La mort en détention, le 1er décembre, du leader politique Anicet Ekané, figure majeure de l’opposition depuis les années 1990, a déclenché une onde de choc au Cameroun.

Entre communiqué attristé de l’Union européenne, riposte indignée du gouvernement et lettre incendiaire d’intellectuels camerounais, le pays traverse une séquence politique explosive.
Une réaction rapide de l’Union européenne
Dans un communiqué publié le 1er décembre, la Délégation de l’Union européenne au Cameroun se dit « profondément attristée » par la disparition du président du MANIDEM, rappelant qu’il était « une figure du pluralisme démocratique ». Elle adresse ses condoléances et souligne la gravité de ce décès, survenu en détention depuis son arrestation le 24 octobre. L’UE « prend note » de l’enquête annoncée par le ministère de la Défense, mais insiste sur la nécessité de garantir la sécurité et l’intégrité physique de tous les acteurs politiques et rappelle son appel à la libération « de toutes les personnes détenues arbitrairement depuis l’élection présidentielle ».
La réplique ferme du gouvernement
Cinq jours plus tard, le ministère de la Communication publie un communiqué tranchant, dénonçant une « initiative contraire aux usages diplomatiques ». Selon Yaoundé, l’UE aurait émis des « injonctions » assimilables à « une volonté d’ingérence inadmissible ». Le gouvernement estime que les accusations d’arrestations arbitraires ou de violations des droits humains sont « dénuées de tout fondement ». Il rappelle que les personnes interpellées l’ont été après « de graves troubles à l’ordre public » et assure qu’une enquête est en cours pour « établir les responsabilités ». Yaoundé exhorte finalement l’UE à « plus de réserve et de retenue » et à concentrer ses efforts sur « la consolidation des relations d’amitié et de coopération ».
Des intellectuels montent au créneau
Dans la foulée, un collectif d’intellectuels camerounais (chercheurs, universitaires, artistes) adresse une lettre ouverte au chef de la délégation de l’UE. Le ton est grave. Ils affirment que des éléments publics « permettent d’établir la responsabilité directe de plusieurs hauts responsables » dans la mort d’Ekané. Les noms cités sont lourds : Ferdinand Ngoh Ngoh, Paul Atanga Nji, Galax Etoga et le colonel Otoulou. « Ce n’est pas un accident administratif. C’est une décision politique », écrivent-ils. Les intellectuels rapportent également des témoignages d’avocates décrivant « une succession de violations flagrantes » : interdiction d’accès à leur client, détention prolongée hors cadre légal, absence de soins, obstruction à la défense. Ils citent aussi une phrase attribuée au ministre de l’Administration territoriale : « s’il pouvait même mourir et nous laisser le Cameroun en paix… S’il meurt, je serai le premier à lui acheter le cercueil ». Pour eux, ces propos relèvent d’une « banalisation explicite de la mort politique ».
Un État “hors de contrôle” ?
Les intellectuels reprennent également une déclaration du ministre de la Communication affirmant : « je suis triste. Ekané était mon ami ».
« Il y a des décisions prises sans consulter ceux qui ont une position différente ». Pour eux, ces phrases révèlent « un État où les décisions les plus graves sont prises en dehors de tout cadre institutionnel ».
Un climat national qui se tend
La mort d’Ekané intervient dans un contexte politique déjà lourd, après une présidentielle contestée et des arrestations massives. Selon de nombreux observateurs, le décès d’un opposant en détention marque une ligne rouge. Plusieurs acteurs de la société civile évoquent désormais un pays « au bord de la rupture ». Les intellectuels affirment : « La colère est profonde. Le Cameroun approche d’un point de bascule».
Des demandes de sanctions internationales
Dans leur lettre, les signataires demandent officiellement à l’Union européenne d’envisager des sanctions ciblées : interdictions de voyage, gels d’avoirs, suspension de coopérations individuelles avec les responsables présumés. « La mort d’un opposant politique en détention ne peut rester sans conséquence».
Une crise qui dépasse le seul cas Ekané
Au-delà de l’émotion, cette affaire révèle la montée d’une inquiétude plus large sur l’état des libertés publiques au Cameroun. L’enquête annoncée par le gouvernement sera scrutée de près, mais beaucoup doutent déjà de son indépendance. Pour les experts interrogés, la mort d’Ekané « cristallise un malaise profond » et risque de réactiver les tensions politiques. Entre pressions diplomatiques, colère citoyenne et dénégations officielles, le Cameroun entre dans une zone d’incertitude. Et une question s’impose : que révélera l’enquête, et surtout, quelles conséquences en découleront ?
Tom.