Bernard Ayissi Nouma : Chacun est sauveteur en commençant par les témoins

Le directeur national de la gestion des catastrophes à la Croix-Rouge camerounaise (CRC) livre les visages de l’action de sauvetage et de secours tels que déployés dans le pays.

Chaque jour, ici tout comme ailleurs, les accidents surviennent de manière impromptue. Généralement, les populations ne sont pas préparées. Quels sont les gestes de premiers secours en cas d’accident, afin de sauver des vies ou d’éviter d’autres accidents?
Il faudrait d’abord définir ce qu’est le premier secours. Pour définir ce concept simplement, on dira que c’est l’ensemble de gestes et moyens efficaces que l’on administre, que l’on pose sur une personne victime d’un accident ou sur un lieu d’accident, pour éviter qu’il y ait un « suraccident ».

Que faut-il faire lorsque survient un accident sur la voie publique ? La première des choses c’est d’évaluer l’environnement. Il s’agit de trouver des réponses aux questions suivantes : y a-t-il une menace ? Existe-t-il un autre aléa pouvant contribuer à l’aggravation du premier accident? Les vies des badauds sont-elles menacées ? La vie du sauveteur est-elle en danger ? Une fois cette analyse de l’environnement terminée, on protège, c’est-à-dire qu’on procède au balisage en amont et en aval. Ensuite, on signale et cela nous permet de travailler avec aisance afin de venir en aide aux victimes de l’accident. Dès lors, on peut donc poser le premier geste.

Si vous êtes face à un accident et que vous ne maitrisez rien, la première des choses consiste à alerter les passants et les voisins, à composer les numéros de la Croix-Rouge, des sapeurs-pompiers et de la police. Le geste de premier secours ne consiste pas seulement à arrêter l’hémorragie. L’alerte fait partie des gestes de premier secours. Par exemple, vous voyez quelqu’un qui se noie et vous ne savez pas nager. Tout ce que vous pouvez faire c’est de faire savoir aux autres qu’il y’a quelqu’un en train de se noyer. Si vous ne savez quoi faire, il faut simplement appeler un hôpital ou les gens qui sont aux environs.

Vous parlez de balisage. À quoi cela renvoie-t-il concrètement ?
Nous balisons, nous protégeons, c’est-à-dire que le secouriste se protège lui-même, protège la victime et tout ce qui l’entoure à ce moment-là. Par exemple, si nous sommes sur la chaussée et la victime doit être dégagée vers le trottoir, là on peut donc procéder à l’examen sommaire. On évalue les urgences vitales de l’accidenté que sont la conscience, la ventilation et la circulation.

Nous avons des techniques de dégagement, de retournement, de relevage et de transport. Pour une personne victime d’une fracture de la colonne vertébrale, un transport inadéquat peut conduire à une rupture de la moelle épinière, avec pour conséquence une paraplégie à vie.

Lorsqu’un accident survient, la population se rue toujours vers le lieu du drame. Comment gérer la foule de curieux ?
Il faut laisser de l’air à la personne qui est victime d’un accident. Pour cela, il faut éloigner ceux qui viennent voir, pour vous permettre de travailler. Il faut éloigner les spectateurs afin que les sauveteurs travaillent dans un cadre approprié.

Quels sont les critères à travers lesquels un profane peut reconnaître un vrai secouriste ?
Dans plusieurs cas, chacun est sauveteur en commençant par les témoins. Mais, malheureusement, on n’est pas toujours face à ceux qui ont appris les gestes de premiers secours. Pour pouvoir porter secours à quelqu’un, il faut maitriser le geste à poser. Je prendrai l’exemple très simple d’une personne victime d’une fracture fermée. Si vous ne maitrisez pas les gestes idoines face à une tel cas, vous pouvez la rendre ouverte. Au lieu d’alléger la situation, vous l’aggravez. C’est pourquoi il faut suivre une formation en premier secours pour maitriser ces petits gestes qui sauvent.

