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Crise sur la nationale n°1 : le Grand Nord montre les muscles, l’État reprend la main

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La paralysie prolongée de la Nationale n°1 n’a plus rien d’un simple incident routier. Ce qui a commencé comme une banale altercation entre un gendarme et un camionneur s’est transformé en l’un des blocages les plus massifs et les plus organisés que le Cameroun ait connus depuis une décennie.

Un incident mineur… devenu une déflagration nationale
Des dizaines de kilomètres de camions immobilisés, moteurs éteints, chauffeurs allongés sous les essieux pour s’abriter de la chaleur. Ngaoundéré, Garoua, Maroua : la colonne vertébrale logistique du Cameroun s’est figée. Officiellement, tout serait parti d’une gifle infligée par un gendarme. Une scène tristement fréquente. Pourtant, en quelques heures, tout s’est arrêté. Jean Hassane, camionneur depuis 17 ans, se refuse à croire à la spontanéité : « si les gifles suffisaient à bloquer la route, on ne roulerait plus depuis longtemps ! Ce qui se passe là était décidé avant ». Sentiment partagé par Aminatou, commerçante de tissus : « nous connaissons les abus. Mais ce blocage… il a une odeur d’organisation ».

Les Alhaji, maîtres silencieux du mouvement
Derrière le slogan « On ne bouge pas ! », une réalité plus brutale se dessine. Les chauffeurs n’en sont que les exécutants. Beaucoup chuchotent que les ordres viennent d’en haut : des « Alhaji », ces barons de l’économie sahélienne qui contrôlent flottes de camions, bétail, céréales, ciment et une part considérable des échanges avec le Tchad et la Centrafrique. Un villageois de Guider résume la situation : « ici, qui peut désobéir à un Alhaji ? Ce sont leurs camions, leur argent. Les camionneurs, eux, ils suivent seulement ». Hamza Tchipoun, expert en logistique explique : « si les Alhaji éternuent, l’économie camerounaise tousse. S’ils se couchent, elle s’arrête ». Le blocage de la N°1 apparaît désormais comme une opération stratégique, méthodique, et parfaitement calibrée.

Un “coup d’État scientifique” ?
Pour Ibrahim L., politologue à l’Université de Ngaoundéré, l’hypothèse d’une colère spontanée ne tient plus : « nous sommes face à un test de puissance. Une opération pensée, avec des relais économiques, religieux et politiques. On évalue la capacité du pouvoir central à contrôler un territoire où son autorité n’est plus automatique ». Il évoque également la menace, jadis formulée depuis l’étranger par Issa Tchiroma, d’“attaquer le régime par son Nord”. Aujourd’hui, ces propos prennent des accents prémonitoires.

Les islamopeuls : le retour discret d’une force d’équilibre
Longtemps considérés comme alliés du régime, les islamopeuls semblent avoir réajusté leurs lignes. Leur soutien à une telle démonstration, même tacite, change la donne. Waldé Enoc, spécialiste des dynamiques sahéliennes, prévient : « quand les islamopeuls donnent un signal, toute la région bouge. Leur influence économique, religieuse et sociale est considérable. On ne parle pas d’un simple blocage, mais d’un rapport de force ».

Trois morts… et un État qui tente de rétablir l’ordre
Le bilan humain est désormais lourd : trois morts, suite à différentes altercations liées aux blocages. Un tournant qui a poussé les autorités à réagir plus fermement. Selon des sources locales, le gouvernement a dépêché des unités de gendarmerie et de police pour sécuriser les convois ; des équipes de médiation envoyées à Meiganga ; une mission interministérielle chargée de négocier la reprise du trafic et des bulldozers et convois d’escorte pour dégager certains tronçons. Dans la soirée de samedi, les premières opérations de désengorgement ont débuté. Une partie de la circulation a pu être rétablie, même si la situation reste tendue et fragile.

Un bras de fer loin d’être terminé
La Nationale n°1 n’est pas qu’une route : c’est l’artère vitale du Cameroun. En l’immobilisant, les barons du commerce nordiste ont démontré qu’ils pouvaient, à tout moment, suspendre le pays. La crise qui secoue le Septentrion dépasse largement une gifle, une colère ou un accident.
Elle révèle un rapport de force profond : celui d’un Nord qui revendique son poids, et d’un État qui tente, tant bien que mal, de préserver son autorité.

Tom.

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