De fortes tensions ont précédé l’élection présidentielle du 12 octobre dans les régions septentrionales. Le Grand Nord devient une poudrière qu’il faut désamorcer avec responsabilité. Face à cette préoccupante situation, les voix d’acteurs locaux, d’analystes et d’observateurs appellent à un sursaut politique et à un dialogue inclusif.
Une mobilisation sociale sans précédent
Depuis plusieurs jours, la vie économique et sociale est fortement ralentie dans les grandes villes du Nord, de l’Extrême-Nord et de l’Adamaoua. Les mots d’ordre de « villes mortes », lancés par Issa Tchiroma Bakary, président du Front pour le Salut National du Cameroun (FSNC), ont été largement suivis. Selon un commerçant de Ngaoundéré, « ce n’est pas une question de politique, c’est une question de survie. Les gens n’en peuvent plus du chômage et des inégalités ». Le constat est partagé par Gnass, enseignant à l’université de Garoua : « Ce qui se passe n’est pas une remise en cause de la démocratie, mais une réaction à la manière dont elle est appliquée. Les populations ont l’impression qu’on ne les écoute plus ».
Les signaux d’une crise politique profonde
Les services de sécurité restent en alerte, notamment face à la montée des appels à la désobéissance civile sur les réseaux sociaux. Un officier de la gendarmerie, sous couvert d’anonymat, décrit une situation « maîtrisée mais tendue ». Selon l’analyste en sécurité Issa Babarou, « il faut éviter de réduire cette crise à une question d’ordre public. C’est une crise de gouvernance et de représentation. Tant que le traitement sera uniquement sécuritaire, on s’éloignera d’une solution durable ». À Maroua, certains cadres administratifs reconnaissent la complexité de la situation. « Les instructions du Chef de l’État sont claires : préserver l’unité nationale et éviter toute escalade. Mais il faut aussi recréer un lien de confiance », confie un haut fonctionnaire.
Leçons du passé : Boko Haram et la crise anglophone
Les observateurs rappellent que le Grand Nord a souvent été le baromètre des tensions nationales. Avant Boko Haram, le journaliste Guibaï Gatama avait prévenu lors d’un débat télévisé un précédent significatif : « ce qui se passe actuellement au Nigeria peut très vite nous atteindre. Nos frontières sont poreuses et nos communautés sont installées sur cette ligne frontalière. Il faille que nous déployions déjà assez de militaires pour prévenir d’éventuels débordements ». Il avait été rabroué par ses co-panélistes qui soutenaient que « Boko Haram est un conflit nigério-nigérian entre chrétiens et musulmans. Le Cameroun n’a rien à craindre ».
Quelques temps plus tard, la secte terroriste faisait ses premières victimes sur notre sol. « Aujourd’hui, on voit se reproduire le même scénario : un malaise social, un sentiment d’abandon et une absence de réponse politique rapide », commente le politologue Waldé Enoc. « La gestion de la crise anglophone aurait dû servir de leçon. Le Cameroun ne peut pas résoudre des frustrations politiques par la seule fermeté sécuritaire. Le dialogue doit redevenir un instrument de gouvernance sinon le phénomène des “zarguina”, ces coupeurs de route redoutés dans les années 2000 pourrait refaire surface ».
Appels à un dialogue inclusif et apaisé
A Ngaoundéré, des organisations locales plaident pour une médiation rapide. Astadjam, membre de la société civile, soutient que : « le Nord ne réclame pas la rupture, mais la reconnaissance. Il faut un geste politique fort, une parole claire du pouvoir central. Le sentiment d’exclusion nourrit la frustration. L’État doit parler au peuple. Les arrestations arbitraires sont interprétées comme du mépris. Nous devons privilégier l’écoute, pas la répression ». À Maroua, une vendeuse de bil-bil au quartier Makabaye résume le sentiment général : « Les populations ne veulent pas la guerre. Elles veulent simplement être entendues. Ce pays ne doit pas se fracturer davantage ».
Prévenir avant qu’il ne soit trop tard
Le gouvernement, selon des sources concordantes, envisage une série de consultations régionales dans les prochains jours. Si elles se concrétisent, elles pourraient constituer un premier pas vers l’apaisement. Pour l’heure, la situation reste fragile, mais réversible. Le Grand Nord, fidèle à son attachement à la paix, attend désormais un signe fort du pouvoir central, un signe capable de transformer la méfiance en confiance, et la colère en espérance.
Tom