Les citoyens sont-ils au courant que la Croix-Rouge camerounaise lance régulièrement des formations en premier secours ?
Il faut le dire, certains évènements ont amené la population camerounaise à s’intéresser aux gestes de premiers secours. C’est la raison pour laquelle la CRC fait des efforts pour être plus proche des populations. Elle leur explique pourquoi il faut apprendre les gestes de premiers secours. C’est pour cela que vous trouverez des clubs Croix-Rouge dans les établissements secondaires, les universités, les grandes écoles. Si vous prenez le cas de la ville de Yaoundé, le département du Mfoundi a 7 arrondissements et dans chacun, il y’a un comité d’arrondissement. Ce sont ces comités qui organisent les formations. Actuellement, selon le chronogramme qui m’a été transmis, il y a une formation organisée par Yaoundé 1er Celui de Yaoundé 6 débute la semaine prochaine. La CRC a aussi une tranche d’antenne à la CRTV au cours de laquelle nous prodiguons souvent des conseils.

…C’est vraiment regrettable parce qu’au Cameroun et dans d’autres pays, les gens ont pris l’habitude de voir quelqu’un en détresse et, au lieu d’alerter, ou de lui venir en aide, préfèrent filmer pour avoir le scoop ou faire du buzz…

Vous semblez mettre un point d’honneur sur la Capitale. Qu’en est-il des autres localités ?
La CRC a des structures décentralisées. Chaque département a un comité départemental. Nous formons sur toute l’étendue du territoire national et nous avons pour objectif un secouriste par famille, un secouriste par salle de classe. Cela nous permettra de mettre les gestes de premier secours à la portée de tout le monde.

Il y a un nouvel acteur qui entre en jeu, les réseaux sociaux. Ces derniers ne peuvent-ils pas constituer un geste de premier secours ?
C’est vraiment regrettable parce qu’au Cameroun et dans d’autres pays, les gens ont pris l’habitude de voir quelqu’un en détresse et, au lieu d’alerter, ou de lui venir en aide, préfèrent filmer pour avoir le scoop ou faire du buzz. Ce n’est pas la vie qui est en danger qui les préoccupe, c’est plutôt l’image. La CRC ne peut rien à ce niveau, puisqu’elle n’a pas les moyens de coercition ; elle n’a non plus qualité parce que chacun est libre de jouir de son téléphone.

En tant que spécialiste du domaine, ne pouvez-vous pas attirer l’attention des pouvoirs publics sur de telles pratiques ?
Nous faisons des suggestions lors des réunions, lors des échanges avec les différents partenaires en l’occurrence le gouvernement. Ce n’est pas facile puisqu’on ne peut pas mettre un policier derrière chaque Camerounais lorsqu’il y’a un accident. Et lorsqu’il le fait, vous ne savez pas ; vous ne verrez que l’image qui atterrit sur votre téléphone ; vous ne savez même pas d’où l’image est partie.

En cas d’accident de camions transportant les produits alimentaires comme les brasseries, les camions d’huiles, les cars des boulangeries. Est-il judicieux pour les populations de consommer les produits qui s’y trouvent ?
Cette question relève du Droit. Prendre la chose d’autrui est un délit. Au lieu de vous occuper des victimes, vous vous occupez de leurs biens. Cela constitue une infraction. Quand bien même il a alerté ou sauvé des vies, s’il prend ce qui ne lui appartient pas, il devient un voleur. Et ces cas-là sont légion, surtout dans les grands axes où, lorsqu’un camion de marchandises se renverse, les gens accourent pour se disputer la cargaison. Ils ne s’occupent pas des personnes qui sont sous les décombres.

La CRC a-t-elle un règlement pour les secouristes ?
Un volontaire secouriste de la Croix-Rouge travaille sur les principes, sur un code de déontologie. Il ne saurait accaparer d’une chose qui appartient à une victime. Notre code de déontologie l’interdit formellement. Pendant la formation, nous insistons sur sept principes fondamentaux. Le premier c’est l’humanité c’est-à-dire considérer l’autre comme soi-même. Le deuxième, c’est l’impartialité. Le troisième, c’est la neutralité. On ne tient pas compte de la religion ou de la tribu de la victime. Quatrième: l’indépendance. Il s’agit de travailler sans subir de pressions. Cinquième: le volontariat. Quand je pose un geste, je n’attends pas une rémunération. Sixième: l’unité. Au Cameroun, il y a une seule structure qui s’appelle Croix-Rouge ou Croissant-Rouge. Le dernier principe, c’est l’universalité. Lorsqu’un secouriste pose un geste à Yaoundé, c’est le même geste à Libreville.

Propos recueillis par

André Balla (Stagiaire)

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