PANORAMAPORTRAIT DÉCOUVERTE

Dans les grands marchés de Yaoundé : des pièces de bœuf au «feu de l’enfer»

Seul le résultat compte pour les mis en cause

Les amateurs de pattes, peaux, têtes et abats de bœuf doivent redoubler d’attention. Les pièces d’animal -citées plus haut– se nettoient dans des conditions déplorables dans les marchés de la capitale camerounaise. Plus clairement, l’activité de nettoyage des peaux et pattes de bœuf se nourrit du feu toxique. Sur gril, deux marchés parmi les plus grands de Yaoundé: marché Mokolo et marché du Mfoundi.

Site
Au marché Mokolo, le labyrinthe à parcourir est long, pour atteindre le site du nettoyage des restes de bœuf. Un «no man’s land» marécageux d’environ 300 m2 appelé «Secteur des sacs de Mokolo». Il est à la confluence de trois quartiers: Mokolo, Briqueterie et Tsinga. Il faut s’armer de beaucoup de courage pour s’y rendre, au vu des risques élevés d’insécurité et d’agressions en plein jour. À cela s’ajoutent l’insalubrité et les odeurs pestilentielles. Les mouches ne sont pas présentes dans la longue liste d’acteurs dangereux du fait de la très forte chaleur dégagée par la fournaise du coin.

La fournaise, aux relents du «feu de l’enfer», est entretenue par des ingrédients nocifs à la santé humaine. Il s’agit des pneus de véhicules et des chaussures. Et de façon globale, «tout ce qui contient du caoutchouc entre dans la composition du feu», révèle Abdel Salam, un nettoyeur du coin.
En fait, le four enfoui dans le sol contient un pneu auquel on ajoute du bois et un peu de charbon à l’effet d’allumer le feu. Pour attiser et maintenir le feu, l’on commence à mettre des chaussures, des sacs, des ceintures ou tout simplement du caoutchouc. «En moins de 10 minutes, toute la peau d’un bœuf entier est nettoyée. C’est juste la première étape». Parce que la deuxième est le lavage. «Nous lavons une peau pendant 5 à 7 minutes, avec des brosses à linge», à l’aide des produits qui rendent la viande propre. Les pattes et la tête se nettoient en moins de 5 minutes. La nature des produits de lavage n’est pas révélée. Seule certitude, l’air à respirer n’est pas supportable à cet endroit. La fumée noire rejetée par le four n’est pas non plus facile à supporter. Il faut être un habitué pour tenir le coup. Une odeur piquante qui provoque la toux et les nausées. «Seuls les gars du terrain vivent ici», confirme Mefiro lui aussi nettoyeur.

Mfoundi
Au marché du Mfoundi, il faut se présenter en potentiel client pour connaître le chemin menant au nettoyage situé de l’autre côté de la gare voyageur à Mvog-Ada. C’est également un marécage d’environ 500 m2. La composition du feu de nettoyage est discrète. Les ouvriers à l’œuvre, appelés «Nkassa» (jeunes ressortissants du grand Nord qui font des travaux pénibles), disent utiliser uniquement le charbon qu’ils attisent à l’aide d’un bouffadou. Mais Ernest, vendeur de volaille, confie que les pneus sont également enfouis dans le four. «Vous voyez le charbon, pourtant d’autres ingrédients comme les roues de voitures sont utilisés, surtout à la tombée de la nuit quand ils savent que les autorités ont baissé la garde», fait-il observer.
Dans ce marché où l’on compte au minimum 15 fours, il faut payer 1000 FCFA de loyer la semaine. Idem pour les fûts d’eau. «Un concierge passe chaque semaine pour percevoir le loyer. Plus de 40 000 FCFA», déclare Chaba, un grand nettoyeur. C’est un bailleur qu’ils disent ne pas connaître et n’avoir jamais vu.

Nettoyeurs
«C’est un travail qui commence à 5 heures voire 4 heures du matin ici à Mokolo. Et nous sommes une douzaine à supporter cette tâche difficile», évoque Abdel Salam. Dans ce marché, on compte à peine une dizaine de nettoyeurs. Ces derniers négocient le prix de nettoyage avec les bouchers du marché. «Ils nous appelle et nous remettent la viande. En même temps, nous négocions», révèle Njichokou, nettoyeur. Mais, selon lui, une peau nettoyée coûte 2500 FCFA. Alors qu’une tête coûte 2000 FCFA; les pattes nettoyées sont à 500 FCFA.
Au marché du Mfoundi, l’on note une trentaine de nettoyeurs. Tous disent négocier avec les propriétaires de four et de fûts d’eau, qui sont pour la plupart leurs collègues. Chaba dit être sollicité chaque matin pour l’utilisation de son four. «Quand un collègue me sollicite, il sait qu’il va me donner 1000 FCFA à 18 heures», assure-t-il. La moyenne d’âge de ces derniers oscille entre 18 et 45 ans. Au marché du Mfoundi, Chaba révèle que «tous sont originaires du grand Nord. Tous les nettoyeurs d’ici sont Nkassa».

Clients
Les bouchers sont les seules personnes à solliciter ce service de nettoyage au marché Mokolo. «Le lieu étant insalubre et dangereux pour les particuliers, nous fonctionnons exclusivement avec eux. Regardez comment le coin est infesté de fumeur de drogue», fait constater Abdel Salam. Alors qu’au marché du Mfoundi, l’on voit quasiment tout le monde. Pas de protocole pour rencontrer un nettoyeur. Les ménagères, les restaurateurs, les vendeurs de nourriture cuites dans les bars et marchés, les «mamis eru», sauce jaune, Ndolè, bref, tous ceux impliqués dans la confection des mets les plus consommés avec soit de la viande soit avec la peau de bœuf.
Chaba renseigne en outre que les prix sont standardisés. La peau entière se nettoie à 2 000 FCFA, les pattes et queues à 500 FCFA, la tête de bœuf à 1500 FCFA, tandis que les abats se nettoient à 2 000 FCFA. Mais, il croit aussi savoir que dans ce milieu et en dehors des vendeurs, seules les femmes réussissent à ne pas être bernées. «Quand on voit un homme venir nettoyer quelque chose ici, on jubile parce qu’il sera frappé. Une patte de bœuf lui est facturée à 1500 FCFA au lieu de 500 FCFA», révèle notre informateur.

Deux zéro
Ce jeudi 31 août, «mama Gisèle» du petit marché Odza se prépare pour samedi et dimanche. «Les gens du 2-0 vont me tuer si je n’ai pas assez de bouillon. Je dois acheter 6 têtes de bœuf et une peau entière». Mais la dame dit être bloquée. «Je ne sais pas si je trouverai la bonne viande au Mfoundi, vu que nous sommes déjà dans l’après-midi. Je ne veux pas la viande nettoyée avec le caoutchouc, je veux celle qui est flambée au chalumeau», indique-t-elle à son boucher lors des échanges téléphoniques. Elle dit avoir été flouée par celui-ci à la dernière transaction. «Mon fils aîné est parti chercher la viande la semaine dernière. Celle-ci n’avait pas un bon goût. Elle était nettoyée avec le feu des Nkassa», regrette la dame. Voilà pourquoi elle a décidé de s’y rendre en personne. Cet échange téléphonique aura une conséquence inattendue. Puisqu’à côté d’elle, une femme au foyer ayant suivi la conversation a également décidé de ne plus jamais acheter une peau ou une tête de bœuf nettoyée. «C’est Dieu seul qui nous protège à Yaoundé», conclut mama Gisèle.

André Gromyko Balla

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *