13 septembre 1958 – 13 septembre 2023 : « RUBEN UM NYOBE ! Présent ! »
65 ans après l’odieux assassinat du «Mpodol», découvrez quelques extraits inédits de son ouvrage «Ce que veut le peuple camerounais». Un condensé de ses sorties devant la Quatrième Commission de l’Assemblée Générale des Nations unies les 17 et 18 Décembre 1952
I- CE QUE VEUT LE PEUPLE CAMEROUNAIS : SOUVENIR D’ÉPREUVES PARTAGÉES. (Page 39)
« … Pour ne citer qu’un exemple, le travail forcé et l’indigénat ont été des épreuves les plus dures et les Camerounais n’en sont pas encore complètement guéris. Une bonne fraction de la population du Cameroun sous administration britannique se compose de réfugiés du travail forcé provenant du Cameroun sous administration française.
S’il ne faut pas considérer comme épreuve que les faits de guerre, les Camerounais remplissaient également les conditions puisque les troupes européennes de la guerre de 1914-1918 ne leur ont épargné aucun ennui, des dégâts en vies humaines et en biens matériels furent infligés au peuple camerounais innocent. Pour la dernière guerre, les Camerounais n’en garde pas seulement le souvenir comme une épreuve « partagée » mais comme un tournant de l’histoire de notre pays, marquant l’époque où notre peuple fut appelé à apporter sa contribution au triomphe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Les Camerounais des deux zones qui ont fait de nombreux champs de bataille au cours de la glaire antihitlérienne ne considèrent pas la victoire de 1945 comme ayant été « gagnée pour eux par les autres », mais comme ayant été leur propre victoire, devant contribuer à la libération de leur pays du joug colonial. Mais le régime colonial lui-même constitue une épreuve et pas l’une des moindres, dont les Camerounais ont et garderont toujours le triste souvenir…»
CE QUE VEUT LE PEUPLE CAMEROUNAIS : SOUVENIR D’ÉPREUVES PARTAGÉES. (Extrait : Page 39)
Mémoire et documents annexes relatifs à l’intervention de Ruben UM NYOBE, Secrétaire Général de l’UPC devant la Quatrième Commission de l’Assemblée Générale des Nations Unies, les 17 et 18 décembre 1952.
II – CE QUE VEUT LE PEUPLE CAMEROUNAIS : COMMENT JUSTIFIE-T-ON L’INTEGRATION DU CAMEROUN DANS L’EMPIRE FRANÇAIS ? (Extrait : Page 47)
SUR LE PLAN POLITIQUE .
« …L’on dit que le Cameroun bénéficie d’une large représentation au sein des Assemblées parlementaires françaises et que les principes démocratiques de la France sont appliqués au Cameroun sans restriction.
Pour la représentation au sein des assemblées parlementaires métropolitaines, il nous est loisible de montrer que sur les 624 députés que comptent l’Assemblée nationale de Paris, 4 députés sont élus par le Cameroun dont un par les Français du Cameroun et trois par les autochtones. Quelle majorité trois députés peuvent-ils remporter sur 624 votants ? En admettant même que la moitié des députés soit absentes que signifieraient trois voix devant 312 votants ?
Le Sénat français compte 320 membres, 3 sont élus par le Cameroun dont 1 par les Français du Cameroun et 2 par les autochtones. L’Assemblée de l’Union Française est une assemblée de consultation qui n’a aucun pouvoir législatif. Là aussi les autochtones du Cameroun sont représentés par 3 conseillers.
Le Togo bénéficie d’une représentation moindre en raison de sa faible population. Comment les Territoires sous tutelle peuvent-ils donc tirer des avantages propres des assemblées parlementaires françaises ? Il est même à signaler que l’ensemble de ce qu’on appelle les « territoires » d’outre-mer ne constitue guère une majorité au sein des assemblées parlementaires françaises.
Mémoire et documents annexes relatifs à l’intervention de Ruben UM NYOBE, Secrétaire Général de l’UPC devant la Quatrième Commission de l’Assemblée Générale des Nations Unies, les 17 et 18 décembre 1952.
III – CE QUE VEUT LE PEUPLE CAMEROUNAIS : CE QUE VEUT L’UPC.
(Page 26)
« – a) Objectifs immédiats :
- Grouper les populations du Cameroun en menant une lutte résolue contre les divisions tribales, contre le racisme, contre toute discrimination basée sur les conceptions religieuses.
- Instruire ces populations sur les libertés et sur les droits qui leur sont reconnus aussi bien par la Constitution française que par les actes internationaux.
- Organisateur les masses, les aider à revendiquer l’application des principes démocratiques résultant des réformes d’après-guerre, les aider également à lutter contre la violation des droits acquis et contre toute tentative de restauration des méthodes d’administrations contraires au principe de la primauté des intérêts des populations autochtones, prévue à l’article 73 de la Charte des Nations Unies.
- b) Revendications nationales.
En premier lieu, l’UPC exige l’application loyale des principes édictés par le régime international de tutelle. Les autorités administratives s’opposent avec acharnement, quelles que soient certaines apparences, au changement radical des méthodes d’administration qu’impose le régime international de tutelle. La meilleure preuve de cette attitude est le désir farouche des autorités françaises et britanniques de maintenir que coûte la division arbitraire du Cameroun, alors que nous considérons la réunification du Cameroun comme conditions indispensables à l’accession de notre pays à son indépendance.
Mais l’UPC ne se borne pas à revendiquer la réunification, elle propose les méthodes d’administration qui peuvent découler de la réunification et proposer les seules étapes utiles à franchir pour parvenir à l’indépendance complète, c’est pourquoi nous exigeons la fixation d’un délai pour l’octroi de cette indépendance.
Enfin, notre mouvement réclame avec une insistance particulière, la suppression de toutes les mesures d’annexion envisagées dans les textes des accords de tutelle défendue par le Docteur Aujoulat en 1946, alors que ce dernier représentait les colons du Cameroun. C’est dans cet ordre d’idée que le deuxième Congrès de l’UPC tenu à Eséka (Cameroun sous administration française) du 28 au 30 septembre de cette année, a tenu à préciser la position de notre mouvement vis-à-vis du problème de l’Union française.
Mémoire et documents annexes relatifs à l’intervention de Ruben UM NYOBE, Secrétaire Général de l’UPC devant la Quatrième Commission de l’Assemblée Générale des Nations Unies, les 17 et 18 décembre 1952. (Extrait Page 26)
IV – CE QUE VEUT LE PEUPLE CAMEROUNAIS : POLITIQUE FINANCIERE DU GOUVERNEMENT FRANÇAIS, SOUS LE SIGNE DE L’UNION FRANÇAISE. (Pages 58-59)
Dans les nombreuses tournées qu’il avait consacrées à la propagande en faveur de « l’Union Française » à la veille de la lieu d’une mission de visite de l’ONU, M. Soucadaux, Haut-Commissaire de la République française au Cameroun, a particulièrement insisté sur le fait que le gouvernement métropolitain fournissait une somme de 4 milliards de francs par an au Cameroun au titre du FIDES, (Fonds d’Investissement pour le Développement Économique et Social).
(…) Si l’on regarde de près, l’on verra que ces crédits et ce développement économique et social qui est beaucoup mis en relief s’orientent beaucoup vers le profit des grosses sociétés et entreprises étrangères installées au territoire que vers la primauté des intérêts des populations autochtones, prescrite par l’article 73 de la Charte des Nations Unies. Pour ne citer que quelques exemples, la société d’entreprise et Travaux publics « RAZEL frères » dont le siège social est à Paris, a obtenu un marché de l’administration pour la construction d’un tronçon de route de 80 km pour la somme globale de 700 millions de francs CFA soit 1400 millions de francs français. Au cours de l’exécution des travaux,
Un autre exemple porte sur la société Monod, entièrement gérée par des non-autochtones, celle-ci a obtenu un marché de 150 millions de francs CFA soit 300 millions de francs français pour la construction d’une route devant relier la région de la Sanaga -Maritime à la région du M’bam, le marché a été conclu en 1950 et la société en question on est toujours à la reconnaissance de la route et cette « reconnaissance » employant ingénieurs, géomètres, techniciens, manœuvres se paye, ou, le franc subit une dévaluation de trimestre en trimestre et nous sommes certains qu’au moment où il sera enfin temps de commencer les travaux de construction de la route, le crédit de 300 millions de francs métropolitains aura été entièrement consommé.
