PANORAMAPORTRAIT DÉCOUVERTE

Bétaré Oya : Flou multi-carats autour de l’or

Depuis toujours, l’exploitation de ce minerai précieux n’obéit à aucune traçabilité. 

Site d’exploitation chinois sur le Lom

« L’or et l’argent appartiennent à Dieu ». Pour avoir repris ce verset biblique au cours d’une messe dite au canton Laï, le père Désiré Menkouata est désormais interdit de séjour dans tous les campements de recherche d’or de Bétaré Oya. Survenu en novembre dernier, cet incident inspire au prélat catholique un discours à tonalité conclusive. « L’or exploité ici n’aime pas le bruit », dit-il bassement ce 23 mars 2019, « en raison des choses qu’il vaut mieux ne pas assumer».

Chaîne
Ceux qui osent les assumer parlent du «travail de l’or». « C’est une affaire simple ; chacun peut venir creuser, trouver ses bûchettes et les vendre », dévoile un jeune orpailleur qui se fait appeler Bachir. Selon lui, les hiérarchies sont de trois ordres : professionnelles, financières et matérielles. « On a les gens qui creusent et ceux qui lavent », énumère-t-il. Quelques personnages (des Peuls notamment) sont estampillés « acheteurs ». Une autre classification met un point d’honneur sur les moyens techniques d’exploitation. « Les artisans ont les houes, et les Chinois ont leurs gros camions et Caterpillar », détaille Bachir.

Comme conçu pour une plaquette de communication, un autre pan de son propos montre clairement que dans les différents sites, les bénéfices tirés de l’exploitation du métal noble sont à la fois réciproques et émancipateurs. « On vit, on s’aide entre nous, sans demander quelque chose à personne », affirme une dame. Dit autrement, à Bétaré Oya, l’or tient plusieurs vies par les deux bouts. Cette réalité entretient d’ailleurs une superstition ici : «L’or rend fous ceux qui prononcent son nom partout ; quand vous le voyez, vous restez tranquille, sans rien dire», confie Hada qui revendique plusieurs années dans les mines d’ici et d’ailleurs.

Omerta
Ceux qui comprennent et appliquent à la lettre cette croyance se recrutent dans différentes administrations publiques. Autour de celles-ci, des actualités s’enchaînent. Toutes crachent un monstrueux bric-à-brac que seul le ministère des Mines, de l’Industrie et du Développement technologique (MINMIDT) couronne, selon les dires de quelques acteurs. À lui seul, le fait démantèle tout autant l’opacité que l’embrouillamini. Malgré sa place dans le dispositif protocolaire, Polycarpe Molo, le sous-préfet de Bétaré Oya, jure ne pas connaître le nombre exact d’exploitants miniers exerçant dans l’arrondissement. Tout au plus, cette autorité administrative pense qu’il est difficile, voire vain de fouiner.

Par le truchement de cette posture, l’on découvre le sens du « tout vient de Yaoundé ». La phrase se décline en boucle, même au sein du Cadre d’appui et de promotion de l’artisanat minier (Capam). À la brigade minière, où parle Ejong Ivo Sumbele ce 23 mars 2019, il est furtivement balancé qu’«on ne peut rien vous dire, Yaoundé est mieux placé pour s’exprimer sur les chiffres des exploitants chinois et leurs bilans financiers », suggère l’ingénieur des mines et de la géologie.

Corruption
Sur le terrain, les artisans nationaux accusent les Chinois d’avoir versé des pots-de-vin copieux à « Yaoundé ». Chaque jour, le zèle des Asiatiques vis-à-vis des populations riveraines gagne en proportion, souligne Ferdinand Mbanga, chef par intérim du canton Laï, au nord de Bétaré Oya. « Nous ne savons rien ni des conditions d’attribution des permis qu’ils brandissent ni des conditions de leur installation sur nos terres », se lamente le dignitaire. À en croire ce dernier, tout regard appuyé sur cette double thématique reçoit, en contrepoint, des coups, des intimidations et la violence du pouvoir des élites locales.

 

L’argent en or des enfants réfugiés centrafricains

Chaque jour, ils écument les dépotoirs des sites d’exploitation minière tenus par les Chinois. Avec le butin, ils se livrent à la consommation de la drogue. 

