Débrouillardise : des femmes à tout flair dans les ministères
En plus d’arpenter les bureaux pour livrer des repas prêts à consommer aux fonctionnaires, des dames jouent également le rôle de courroie de transmission de dossiers.
Vendeuses de nourriture ou démarcheuses? Si la question se pose, dans les faits, mieux vaut éviter de s’interroger, et ce pour une raison simple. «Les concernées ne vous diront aucun mot sur leur vrai statut ici au ministère», fait savoir un huissier de protocole. Peut-être faut-il commencer tout d’abord par cerner ce qui est visible à l’œil nu. Elles sont vendeuses de fruits, de sandwichs et de mets traditionnels. N’apparaissant sur aucun registre du commerce, leur légitimité sociale dans l’exercice du métier se revendique, se construit et se démontre dans les bureaux des ministères. «C’est elles qui nous épargnent des allées et venues au soleil à la recherche d’un casse-croûte à la pause», décrit un fonctionnaire. «Cela fait des années que je n’ai pas déjeuné ailleurs qu’à mon bureau, en quinze minutes, montre en main». Confidence édifiante d’une contractuelle d’administration. Une confidence pleine de détresse? Hélas, non… Le ton de l’aveu est si naturel qu’il trahit l’importance de celles qu’elle appelle «livreuses de nourriture».
Spectacle
En les suivant à la pause justement, le spectacle que ces «restauratrices sans restaurant» offrent est visible, odorant, souvent sonore. Certaines disposent de charrettes. D’autres portent un panier, souvent sur la tête, et disposent d’un trépied pour l’y poser. Dans les ascenseurs, elles se succèdent, se croisent ou s’évitent. L’horloge tourne trop vite. «Il faut réussir à livrer tous les plats», confie difficilement une livreuse. Se présentant comme la «seule attitrée dans plusieurs ministères», elle fait part de l’utilité de son «commerce». «Nous rendons un grand service aux fonctionnaires; surtout lorsqu’ils ont beaucoup de travail. Ils n’ont pas le temps de descendre et chercher de quoi manger pendant la pause», assure-t-elle. A bien écouter, l’affaire est centrée sur les occupations multiples de ses clients de consommateurs.
Émissaire
Seulement, de par leur omniprésence dans les édifices publics, beaucoup sont parvenues à s’y faire une place. «Ces dames ont un pouvoir. Elles entrent dans presque tous les bureaux de ce ministère. Elles sont parfois nos éclaireurs auprès des fonctionnaires», souffle Jean, un démarcheur rencontré au ministère des Finances. Agnès, une livreuse de repas apprend qu’elle est servie souvent d’émissaire, «un fonctionnaire peut me passer un message et je le transmets à un son collègue d’un autre ministère», déclare-t-elle.
Madame veuve Atangana est contente de l’aboutissement heureux qu’a connu son dossier de pension. «C’est grâce à l’une de mes filles que mon dossier a connu une suite. J’avais déjà fait 2 ans sans succès à cause d’un démarcheur. En mangeant chez elle, elle m’a conduit à la bonne porte et on a traité mon dossier à moins de 6 mois. C’est elle-même qui suivait», confie-t-elle.
André Gromyko Balla