ART-Orange Cameroun : Moi grand, toi petit
Autour du #237#, code USSD unique pour services financiers du Cameroun, le régulateur et la filiale du groupe français de télécoms s’étripent.
À en croire des sources internes à Orange Cameroun contactées par nos soins, Frédéric Debord, le directeur général de la filiale camerounaise du Groupe Orange, séjourne actuellement hors du Cameroun. Il est parti en vacances d’été, campé sur son refus de donner quitus pour que la filiale camerounaise de la multinationale française arrime son réseau au #237#, code USSD unique pour services financiers du Cameroun. De quoi raviver la colère de Philémon Zo’o Zame.
Dans un courrier daté du 7 août 2020, le patron de l’Agence de régulation des télécommunications (ART) se montre bien rude envers son homologue de Orange Cameroun. «Vous disposez de trois jours, à compter de la date de notification de la présente pour consulter votre dossier au siège de l’Agence et remettre vos observations écrites, conformément à la réglementation en vigueur», menace-t-il. Le spectre des sanctions qu’agite Philémon Zo’o Zame contre l’opérateur français est lourd: «Une pénalité de trois cent millions (300 millions FCFA), conformément à l’article 69, alinéa 1 de la loi N°2010/013 du 21 décembre 2010, modifiée et complétée par la loi N°2015/006 du 20 avril 2015; la réduction d’un (01) an sur la durée du titre d’exploitation, en application de l’article 68, alinéa 2 de la même loi».
Par sa tonalité, la lettre de Philémon Zo’o Zame montre l’ART qui se déploie en réponse au comportement de défiance observé depuis de longs mois chez Frédéric Debord. Au-delà de l’anecdote, le courrier cité supra révèle bien que l’enragement du directeur général de l’ART découle d’un fait: Orange Cameroun évolue en marge de la réglementation en vigueur en matière de téléphonie mobile au Cameroun. Le «gendarme des télécoms» tient pour cela un procès-verbal de contrôle dressé le 22 juillet 2020 par son chef de la brigade des contrôles, Jean-René Loumou Nono.
Sur le document dont le journal Intégration a eu copie, mention est clairement faite du «refus d’Orange Cameroun de se soumettre aux dispositions réglementaires en vigueur» (décision N° 0000248/ MTP/CAB/IGT/CT2 du 26 novembre 2019 déterminant les conditions et les règles d’exploitation de la ressource USSD pour l’accès à la plateforme nationale d’agrégation des communications électroniques; décision N°0000415/ ART/DG/DLCI/SDHCE/SIAR du 13 décembre 2019 énumérant les directives sur les conditions et les modalités d’interconnexion à la plateforme nationale d’agrégation des communications électroniques; décision N°00000051/ ART/DG/DT/SDGR/SGRNA du 3 mars 2020 portant attribution du code #237# à la société Cameroon Postal Services (Campost).
Bras de fer
À en croire nos sources, un rapport de force est véritablement établi entre l’ART et Orange Cameroun. À cause de la posture asymétrique de la seconde sur le marché local de la téléphonie mobile, la première a réagi via une correspondance servie au patron d’Orange Cameroun le 13 décembre 2019. Dans celle-ci, Philémon Zo’o Zame invite Frédéric Debord «à prendre les dispositions nécessaires pour l’application de la décision N°0000415/ ART/ DG/ DLCI/ SDHCE/SIAR du 13 décembre 2019». En réaction, et par correspondance du 10 janvier 2020, le patron d’Orange Cameroun dit ne pas être disposé à prendre quelque disposition en vue de la mise en œuvre de la décision sus-évoquée. Sacrilège aux yeux de l’ART.
Dans la mise en demeure qu’il adresse à l’institution pilotée par Frédéric Debord, Philémon Zo’o Zame écrit: «Je viens par la présente porter à votre connaissance que ce fait est constitutif de manquement prévu et réprimé par les articles 66, 67 et 68 de la loi N° 2010/013 du 21 décembre 2010 régissant les communications électroniques au Cameroun». Bien avant, le 7 janvier 2020 précisément, le directeur général de Orange Cameroun avait adressé un recours gracieux au Ministre des postes et télécommunications (Minpostel). Une ligne forte de ce courrier plaide pour l’annulation de la décision N°0000248/ MTP/ CAB/IGT/CT2 du 26 novembre 2019. Frédéric Debord fait alors savoir à Minette Libom Li Likeng que ladite décision est hors du champ de ses compétences. Pour le même motif, au courant du 1er trimestre 2020, Orange traine l’État du Cameroun devant les juridictions à Douala avant d’être débouté en juillet dernier.
Dans la foulée, aucun changement de pied de part et d’autre. À l’ART, la réponse est sèche. L’on parle d’«une prétention qui découle d’une mauvaise foi et d’une mauvaise interprétation de la loi, lorsqu’on sait que l’initiative de l’élaboration de la législation et la réglementation revient à la tutelle». Pour davantage «recadrer», l’on fait valoir que l’ART est, quant à elle, «chargée de veiller à leur application par les opérateurs et d’émettre un avis sur tous les projets de textes en matière de communications électroniques conformément aux dispositions des articles 6, 36 (2) de la loi de 2010 et 12 du décret 2012/512 du 12 novembre 2012 portant organisation du ministère des Postes et Télécommunications».
Jean-René Meva’a Amougou
#237#, le code aux enjeux multiples
Dans le cadre de la stratégie du Gouvernement à assainir le marché des communications, le Minpostel a engagé il y a deux ans une série de concertations avec les principaux acteurs que sont le MINFI, les opérateurs à concessions, le GIMAC et les régulateurs sectoriels (ART, ANTIC) pour la mise en place d’une plateforme unifiée d’agrégation des communications électroniques ayant pour but d’intégrer les plateformes utilisant la ressource USSD, afin de garantir un accès équitable pour tous les opérateurs au marché des transferts financiers électroniques, et mettre ainsi fin à la concurrence déloyale qui y sévit depuis quelques années.
En plus de son caractère interopérable, ce système a également pour principal objectif de maîtriser en termes de traçabilité, les opérations frauduleuses de blanchiment d’argent et de financement illicites à travers le réseau national des communications électroniques.
Il faut souligner que sur le segment de marché de la ressource USSD, quelques opérateurs de téléphonie mobile usent de leurs positions dominantes pour verrouiller le marché des services à valeur ajoutée, véritables niches dans le secteur des communications électroniques et socle du développement de l’économie numérique.
Pour lever ces contraintes liées aux abus de position dominante des concessionnaires, le gouvernement a jugé opportun de mettre en place une plateforme d’agrégation des communications électroniques pour faciliter l’accès à des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires de l’ensemble des acteurs de l’écosystème du numérique, à l’infrastructure des communications électroniques notamment à la ressource USSD. Cette démarche donne la possibilité à l’État:
• de faciliter l’identification et la localisation instantanées des utilisateurs des services financiers mobiles, pour lutter contre le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent ;
• de permettre la traçabilité et le stockage des données, à l’effet de collecter les taxes et impôts sur toutes les transactions financières numériques ;
• de promouvoir l’inclusion financière pour passer de 40% à 98% correspondant au taux actuel de possession du téléphone mobile par les camerounais adultes;
• de faciliter la fourniture des services financiers publics et privés ;
• d’offrir un environnement favorable à l’éclosion des start-up et permettre le déploiement d’applications à coûts réduits ;
• de réduire les coûts des transactions et des prestations;
• d’attirer les investissements dans le secteur des télécommunications et TIC…
C’est dans cette mouvance, que la Décision n°00000248/MPT/IGT/CT2 du 26 novembre 2019 a été prise pour déterminer les conditions et les règles d’exploitation de la ressource USSD pour l’accès à la plateforme nationale d’agrégation des communications électroniques au Cameroun, de même que les modalités de mise en œuvre y afférentes précisées par Décision n°00000415/ ART/ DG/ DLCI/ SDIICE/ SIAR du 13 décembre 2019 de l’Agence de Régulation des Télécommunications, prescrivant les directives sur les conditions et les modalités d’interconnexion ou d’accès à la plateforme nationale d’agrégation des communications électroniques.