Dans toutes ces opérations, les autochtones ne disposent d’aucun pouvoir réel de contrôle. En ce qui concerne cette route, la population des villages desservis par la route a offert de travailler bénévolement, pourvu qu’elles prennent la route chez elles mais elles se heurtent non plus à » leur refus de travailler », mais à l’esprit de sabotage de la société concessionnaire. Pour le budget qui est soumis à l’approbation de l’Assemblée, son mode de préparation est toujours régie par un décret du 30 décembre 1912 sur le régime financier des colonies.
(…). Ainsi donc, les finances du Cameroun sont gérées par l’administration sans un contrôle véritable de la population autochtone. Comment ne peut-on pas appliquer le décret portant réglementation du régime financier des colonies, du moment qu’il est admis au détriment de notre pays que la France administrera le Cameroun « comme partie intégrante » du territoire français ? Le seul moyen de parer à une telle situation consiste à réunifier le Cameroun, à instituer une assemblée camerounaise vraiment souveraine devant se prononcer sans délai sur la mise en place des véritables institutions démocratiques permettant à la population de participer effectivement à la gestion des affaires du pays. .
Mémoire et documents annexes relatifs à l’intervention de Ruben UM NYOBE, Secrétaire Général de l’UPC devant la Quatrième Commission de l’Assemblée Générale des Nations Unies, les 17 et 18 décembre 1952.
V – CE QUE VEUT LE PEUPLE CAMEROUNAIS : COMMERCE . (Pages 60-61)
« Le développement des ports et des routes doit essentiellement donner lieu au progrès commercial. Or, le monopole de commerce à l’importation comme à l’exportation est tenu par des non-Camerounais. Un Camerounais ou un groupe de Camerounais ne peuvent être importateurs ou exportateurs qu’à condition de s’inscrire à un groupement d’importateurs ou d’exportateurs où ils sont toujours en minorité et ils finissent ainsi par devenir simples clients des groupements étrangers pour l ‘importation et exportation.
Prenons le cas précis des exploitants forestiers. Tous les exploitants forestiers autochtones sont tenus de vendre leurs billes aux grosses firmes d’exploitations forestières d’origine française ou étrangère. Quand il y a une crise dans le marché de bois comme c’est le cas actuellement, on leur refuse l’achat de leurs billes et ils se trouvent de ce fait paralysés. Ne pouvant plus faire face au frais que leur imposer leur exploitation, ils déclarent faillite ou alors ils intentionnent une procédure d’emprunt auprès du Crédit Camerounais qui ne leur épargne aucune pression pour enfin leur accorder une somme qui ne suffira même pas à les relever.
Le cas des transporteurs est identique. Pendant que les petits transporteurs camerounais fléchissent sous le poids de la concurrence des firmes étrangères, la police routière ne s’acharne que sur eux, ce qui favorise leur suppression du marché. On citera le cas de plusieurs africains disposant de nombreux véhicules notamment dans l’Ouest Cameroun, ou ces gros transporteurs doivent faire face actuellement à la menace que constitue pour la mise en circulation de plusieurs voitures de la Régie Renault.
Nous sommes plus que quiconque, soucieux de l’amélioration des moyens de transport, mais nous précisons que les autochtones ne bénéficient d’aucun encouragement substantiel. On ne donne des crédits qu’aux personnes « politiquement sûres » c’est-à-dire qui acceptent la politique colonialiste de l’administration, mais qui sont pour la plupart des cas, des malhonnêtes qui ne remboursent pas et l’on s ‘en sert pour acculer les braves gens qui veulent participer à l’effort économique de leur pays, mais qui ne peuvent que se heurter à l’opposition de l’administration par le seul fait qu’ils ne partagent pas la politique de cette dernière .
Plusieurs cas concrets ont été signalés dans des pétitions reçues par la mission de visite. L’obtention des brevets et licences qui devraient être facilitées par l’autorité administrative en vue de favoriser le progrès économique des habitants conformément à l’article 2 de l’accord de tutelle, s’entoure de toutes les enquêtes policières destinées à dépister les opinions des postulants qui ne partagent pas la politique du Gouvernement. De nombreux cas de l’espèce ont été signalés dans des pétitions reçues par la mission de visite.
