À la veille de la troisième édition de la Semaine de l’Afrique des solutions, qui se tiendra du 24 au 25 novembre à Paris, Hilaire Massoma Ma Mbia, expert financier camerounais, évoque les défis et les ambitions de l’Afrique centrale dans la construction d’un continent plus souverain et créatif. Rencontre avec un stratège convaincu que l’heure de la responsabilité africaine a sonné.
Vous serez l’un des principaux intervenants à la Semaine de l’Afrique des solutions. Que représente cet événement pour vous et pour l’Afrique centrale ?
Cet événement est bien plus qu’un forum : c’est une plateforme d’expression pour une Afrique centrale qui ne veut plus être définie par ses manques, mais par ses solutions. Le Congo y portera un message clair : notre région, l’Afrique centrale, a les ressources, les talents et la créativité nécessaires pour contribuer pleinement à la transformation du continent. Nous venons à Paris non pas pour quémander, mais pour partager ce que nous faisons, ce que nous inventons, ce que nous rêvons de bâtir.
Vous parlez souvent d’ « Afrique des solutions ». Concrètement, que signifie ce concept dans le contexte de l’Afrique centrale ?
C’est une philosophie avant d’être une stratégie. L’Afrique des solutions, c’est l’idée que nous devons cesser de regarder nos défis comme des fatalités. L’Afrique centrale, par exemple, possède une biodiversité exceptionnelle, un potentiel énergétique unique, une jeunesse créative. Pourtant, nos économies restent trop dépendantes des matières premières et des cycles mondiaux. La vraie solution, c’est de transformer localement, d’investir dans la recherche, la formation, la technologie. Nous devons passer de la rente à la production, de l’imitation à l’invention.
Quels sont, selon vous, les principaux freins à cette ambition régionale ?
Le premier frein, c’est l’intégration régionale encore incomplète. Nos marchés sont fragmentés, nos politiques parfois contradictoires. La CEMAC a fait des progrès, mais nous devons aller plus loin dans la mutualisation des ressources et la circulation des talents.
Le second obstacle, c’est la gouvernance économique. Nous avons besoin de transparence, de continuité et d’institutions capables de soutenir l’innovation sans la bureaucratiser.
Enfin, il y a une contrainte culturelle : nous doutons encore de nous-mêmes. Tant que l’Afrique centrale ne croira pas profondément en sa propre intelligence collective, elle ne pourra pas devenir un moteur continental.
Votre parcours personnel illustre justement cette passerelle entre l’expérience internationale et l’action publique. Comment mettez-vous cette expérience au service du Cameroun ?
J’ai eu la chance de travailler pour des institutions comme la Banque mondiale, BNP Paris ou le groupe Thalès. J’y ai appris la rigueur, la planification stratégique et la gestion de la complexité. Aujourd’hui, mon rôle est de traduire ces savoirs en politiques concrètes. Cela passe par la modernisation du secteur financier, la création de cadres favorables à l’investissement et le renforcement de la planification nationale. Mon objectif est simple : faire du Cameroun un laboratoire de solutions africaines.
Le thème de cette édition est « S’unir pour l’Afrique des solutions ». Pensez-vous que l’Afrique centrale soit prête à cette union ?
L’union n’est pas une option, c’est une urgence. Les grands défis (climat, numérique, industrialisation) dépassent les frontières nationales. Aucun pays d’Afrique centrale ne peut les relever seul. Nous devons repenser notre modèle de coopération régionale, avec des projets transfrontaliers concrets : infrastructures communes, corridors logistiques, universités régionales d’excellence. Le potentiel est là, les intentions aussi. Ce qui manque parfois, c’est la discipline collective. Nous devons apprendre à construire ensemble, sans compétition inutile. L’Afrique des solutions sera collective ou ne sera pas.
Vous insistez souvent sur le rôle de la jeunesse. En quoi la jeunesse d’Afrique centrale peut-elle être un levier de transformation ?
C’est le cœur battant de notre avenir. Nous avons une population jeune, connectée, entreprenante. Dans tous les pays de la sous-région, des jeunes inventent des outils numériques, des applications agricoles, des modèles d’économie circulaire. Mais ces talents se heurtent à des obstacles : manque d’accès au financement, faiblesse de l’accompagnement, inertie administrative. Il faut leur ouvrir la voie. L’État doit devenir un facilitateur et non un frein. J’aime dire que la jeunesse n’est pas une catégorie sociale, c’est une force politique et économique. C’est elle qui portera la véritable révolution africaine.
Très souvent, vous évoquez la nécessité d’un « réveil identitaire ». Comment la culture peut-elle contribuer à cette Afrique des solutions ?
La culture est une énergie. Elle donne sens à nos actions, elle nourrit la confiance collective. Trop souvent, on réduit la culture à l’art ou à la tradition, mais c’est aussi un moteur économique.
Nos musiques, nos langues, nos savoir-faire artisanaux, notre art culinaire : tout cela peut générer des emplois, du tourisme, des industries créatives.
Mais surtout, la culture nous réconcilie avec notre valeur. L’Afrique centrale a trop longtemps intériorisé l’idée de retard. Il faut désormais affirmer notre singularité comme une force. Lumineuse est un appel à cette reconquête symbolique : retrouver la fierté d’être Africain, pour pouvoir construire sans complexe.
Les pays de la sous- région font face à des défis économiques et sociaux profonds. Comment concilier ces urgences avec la vision long terme que vous défendez ?
C’est une tension réelle. Il faut répondre à l’urgence tout en préparant l’avenir. Mais je crois qu’il n’y a pas d’opposition entre le court terme et la vision. La vision, c’est ce qui donne du sens aux réformes immédiates. Quand nous investissons dans la digitalisation des services publics, dans la formation des jeunes ou la diversification de notre économie, nous réglons des problèmes d’aujourd’hui tout en construisant le futur. Le vrai danger, c’est la gestion au jour le jour. Le développement durable, c’est avant tout une discipline de continuité.
Vous évoquez souvent la « responsabilité africaine ». Est-ce une réponse à la dépendance extérieure persistante du continent ?
Absolument. Nous devons passer d’une logique d’assistance à une logique de partenariat. L’Afrique ne peut plus être un réceptacle d’aides ou de modèles importés. Nous devons définir nos priorités, négocier nos intérêts et créer nos propres normes. Cela ne veut pas dire se refermer, au contraire. Il faut coopérer, mais en étant maîtres du récit et des choix. L’Afrique des solutions, c’est une Afrique debout, capable de dialoguer d’égal à égal avec le monde. L’Afrique centrale a un rôle clé à jouer dans cette évolution, à condition de s’organiser, de mutualiser ses compétences et de valoriser ses champions locaux.
Que souhaitez-vous que les Africains retiennent de votre message à la Semaine de l’Afrique des solutions ?
Que tout est possible. Que notre continent n’est pas condamné à la marge, qu’il est déjà une source d’inspiration mondiale. Mais pour que cela devienne une réalité visible, il faut de la rigueur, de la solidarité et une foi inébranlable en notre potentiel collectif. L’Afrique centrale, longtemps perçue comme périphérique, peut devenir le cœur battant du renouveau africain. Elle a les ressources, les idées et les hommes. Ce qu’il lui reste à conquérir, c’est la confiance. L’Afrique des solutions ne sera ni un slogan, ni un rêve : elle sera le fruit de notre travail, de notre lucidité et de notre unité.
Propos recueillis par Jean René Meva’a Amougou
