Déplacés nigérians: des frères en moins ou en plus à l’Extrême-Nord
Après avoir bravé les murs et les dispositifs de contrôle, ils sont des milliers à s’être déplacés du Nigéria pour le Cameroun. Mais quant à savoir quel est le visage spécifique de ces personnes, le tableau devient plus complexe. Reportage.

Kodogo Yalaïde ce lundi 5 juin 2023. Nous ne sommes pas au bout du monde. Les récits à propos de ce village enfoui dans l’arrondissement de Kolofata (Mayo-Sava) s’extasient pour la plupart sur les senteurs des fleurs jaunes de l’«ilyan» (dont les femmes extraient une huile très prise pour leur parfumerie) et l’odeur suave d’une variété de mil rouge sévèrement tarifiée sur les marchés de la région. Au milieu d’un grand vaisseau de pierres, le village ne vogue pas, mais s’étire sur quelques mètres seulement. On n’est pas si haut, mais quel panorama ! Ici, les toits faits de pailles séchées sont intégrés en pyramide. Les pistes sont de petites veines qui tournent autour de quelques maisons. Pour y aller, laissez moto au pied de la montagne et grimpez à pied. « Venez en panier et baladez-vous.
D’origine nigériane, cet homme d’un âge respectable revendique le titre de «lawan». «C’est moi qui parle au nom des 18 familles qui sont installées ici», renseigne-t-il. Pour la suite, Mal Tidjani s’attache à expliquer la signification du nom de «son» village. L’entrée en matière est le récit douloureux de l’improbable voyage vers l’inconnu, pour fuir Boko Haram. « Nous étions encore à Muni (Nord-Est du Nigéria, Ndlr). Une nuit, des tirs et des explosions ont encore secoué notre village. Les gens de Boko Haram sont arrivés. Ils cassaient portes et fenêtres en criant le nom d’Allah. Ils ont pris une femme et ses 5 enfants, les ont décapités en moins de 10 minutes et ont emporté la tête du plus petit. Le lendemain, tous ceux que vous voyez ici ont fait leurs bagages et nous sommes partis de Mubi. Après une semaine de marche vers une destination inconnue, et de souffrances, nous sommes arrivés ici en 2014. J’ai donné le nom Kodogo Yalaïde à cet endroit. Cela signifie « Restons ici » », relate Mal Tidjani. Les autres détails obscènes sont indicibles, innommables. À observer comme le mien, on réalise vite que traduire ce qui s’est passé en mots est une forme de combat. Un combat qui n’a de sens que pour ceux qui ont risqué la mort pour se maintenir en vie ou dans l’espoir d’une vie meilleure.
Scènes de vie
Plongées dans les routines d’une vie (en apparence) normale, dans un quotidien fait de petites préoccupations, les familles vivantes à Kodogo Yalaïde disent avoir été accueillies par les « frères Kanuri d’ici ». «Mais, il y a des limites à ne pas franchiser», nuance Mal Tidjani. Au cours des interviews, ses quatre épouses débitent des récits intenses qui disent l’exil dans toute sa pluralité. Tout témoignage n’est qu’une redite du précédent. Globalement, ces femmes insistent sur cette équation impossible que le déplacé de guerre doit résoudre : l’injonction à rester calme, comme pour justifier le fait d’avoir été accueilli. La vérité qu’elles énoncent sans le savoir, ou malgré elle, c’est qu’être déplacé induirait de rester sous contrôle, de ne pas s’émanciper au détriment de ceux qu’on a trouvés. Parmi ces épouses, la plus âgée évoque par exemple «le règlement» venu du lamidat de Kolofata, lequel ne leur permet que l’élevage d’un nombre minimal fixe d’animaux. Prenant la parole, la plus jeune insiste sur la manière dont leur identité de femme est profondément altérée, les condamnant à un entre-deux permanent. Ni vraiment d’ici, ni de là-bas. Entre le mutisme et l’obligation de passer sa vie à remercier, à se montrer digne de l’accueil qu’on a reçu. En fait, l’équilibre est compliqué : ni trop, ni trop peu. Ni veule, ni avide. En tout cas, avec les épouses des voisins, il règne une forme de douceur parfois, celle d’une paix retrouvée relativemente et qui permet de souffler légèrement. la plus jeune insiste sur la manière dont leur identité de femme est profondément altérée, les condamnant à un entre-deux permanent. Ni vraiment d’ici, ni de là-bas. Entre le mutisme et l’obligation de passer sa vie à remercier, à se montrer digne de l’accueil qu’on a reçu. En fait, l’équilibre est compliqué : ni trop, ni trop peu. Ni veule, ni avide. En tout cas, avec les épouses des voisins, il règne une forme de douceur parfois, celle d’une paix retrouvée relativemente et qui permet de souffler légèrement. la plus jeune insiste sur la manière dont leur identité de femme est profondément altérée, les condamnant à un entre-deux permanent. Ni vraiment d’ici, ni de là-bas. Entre le mutisme et l’obligation de passer sa vie à remercier, à se montrer digne de l’accueil qu’on a reçu. En fait, l’équilibre est compliqué : ni trop, ni trop peu. Ni veule, ni avide. En tout cas, avec les épouses des voisins, il règne une forme de douceur parfois, celle d’une paix retrouvée relativemente et qui permet de souffler légèrement. ni trop, ni trop peu. Ni veule, ni avide. En tout cas, avec les épouses des voisins, il règne une forme de douceur parfois, celle d’une paix retrouvée relativemente et qui permet de souffler légèrement. ni trop, ni trop peu. Ni veule, ni avide. En tout cas, avec les épouses des voisins, il règne une forme de douceur parfois, celle d’une paix retrouvée relativemente et qui permet de souffler légèrement.
