Home LIBRE-PROPOS Akere Muna: l’avocat prend la vérité par son noyau

Akere Muna: l’avocat prend la vérité par son noyau

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Dans le Cameroun des images figées et des peurs silencieuses, l’ancien bâtonnier avance, lucide et patient, observant la politique comme on écoute le vent : avec attention, humour discret et une poésie qui s’invite entre les lignes de plusieurs thèmes.

Le vent du quartier Bastos porte une odeur de pluie, ce 7 octobre 2025. Dans sa résidence, Akere Muna se déplace avec la lenteur de celui qui connaît un pays trop bien pour en attendre des miracles. Pas désabusé, simple- ment lucide, il porte dans sa voix la fatigue des justes et la tendresse des obstinés. « J’ai tout essayé pour rapprocher les cœurs et les ambitions », confie-t-il. « Mais nos égos sont plus solides que nos convictions ». L’homme ne hausse pas le ton : son réalisme  a la  douceur d’un  désenchantement maîtrisé.

Il raconte, sans amertume, les rencontres secrètes,  les  promesses suspendues, les regards qui évitent la sincérité. « Chacun voulait sauver le Cameroun, mais personne ne vou- lait être second dans ce salut », sou- pire l’avocat international. La phrase tombe comme un verdict : résumant des semaines de dialogues manqués, d’alliances avortées et de rêves ébré- chés avant même d’avoir pris forme.

À la télévision, Paul Biya bat campagne depuis Maroua. Aux yeux d’Akere  Muna,  la  scène s’affiche comme l’oriflamme d’une guerre d’ombres. Il s’arrête parfois pour observer. « Nous  sommes un  pays d’images figées »,dit-il, « mais la démocratie, elle, a besoin de mouvement ». Dans sa bouche, le mot prend un sens presque spirituel : refus de la paralysie, croyance qu’un citoyen peut déplacer un peu la montagne de la peur. Car la peur, dit-il, est la première ennemie du Cameroun : peur de parler, peur d’espérer, peur même d’aimer ce pays autrement. Cette peur, il l’a vue dans les visages, dans les silences des marchés, dans les murmures des fonctionnaires qui baissent la voix avant de prononcer le mot changement. Mais il l’a vue aussi se fissurer, lentement, dans les yeux des jeunes. « La jeunesse n’est pas dupe, elle est en veille. Il suffira d’une étincelle, d’un mot vrai, d’un geste juste pour qu’elle se lève ».

Akere Muna ne se dit pas opposant, encore moins prophète. Il se définit comme un réaliste debout : ni résigné, ni exalté. « J’ai compris qu’au Cameroun, la politique ne se joue pas seulement dans les urnes, mais dans les consciences. Ce pays ne se changera pas par décret, mais par éveil ». Ses phrases résonnent comme des prières laïques : ni colère, ni désespoir, juste une conviction calme que le courage citoyen reste la seule ressource durable.

Face à lui, quelques journalistes l’écoutent avec le respect réservé à ceux qui n’ont pas trahi. L’un demande s’il croit encore au changement. Il répond sans hésiter : « Je ne crois plus aux sauveurs, je crois aux sursauts ». Le mot reste suspendu dans l’air, lourd comme une promesse. Un autre évoque sa campagne de 2018, menée sans faste, avec la parole pour seule arme. « Je n’ai jamais perdu une élection », dit-il en souriant, « j’ai seulement appris combien il est difficile de gagner contre la peur et l’habitude ». Puis il se tait, comme pour écouter le vent. Il jette un regard panoramique sur la scène politique actuelle avec un mélange de détachement et de vigilance. Beaucoup s’agitent pour une part du gâteau, pas pour le goût du bien commun. « Certains font de la politique comme on fait du commerce : avec calcul et bénéfice. Moi, j’ai choisi de la faire comme on fait de la musique : avec âme et discipline ». La phrase étonne, mais dit tout de sa philosophie.

