Home AMBASSADES Aucun peuple n’ est voué au silence éternel

Aucun peuple n’ est voué au silence éternel

41
0
Laurent Gbagbo et Guillaume Soro

« La République des radiés » est un livre qui dérange, un livre qui déracine les habitudes de penser, un livre qui déchire le voile des convenances, un livre qui ne s’embarrasse pas de détours.

Laurent Gbagbo et Guillaume Soro

Ce livre, on ne se contente pas de le lire. On l’encaisse. Il est cri, il est coup de poing, il est révolte. Et c’est bien pourquoi il devrait figurer en bonne place dans la bibliothèque de quiconque chérit les belles lettres autant que les causes justes.

Maurice Kamto et Cabral Libi


Mais l’appellation même de « livre » semble inappropriée pour désigner ces paroles de feu. Il serait plus juste de parler d’un cri du cœur – ou mieux encore, d’un cri de conscience. Car ce que Simplice Ongui nous offre ici, ce n’est pas une analyse froide ni une énième chronique politique aux accents désabusés. Non. C’est le refus d’un homme. Le refus de se taire. Le refus de devenir complice, par silence ou par lâcheté, de ce que l’on voudrait nous faire passer pour normal: les basses tricheries et les petits arrangements qui font les grandes injustices, les exclusions politiques masquées par des procédures juridiques, les mascarades électorales déguisées en démocratie. Ongui parle fort parce qu’il parle vrai. Et, dans un monde saturé de demi-vérités, cela relève déjà de l’insoumission.


Ce que l’auteur dénonce ici n’est pas seulement l’injustice d’un système électoral, mais une forme d’imposture. Il s’attaque au cœur de la question politique en Afrique contemporaine, là où le pouvoir, obsédé par sa propre pérennité, n’hésite pas à écraser les voix dissidentes, à confisquer l’avenir commun au profit d’une logique de clan, de rente et de peur. Radiations arbitraires, exclusions ciblées, éliminations administratives… C’est une guerre froide contre la mémoire et contre l’espoir. Et c’est cela que Simplice Ongui refuse, sans prendre de gants, sans arrondir les angles, sans faire de courbettes à ceux qui préfèrent la brutalité à la confrontation démocratique.


Il le dit avec ses mots, parfois tranchants comme des lames, souvent imprégnés d’une poésie douloureuse, toujours portés par une exigence éthique rare. Il y a dans son écriture quelque chose d’Aimé Césaire – cette capacité à allier l’incantation poétique au tranchant politique. Il y a aussi du Zola, bien sûr – le Zola de l’affaire Dreyfus, celui qui crie « J’accuse ! » contre un système prêt à broyer l’individu au nom de sa propre survie. Il y a enfin du Fanon – ce frère martiniquais qui, au nom de la justice, renonça à la nationalité française pour se battre aux côtés des Algériens, et qui nous enseigne que toute lutte véritable est d’abord une lutte pour la dignité humaine.


Et c’est bien cela qui anime Ongui: la justice et la dignité. Ce sont ces deux valeurs qui fondent son indignation devant l’exclusion politique de figures comme Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé, Tidjane Thiam ou Guillaume Soro. En exposant l’exclusion dont ils sont victimes, Ongui veut souligner ce qu’ils représentent: une mémoire rebelle que le pouvoir en place cherche à effacer, une altérité politique qui dérange, une menace électorale qu’on craint d’affronter. En somme, une peur panique du pluralisme, cette condition pourtant essentielle de toute démocratie.
Mais l’auteur ne s’arrête pas au constat. Il pose une question cruciale: après l’exclusion des quatre acteurs politiques, que faire ? Que faire lorsque le jeu politique est truqué avant même d’avoir commencé ? Que faire lorsque les cartes sont systématiquement redistribuées par ceux qui en fixent les règles ? Que faire lorsque, sous couvert de légalité, l’arbitraire devient norme ?


Simplice Ongui, loin de se contenter de pleurer sur les cendres d’une démocratie avortée, interroge l’avenir. Il s’inquiète, mais ne désespère pas. Il observe que, si des noms émergent pour incarner une relève, aucun ne parvient encore à rallier une espérance collective. Et pourtant, tout n’est pas perdu. Car, comme il le rappelle avec force, aucun peuple n’est condamné à l’oubli. Aucun peuple n’est voué au silence éternel. Même si la peur a appris au peuple ivoirien à plier sans bruit, même si le quotidien étouffe les cris, la colère couve, le volcan n’est pas éteint. Sous la cendre, il y a toujours la braise. Et l’auteur croit – ou du moins espère – que ce peuple peut encore « hurler d’une voix sèche ».
Cette voix, justement, il nous la donne à entendre. Et c’est là la puissance de ce texte. Il ne parle pas seulement des radiés, il parle pour eux. Il donne voix à ceux que l’on veut faire taire. Il transforme leur exclusion en interpellation, leur effacement en mémoire, leur silence forcé en parole retrouvée. Il rappelle, au passage, que la démocratie ne se résume pas à des procédures mais qu’elle est faite de contradictions, de débats, de choix. Pour Ongui, une élection sans choix réel est une farce, un pouvoir sans contrepoids est une menace et une opposition réduite au silence est un peuple amputé.


« La République des radiés » est donc un appel. Un appel à la vigilance, à la lucidité, mais aussi à l’espérance. Il s’adresse à celles et ceux qui ne se satisfont pas des simulacres, qui refusent de confondre stabilité avec résignation, paix avec silence, légalité avec justice. Il interpelle aussi les intellectuels, les écrivains, les artistes – tous ceux qui, à leur manière, participent à la construction de l’imaginaire politique d’un peuple. Il leur dit : « Prenez la parole. Refusez la langue de bois. Ne vous taisez pas devant l’indignité. »


C’est un pamphlet, au sens noble du terme, que nous offre Ongui mais c’est aussi une œuvre littéraire, un texte d’engagement et de beauté, une parole libre dans un monde verrouillé. C’est le témoignage d’un homme qui n’a pas renoncé. Et c’est, peut-être, le début d’une conversation que la Côte d’Ivoire doit absolument avoir avec elle-même. Car il n’y aura pas de réconciliation sans justice. Il n’y aura pas de démocratie sans pluralisme. Il n’y aura pas de paix sans mémoire. Ce livre en est la preuve éclatante.


Virginie, le 21 juillet 2025, Jean-Claude DJEREKE

Le livre paraîtra à Londres dans les semaines à venir.

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here