La situation des producteurs autochtones et encore pire. Les statistiques officielles donnent des chiffres d’importation, le gros des produits est fourni par les autochtones qui vendent aux grosses firmes commerciales, (Société Commerciale de l’Ouest africain, Compagnie Française de l’Afrique occidentale, Compagnie Soudanaise, Compagnie John Holt et COR & W. King, PZ etc.) par l’interaction de milliers d’intermédiaires. De ce fait le produit est acheté au marché africain à vil prix, c’est ainsi que la tine de 18 litres d’huile de palme qui était vendue à 1250 francs CFA, soit 2500 francs français en 1951, ne revient plus qu’à un prix variant entre 300 et 500 francs CFA actuellement et le prix de 500 n’a été acquis qu’à la suite des actions de grève de vente exercées dans certains centres par les producteurs. Les autres produits ont baissé dans les mêmes proportions. Pendant ce temps, les prix des produits d’importation et les taxes augmentent dans des conditions inversement proportionnelles à celles dans lesquelles les prix des produits locaux se trouvent baissés.
Cette situation est aggravée par le fait que le Cameroun, quoique le territoire sous tutelle pour lequel les débouchés auraient du être ouverts avec les pays membres de l’ONU, subit le tri du commerce extérieur de la France parce qu’il est administré comme » partie intégrée » du territoire français. »
Mémoire et documents annexes relatifs à l’intervention de Ruben UM NYOBE, Secrétaire Général de l’UPC devant la Quatrième Commission de l’Assemblée Générale des Nations Unies, les 17 et 18 décembre 1952. (Pages 60 – 61)
VI – CE QUE VEUT LE PEUPLE CAMEROUNAIS : LE CAMEROUN ET L’UNION FRANÇAISE. (Pages 44 – 45)
« Ici, je serai bref, cette question reposant sur des considérations d’ordre juridique. Une brève démonstration sur le plan juridique suffit à prouver la duplicité qui entoure nos populations sur l’affaire des relations du Cameroun avec l’Union française.
Analyse de la question.
L’Union française a été fondée avant la conclusion des Accords de tutelles sur le Togo et le Cameroun. La Constitution française définit les parties composantes de l’Union française de la manière suivante dans son article 60 : « L’Union française est formée, d’une part, de la République française qui comprend la France métropolitaine, les départements et territoires d’ outre-mer, d’autre part, des territoires et États associés ».
La Constitution se garde de définir le statut du « territoire associé » et dans tout l’acte constitutionnel il n’est question que de « territoire associé » que dans l’article 60 ici reproduit. Ce qui fait que réellement il n’y a que deux parties composantes de l’Union Française : la République, avec les territoires assimilés qui sont les départements et les territoires d’outre-mer et le Cameroun étant subtilement rangés dans cette dernière catégorie, notre pays se retrouve ainsi incorporée dans la République-la deuxième partie composante constituant les « États associés » dont les relations avec l’Union Française sont posées comme suit à l’article 61 de la Constitution Française :
« La situation des États associés dans l’Union Française résulte pour chacun d’eux de l’acte qui définit ses rapports avec la France ».
Or, il n’y a, jusqu’ici, aucun acte déterminant les rapports du Cameroun avec la France. Un tel acte ne peut d’ailleurs être négocié que par un gouvernement camerounais, soumettant la négociation à la ratification d’une assemblée camerounaise investie des pouvoirs politiques et pour permettre la constitution d’un gouvernement et d’une assemblée camerounaise il faut d’abord la réunification du pays. Si donc la France désire traiter avec le Cameroun sur le problème de l’Union Française, le Gouvernement français doit accepter avant tout la réunification du Cameroun. L’accord de tutelle ne peut pas être considéré comme un acte définissant les rapports du Cameroun avec la France, l’Accord de tutelle est, si l’on veut, un contrat conclu entre le Gouvernement français et l’Organisation des Nations Unies sur l’administration du Cameroun. Il est intéressant de signaler qu’aucune clause de l’Accord de tutelle ne prévoit que le Cameroun sera incorporé dans l’Union Française comme « territoire associé ». Le vocable « territoire associé » n’est qu’un camouflage de l’assimilation ».
Mémoire et documents annexes relatifs à l’intervention de Ruben UM NYOBE, Secrétaire Général de l’UPC devant la Quatrième Commission de l’Assemblée Générale des Nations Unies, les 17 et 18 décembre 1952. (Pages 44 et 45)