Ami-ami avec Bello

Le Grand Nord, avec ses 30 % de l’électorat camerounais, n’a jamais été une simple carte sur l’échiquier politique. Aujourd’hui, Issa Tchiroma Bakary et Bello Bouba Maigari s’y livrent une guéguerre digne des duels de romans, où les alliances se nouent et se dénouent  plus  vite  que les nuages d’orage sur la plaine de l’Adamaoua.

Akere Muna, pied à pied dans la lucidité, observe le théâtre avec un sourire mi ironique, mi accablé. « Le Nord ne se vend pas comme un kilo de maïs au marché », lance-t-il, ponctuant sa phrase d’un éclat de rire discret. Pour lui, les manœuvres de Bello Bouba et Tchiroma ne sont pas que des stratégies électorales : ce sont des petites comédies, parfois tragiques, parfois absurdes, qui ignorent le souffle réel des électeurs. Entre déclarations tonitruantes et alliances de raison,  le juriste émérite  estime  que le  Grand Nord  se trouve ballotté comme une pirogue sur le Logone. Akere Muna insiste : « On peut discuter, marchander, négocier, mais la vérité, c’est que le peuple nordiste a sa dignité et son humour,  et il sait  rire  des querelles d’adultes qui jouent aux enfants ». Il pointe avec un brin de poésie, le paradoxe de la scène politique : « les gens s’affrontent comme des aigles dans le ciel, mais au sol, les habitants attendent l’eau, la santé, l’école… » Une vérité qu’on ne peut balayer d’un revers de plume.

Dans ce septentrion à la fois stratégique et attachant, les alliances sont temporaires, les discours flamboyants, mais la lucidité d’Akere Muna rappelle que, derrière les duels et les rires forcés, l’essentiel reste immuable : le respect d’un électorat qui n’a ni temps ni patience pour les querelles inutiles. Akere Muna n’esquive pas le sujet sensible de son alliance passée avec Bello Bouba Maïgari. Certains y ont vu un pacte contre nature, un compromis d’ambition plutôt qu’un contrat d’idées. Lui préfère y lire une tentative de réconciliation nationale. « Ce n’était pas une alliance de confort, mais de lucidité », affirme- t-il. « Quand on veut bâtir un pays, on ne choisit pas toujours ses compagnons de route, on choisit la direction sur la base d’éléments objectifs ».

Il reconnaît cependant que cette démarche a semé le doute parmi ses partisans les plus ardents. « Beaucoup n’ont vu que la surface, pas le fond. Ils ont cru que je m’étais vendu, alors que je cherchais simplement à unir ce qui se dispersait ». Son ton n’est ni défensif, ni coupable : il est grave, mesuré, presque méditatif. Dans son esprit, cette alliance n’était pas un calcul, mais une expérience. « On ne guérit pas un pays fracturé sans parler à ceux qui pensent différemment », dit-il. Dans son regard, il n’y a ni rancune ni illusion, juste une fidélité tranquille.

Il sait que la politique, au Cameroun, est un théâtre où les masques tombent rarement. Pourtant, il continue de parler, d’écrire, de tendre la main. « La démocratie, ce n’est pas un mot étranger, c’est une manière d’habiter le même pays sans se haïr ». Puis, après un silence : « Ce pays me fatigue parfois, mais il ne m’use pas », dit-il doucement. « On ne se lasse pas d’un lieu qu’on aime, on cherche seulement à le comprendre ».

Ici à Bastos, le vent du soir emporte ses mots comme des semences. Peut-être germeront-ils dans le coeur de ceux qui n’ont pas encore renoncé. Et c’est peut-être cela, le véritable combat d’Akere Muna : persister à croire, sans crier, que la vérité finira toujours par trouver sa voix. Dans la quête d’une union de l’opposition politique, un homme marche encore. Pas un héros, pas un martyr. Un réaliste debout, avec un petit sourire en coin, comme pour rappeler que même dans le sérieux, l’humour reste un garde-fou de lucidité.

Jean-René Meva’a Amougou

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