Hier, les chefs sawas. Avant-hier, les imams. Demain, d’autres notables. La parade des élites camerounaises appelant à voter Paul Biya se poursuit. On connaît le proverbe : « Un homme qui se noie cherche à s’accrocher même à un serpent ». Ici, ce n’est même pas le serpent — c’est le vide. Et l’élite se noiera quand même.

On dira : « C’est la misère ». Mais comment prétendre faire de la politique quand l’élite, affamée, réduit l’action publique à une mangeoire ? La politique devrait organiser la répartition des ressources pour que personne n’ait faim. Ici, le serpent se mord la queue. Ce n’est pas une élite, c’est une confrérie de mapartistes — obsédés par « leur part » du gâteau national. Ça pourrait faire rire… mais c’est surtout à pleurer.
Cette campagne du RDPC ressemble à une veillée sans corps, à la différence que le mort — qui n’est pas mort — finance lui-même la cérémonie… ou plutôt son système. Dieu n’aurait pas fait mieux : avec Dieu, on prie sans savoir s’il va agir ; avec Biya, l’allégeance est payée d’avance. Ici, l’adhésion politique n’est pas idéologique : c’est un réflexe de survie pour préserver un poste, un marché, un contrat. Tout changement de régime est perçu comme une menace personnelle.
Parler de projets de développement ? Tout le monde fait mine de ne pas comprendre… mais tout le monde comprend. Voilà le paradoxe d’une élite « misérable » : instruite mais soumise, connectée au monde mais paralysée, riche en talents individuels mais pauvre en collectif.
C’est un véritable coming out clientéliste : une mise en scène forcée de loyauté. L’élite, souvent prudente ou ambiguë, est contrainte d’afficher publiquement son soutien à un pouvoir vieillissant, de peur de perdre privilèges ou protection. Un clientélisme ostentatoire contraint qui montre que, dans ce système verrouillé, même l’hésitation est punie.
Tout cela n’est possible que parce que le régime tient ses élites en captivité politique : obligation d’un soutien public, parfois humiliant, souvent paradoxal, pour garantir son accès aux ressources… ou simplement éviter les représailles. Paradoxe ultime : l’invisibilité du chef contraste avec l’hyper-visibilité forcée de ses soutiens.
Ce spectacle n’est pas qu’une manœuvre politique : c’est un miroir déformant du Cameroun d’aujourd’hui. Une scène où se mélangent peur, conformisme et résignation. Pendant que l’Afrique cherche de nouveaux modèles, nous restons enfermés dans ce théâtre de l’invisible.
La question n’est plus pourquoi… mais jusqu’à quand.
Jean Pierre Bekolo