Réalités
« C’est le cas de beaucoup de personnes que nous hébergeons dans notre circonscription », témoigne Saidou Bouba, le sous-préfet de Kolofata. « Il y a des Nigérians qui ont fui Boko Haram au Nigéria et qui sont venus s’installer ici », poursuit-il. À bien écouter, la crise migratoire déclenchée par Boko Haram a entraîné des migrations sans précédent. Dès lors, il n’est pas aisé d’invoquer des chiffres, parce qu’ils sont assez contradictoires. «Après avoir bravé murs et dispositifs de contrôle, ils sont des milliers à s’être déplacés du Nigéria pour le Cameroun», résume simplement Saidou Bouba. Mais quant à savoir quel est le visage spécifique de ces personnes, le problème devient plus complexe. « C’est à la fois des individus, des familles, des groupes où se confondent ceux qui fuient l’enfer de la guerre et ceux qui veulent échapper à la faim et à la misère», décrit le Dr Nafissatou, sociologue et enseignante à l’Université de Maroua. Selon elle, la crise sécuritaire à l’Extrême-Nord a modifié la répartition de la population, en accélérant l’urbanisation et en favorisant la concentration des communautés nigérianes autour des petites villes, ce qui a généré des évolutions territoriales durables à différentes échelles. « Dans le Mayo-Sava par exemple, explique le Dr Nafissatou, les actions guerrières se sont concentrées dans les zones rurales et les petites villes du département comme Tolkomari, Kerawa ou Amchidé. Alors que les grandes villes comme Maroua, Mora…ont été relativement épargnées et sont restées pour la plupart sous le contrôle de l’armée ; les villages relativement épargnés par Boko Haram dans ses effets directs les plus violents n’en sont pas moins des villages transformés durablement par la crise sécuritaire ». De même, ajoute le sociologue, les déplacements forcés des civils vers les villes et l’installation de très nombreux groupes dans des villages ont ainsi créé de nouvelles territorialités post-conflit. Les déplacés se sont installés dans les espaces vacants et y ont intégré des maisons en matériaux précaires ». les déplacements forcés des civils vers les villes et l’installation de très nombreux groupes dans des villages ont ainsi créé de nouvelles territorialités post-conflit. Les déplacés se sont installés dans les espaces vacants et y ont intégré des maisons en matériaux précaires ». les déplacements forcés des civils vers les villes et l’installation de très nombreux groupes dans des villages ont ainsi créé de nouvelles territorialités post-conflit. Les déplacés se sont installés dans les espaces vacants et y ont intégré des maisons en matériaux précaires ».
À l’observation…
Dans diverses localités du Mayo-Sava, les déplacés nigérians installés y sont encore. « Les difficultés liées au retour ainsi que les processus de territorialisation sur les lieux de refuge expliquent que beaucoup ne soient jamais rentrés », éclaire (sous anonymat) un agent du HCR (Haut-Commissariat pour les réfugiés) approché à Mora. Et traduisant sa pensée, il enchaîne : « D’ailleurs, c’est plus ou moins les mêmes familles ».
À y regarder plus précisément, la crise sécuritaire à l’Extrême-Nord a réveillé un phénomène : le sens de l’hospitalité. « Il est clair que les gens ont intégré qu’ils sont, pour la plupart, issus d’un même groupe ethnique. Cela fait que les Kanuri du Nigéria qui sont venus ici n’ont presque pas été accueillis en tant qu’étrangers, parlant une langue étrangère, ayant d’autres coutumes que celles des Kanuri du Cameroun», fait savoir Dr Nafissatou. Ce que met en évidence l’universitaire, c’est qu’aucun repère significatif ne distingue les Kanuri du Nigéria de ceux du Cameroun. «Être déplacé, c’est faire l’expérience douloureuse de l’altérité, du rejet, de la perte d’identité. Ce qui est au cœur de cette dynamique ressentie, c’est la recherche d’un équilibre contraire par la guerre, la résorption de la souffrance d’un frère». L’affaire ne s’arrête pas là. « Ici à l’Extrême-Nord, les déplacés nigérians fuyant Boko Haram sont aussi très vulnérables : il leur faut gagner la sympathie et obtenir l’assistance des villageois camerounais, mais plus les déplacés sont nombreux, plus leur présence pèse sur les villages, déjà très misérables. D’autant plus que, dans certains cas, les villageois ne savent souvent plus à qui ils ont affaire, qui est vraiment déplacé, qui est agent de qui, qui est vrai», balance Dr Nafissatou.
Jean-René Meva’a Amougou