 

Fata Abdou a la mine exubérante ce 21 mars 2019. Avec des copains, le jeunot centrafricain se livre à une danse chaloupée dont les mouvements clés sont ceux du bassin. De temps en temps, le gamin, qui déclare être âgé de 14 ans, exhibe une liasse de billets, sur un air de Kérozène. Les paroles contenues dans la chanson de l’artiste-musicien ivoirien en disent long sur la volonté de Fata de raconter sa «success-story».

Pour le faire, le garçon déclare qu’il est fils de réfugiés centrafricains. Né au Cameroun, il a décidé de s’inventer un bonheur dans les trous creusés par les engins mécaniques chinois. Dans une langue peu soignée, Fata décrit sa journée de travail dans ce qui tient lieu de dépotoir aux Asiatiques. Son activité va du tri des pierres au concassage de celles-ci. L’étape du lavage et celle dite du pointage constituent les tournants du boulot. Chaque jour, pas moins de douze mille francs CFA rentrent dans sa poche.
Joli pactole pour ses consommations d’alcool et de tramol. « Chaque jour, c’est ainsi », précise Jean Tchiako, point focal du HCR pour les sites miniers de Bétaré Oya. L’agent de l’organisme onusien estime à quelques centaines de rejetons de réfugiés ayant choisi cette forme de « résilience » pour «vivre». « Au moins les trois quarts de ces enfants ont été inscrits dans nos écoles, mais ils préfèrent se la couler douce dans les trous miniers », se lamente Jean Tchiako.

L’analyse qu’il en fait tient sur deux invariants : « avant de quitter la Centrafrique au plus fort de la guerre civile, leurs parents étaient des orpailleurs », fait remarquer l’agent humanitaire. En plus, ajoute-t-il, «comme tous les enfants moulés dans un environnement de cash work, ils se détournent de la scolarité ». En conséquence, apprend-on, plusieurs initiatives de récupération des enfants de réfugiés ont fait chou blanc.

Selon Josiane Mbonje, depuis 2017, seuls 21 gosses ont été débarqués des trous d’or de Bétaré Oya. « L’or leur colle au corps et à l’esprit », déduit la field-assistant du HCR. D’ores et déjà, insiste-t-elle, ils se montrent appliqués aux modules d’apprentissage de la cupidité et du silence, question de se préparer à la discipline des milieux de trafics de pierres précieuses.

Jean René Meva’a Amougou 

 

La pollution vit son âge d’or

Sans scrupule, les exploitants des mines foulent aux pieds le respect de l’environnement. La côte d’alerte est atteinte, à en croire des organisations de la société civile.

 

Le lit du fleuve Lom, qui serpente une bonne partie du nord du département du Lom-et-Djerem, n’est plus le même. Pour écouler les déchets issus de ses installations, une entreprise minière chinoise a, unilatéralement, décidé d’ouvrir une canalisation. Par ledit passage, ces exploitants peuvent aisément se débarrasser des détritus contenant des produits dangereux. « Nous avons observé que les eaux du Lom ont changé de couleur. Celles-ci tirent désormais vers le jaune doré », confie Grégoire Sala, représentant local de l’ONG « Planète responsable ». Ce dernier souligne la présence du mercure, substance utilisée par l’entreprise minière pour faciliter la collecte d’or parmi d’autres minerais.

« Vu les effets sur l’écosystème aquatique et le couvert végétal environnant, nous leur avons demandé de mettre fin à ce mépris », s’emporte Jacob Lonhegui, le président de l’association Est Sain. « Si rien n’est fait, le Lom n’aura plus de poissons. Et en plus, les pratiques agricoles prendront un sérieux coup dans un délai très court », avise Matilde Kansa.

’environnementaliste dit avoir, à travers un mille-feuille, sollicité l’intervention des pouvoirs publics. Ces derniers, depuis juin 2018, restent silencieux. À vouloir comprendre, elles renvoient tout requérant à « Yaoundé ». « Ils sont les seuls à savoir quelles sont les clauses des contrats d’exploitation minière attribués à ces gens », entend-on.

Au-delà, après la fermeture de leurs chantiers, Chinois et autres exploitants laissent des fosses béantes dans la savane. Ce décor sert dé-sormais de support à la rubrique faits divers dans les sites de recherche d’or tenus par les artisans locaux. En un an, déjà 16 décès, selon les données compilées par les riverains du canton Laï. Plus proches des sites chinois, ceux-ci se plaignent des pics de chaleur et de l’odeur âcre des eaux tirées des forages pourtant désinfectés par les services d’hygiène de la mairie de Bétaré Oya. Matilde Kansa n’exclut pas que la nappe phréatique de la zone soit déjà atteinte.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *