PANORAMAPORTRAIT DÉCOUVERTE

Orange Cameroun : Frédéric Debord, le patron activiste

Le directeur général d’Orange Cameroun vu d’ici et d’ailleurs. À la lumière de ses récentes prises de position sur la taxation des téléphones portables et tablettes au Cameroun.

Il y a quelques jours, le patron d’Orange Cameroun a fait entendre sa parole dans l’embrasure de l’actualité relative à la taxe sur les téléphones portables au Cameroun. Dans une interview publiée par le site digitalafrica.com, le directeur général d’Orange Cameroun se veut brutal, survolté et ouvertement politique. «S’agissant de l’implémentation de la collecte des droits et taxes de douane prévue par l’article 7 de la Loi des finances 2019, sa mise en œuvre opérationnelle ne pourra être effective qu’une fois les obstacles juridiques, techniques et opérationnels levés», dit-il. Le Français s’applique ainsi avec zèle à rester parmi les premiers de la classe dans la contestation des lois de la République et des décisions gouvernementales. Il existe pourtant des instances de dialogue consacrées, en l’occurrence le Cercle permanent de Consultation public/privé pour le secteur des Postes et télécommunications, où tous les problèmes dudit secteur sont débattus.

Pour Frédéric Debord, le contournement des instances de dialogue instituées se prolonge d’un activisme judiciaire remarquable. Illustrations : il n’a pas cru devoir respecter la décision n°00000248/ MPT/ CAB/ IGT/ CT2 du 26 novembre 2019 déterminant les conditions et les règles d’exploitation de la ressource Ussd pour l’accès à la plateforme nationale d’agrégation des communications électroniques. Il a saisi la Tribunal administratif du Littoral d’une requête aux fins de sursis à exécution de cette Décision en date du 15 janvier 2020. Il se trouve que par ordonnance du 28 juillet 2020, la Tribunal a déclaré que ladite requête «n’est pas justifiée et est en conséquence rejetée».

Autre illustration : le même, tout en donnant des gages de «la connectivité entre Orange Cameroun et Campost, travaux qui ont effectivement démarré depuis le mois de mars 2020», a saisi le Tribunal Administratif de Douala pour ce qu’il considère comme un «différend d’interconnexion» qui oppose son entreprise à Campost, pour obtenir un «sursis à exécution de la décision n°00000071 /ART /DG /DAJPC/CRCCEA1/PA du 24 mars 2020 rendue par l’ART, infligeant une pénalité de 300.000.000 FCFA à Orange Cameroun au titre de sanction pour refus d’interconnexion à Campost».

Curriculum Vitae
Sur les limbes de Google, son CV tente de se reconstituer et se raconter. Ce qu’un œil attrape vite c’est qu’il est passé chez le marocain Inwi et d’autres opérateurs tels que Ooredoo Koweït ou encore Altice et Orange Slovaquie. Ce que, furtivement, un autre œil attrape c’est ce qu’écrivait en septembre 2015 le site La Tribune Économie et Finance. Selon le média marocain, «le Conseil d’administration de l’opérateur télécom Inwi, réuni vendredi 18 septembre dans l’après-midi, a annoncé sa décision de remercier son directeur général Frédéric Debord, après des résultats jugés insuffisants. Cette décision était attendue par la majorité des observateurs, notamment après la nomination de Nadia Fassi-Fihri comme PDG en juin dernier, décision pressentie comme l’annonce d’une future mise à l’écart de M. Debord, aujourd’hui effective. Mme Fassi-Fihri, et le prochain DG, dont la nomination ne devrait pas tarder, auront donc pour tâche d’insuffler une nouvelle dynamique à l’opérateur, longtemps renfloué par ses actionnaires».

Juste un pas! Frédéric Debord prêta sa langue au micro de lavieco.com où, emphatique, il déclara: «Inwi se porte bien. Nous sommes dans une phase ascendante et nous avons réussi à nous imposer comme le challengeur alternatif. Nous sommes le deuxième opérateur en termes de chiffre d’affaires et notre parc clients a atteint la taille critique nécessaire qui nous permet de nous projeter dans l’avenir avec une plus grande confiance. La décision a été prise lors du dernier conseil d’administration et pour la première fois dans l’histoire de la société, de verser des dividendes aux actionnaires (300 millions de dirhams) au titre de l’exercice 2014. Le versement de dividendes est l’aboutissement d’un long processus de consolidation de notre modèle économique qui a mis Inwi dans des conditions de bonne santé financière. Maintenant nous nous projetons dans le futur, comme en atteste le montant des investissements que nous ferons dans les cinq prochaines années. Inwi sera donc un acteur incontournable dans l’accession du Royaume aux hauts débits».

Mêmes mots
Après cette bataille médiatique, il quitta quand même le Royaume chérifien. Là-bas, il montra son sens de la manip. Un jour, dans economie-entreprises.com, il fit valoir: «nous allons axer notre stratégie sur l’expérience client et non sur la technologie ou le prix. Ce qui compte pour nous est que le client Inwi puisse surfer confortablement sur Internet via son smartphone, en ayant une accessibilité plus importante et plus fluide en datas. Aujourd’hui, les téléphones sont devenus de réels supports audiovisuels. Il est très important pour nous que notre client puisse visionner sa vidéo avec la bonne vitesse et sans interruption».

Au Cameroun, il est engoncé dans sa veste de président de l’AOTMC (Association des opérateurs de téléphonie mobiles du Cameroun). Une association créée de toutes pièces pour mieux habiller son caractère frondeur. Sous cette casquette, il parle plus fort que les autres opérateurs, et appelle à briser le monopole reconnu par la Loi à Camtel, pour l’exploitation de la fibre optique. Alors que les autres opérateurs se font plus discrets sur le sujet. Pourquoi ? Certainement parce qu’il sait tirer partie des ressorts de la «diplomatie économique», en s’appuyant sur l’ambassadeur de France au Cameroun. Celui-ci, «habitué» du Palais de l’Unité, va jusqu’à obtenir que le ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence de la République, reçoive le DG d’Orange Cameroun.

Surenchère
Quelques esprits ont été démesurément surpris, en découvrant un jour de 2018, une petite annonce rédigée de la sorte: manager accompli qui a passé l’essentiel de sa vie dans le monde des télécoms. C’est que, en prenant le fauteuil de Elisabeth Medou Badang à la tête de la filiale camerounaise du Groupe Orange, il n’était pas très connu, du moins son caractère. Devant lui, certains passent leur chemin, consternés. D’autres battent les mains devant un style managérial survolté aux tendances psychotiques et des épisodes nerveux. Ceux qui l’ont côtoyé disent que, régulièrement, il se fait marrer lui-même pour mieux faire marrer les autres. Encore fraiches dans les mémoires, ses rixes avec l’ART. Face au régulateur camerounais du secteur des télécoms, il s’était convaincu qu’il avait, lui seul, le bon réseau.

La préférence pour des démarches de couloir/coulisses. Soit en pariant sur des relations tissées dans les lieux de pouvoir (Secrétariat général des services du PM). Chez certains observateurs avertis, on voyait là un exercice de style de la part d’un homme qui a pour bagage professionnel le commandement façon coloniale. Là-bas, on tirait du coup la conclusion que ses humanités en Sciences Po ne lui ont jamais été d’une grande aide.

Néanmoins, à son actif, il a réussi à convaincre en haut-lieu. Ses entrées au secrétariat général de la présidence de la République ou des services du premier ministre aidant. «Nous sommes convaincus qu’il est possible d’optimiser le recouvrement des droits et taxes de douane sur les terminaux mobiles, sans pour autant fragiliser nos entreprises. Nos technologies sont aujourd’hui utilisées pour faciliter la collecte de droits et taxes divers pour plusieurs administrations publiques. C’est le cas pour la collecte de la taxe foncière ou pour le paiement de frais scolaires et des frais universitaires par Mobile Money. Nous pouvons capitaliser sur ces expériences couronnées de succès pour développer une solution alternative de collecte de taxes et droits de douane sur les terminaux mobiles, sans pour autant handicaper les entreprises de téléphonie mobile», peut-on lire dans le mémorandum qu’il a signé. Last but not the least, il réussit à faire passer sa recette: «une plus grande protection des consommateurs, un mécanisme de paiement contrôlé par le client, et une communication intense sur le dispositif convenu».

Affaire
Et là, Frédéric Debord se fait planter par une autre expertise: «La compréhension des opérateurs de téléphonie mobile au Cameroun soutenant que l’État a différé la collecte des droits et taxes de douane sur les terminaux mobiles qui ne seraient plus payés au moment de l’importation, mais plutôt lors de l’utilisation de l’appareil; acquittés non pas par l’importateur, mais plutôt par l’utilisateur final; collectés non pas par l’administration des douanes, mais plutôt par les sociétés de téléphonie mobile, est erronée et ne trouve pas son fondement dans la règlementation en vigueur», laisse entendre cette expertise. Selon celle-ci, «le gouvernement de la République, à travers la législation en vigueur n’exclut pas le paiement des droits et taxes de douanes au moment de l’importation (cela étant d’ailleurs la règle), mais donne également la possibilité de le faire lors de l’utilisation de l’appareil (ce qui constitue une exception); donne la possibilité tant à l’importateur qu’à l’utilisateur final de s’acquitter des droits et taxes de douanes; confie la mission de recouvrement des droits et taxes de douanes aux opérateurs de téléphonie mobile, conformément à l’article 9 alinéa 2 de la loi n° 2010/013 du 21 décembre 2010 régissant les communications électroniques, modifiée.

Cette loi est complétée par la loi n° 2015/006 du 20 avril 2015 disposant que “la concession est octroyée à toute personne morale qui s’engage à respecter les dispositions de la présente loi, les clauses du cahier des charges, ainsi que les dispositions générales portant sur les modalités de contribution aux missions générales de l’État…”. L’État reste ainsi dans son rôle régalien de collecteur de l’impôt et peut fixer des modalités de contribution des opérateurs de téléphonie mobile à cet exercice». Et la BEAC comme refuge commode du DG de Orange Cameroun ne saurait justifier le non- respect des clauses de la Convention de concession liant les opérateurs de la téléphonie mobile à l’Etat du Cameroun, à savoir : «le concessionnaire est soumis au respect des lois et règlements en vigueur au Cameroun, aux décisions et directives de l’Agence pendant la durée de la concession, sans préjudice des sanctions prévues par la loi». Fréderic Debord le sait mieux que tout le monde.

Rémy Biniou

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