière gabonaise?
J’ai une marchandise bloquée à Port-Gentil. Elle attend l’autorisation pour entrer dans le marché gabonais. Elle se trouve stationnée dans ce port depuis le mois de mars. Après le naufrage, le coup d’État complique encore plus les choses. C’est une cargaison de bétail, heureusement qu’on avait un stock important de provende qui se trouve dans le bateau. Il était destiné à la vente, mais nous sommes obligés de nourrir le bétail avec. En termes de vaccins, nous ne rencontrons pas encore de problèmes parce que nous pouvons visiter nos bêtes et intervenir en cas de maladie. Mais cela a un coût financier énorme et nous sommes une dizaine à vivre cette situation.
Interview réalisée par
André Gromyko Balla