Je fais partie de ceux qui soutenaient à l’époque que la fermeture du 43ᵉ BIMA ne signifiait nullement que l’armée française avait réellement quitté la Côte d’Ivoire.

Certains se sont laissé bercer par l’annonce officielle, s’imaginant que Paris avait tourné la page et abandonné toute présence militaire significative. C’était mal connaître la France, mal connaître sa stratégie africaine et, surtout, mal comprendre à quel point son économie dépendait – et dépend encore – des richesses qu’elle prend gratuitement depuis des décennies dans ses ex-colonies. Sans ces ressources, la France ne pèse plus grand-chose. Sans l’Afrique, elle risquerait même de devenir plus pauvre que la Grèce ou le Portugal, deux pays qui ont pourtant connu des crises financières sévères.
La preuve, éclatante et irréfutable, qu’une partie de l’armée française n’était jamais rentrée en France, nous est donnée aujourd’hui par un témoignage qui en dit long. Le colonel Dieudonné Tévoédjrè, commandant de la garde républicaine du Bénin, a récemment reconnu que le ratissage mené contre les militaires insurgés – que les autorités ont vite qualifiés de mutins – s’est fait avec des éléments des forces spéciales françaises venant directement d’Abidjan. Le même colonel ajoute qu’un avion de reconnaissance, également mis à disposition, leur a permis d’identifier avec précision les positions des hommes du lieutenant-colonel Pascal Tigri. Il n’y a donc plus de doute: la France opère toujours militairement depuis la Côte d’Ivoire, comme elle l’a toujours fait, mais désormais dans l’ombre, loin des caméras, loin des déclarations officielles.
Sauf mauvaise lecture de ma part, Pascal Tigri et ses camarades n’agissaient pas pour satisfaire une ambition personnelle ou un caprice militaire. Leur objectif était de mettre fin à la dérive autoritaire de Patrice Talon, un président qui a méthodiquement éliminé les principaux candidats de l’opposition pour assurer une victoire facile à son poulain aux prochaines élections. Talon a imité en cela Alassane Ouattara, dont il est très proche. Les deux hommes ont en commun l’arrogance, la fanfaronnade et la conviction que leur pouvoir doit primer sur les règles démocratiques.
Ce qui rend la situation du Bénin encore plus tragique, c’est que ce pays sortait d’une expérience démocratique exemplaire. La conférence nationale de février 1990, dirigée par Mgr Isidore de Souza, un prélat qui ne se précipitait pas pour faire des déclarations hasardeuses, partisanes et idiotes, avait fait du Bénin un modèle, un pays admiré et envié dans toute l’Afrique de l’Ouest. Mais les dérives autoritaires, déjà perceptibles sous Yayi Boni, se sont aggravées de manière spectaculaire sous Talon. Aujourd’hui, la démocratie béninoise n’est plus qu’un souvenir. Elle a été méthodiquement détruite, institution par institution, droit après droit, liberté après liberté.
Et voilà maintenant que Talon accuse le Togo d’héberger Pascal Tigri. Une accusation lourde, sans preuve, mais qui sert un objectif politique clair: créer un prétexte pour en découdre avec Faure Gnassingbé. Pourquoi ? Parce que la France reproche au Togo d’aider les trois pays de l’Alliance des États du Sahel – Mali, Niger, Burkina Faso – qui, n’ayant pas accès à la mer, dépendent de corridors maritimes pour leur survie économique. Que ces pays aient décidé de rompre leurs liens militaires avec la France a été vécu comme un affront. Et Paris, qui cherche désespérément un moyen de se repositionner dans la sous-région, voit dans cette « mutinerie » déjouée un moyen d’exercer une pression géopolitique.
Je n’ai jamais approuvé l’arrivée de Faure au pouvoir en 2005. Je n’ai jamais cautionné les violences et fraudes qui ont marqué son accession. Mais je ne puis accepter qu’un pays qui s’est disqualifié par ses ingérences, ses coups tordus et sa duplicité cherche maintenant à punir le président togolais uniquement parce qu’il a décidé de voler au secours des pays de l’AES. Cette tentative de manipulation est non seulement grotesque, mais dangereuse. Elle révèle aussi le désespoir stratégique de la France, qui ne supporte pas l’idée d’avoir été chassée militairement et diplomatiquement de plusieurs pays africains en moins de deux ans.
En d’autres termes, Paris tente de profiter de ce coup d’État avorté pour retrouver une légitimité perdue et reprendre pied dans une région où ses intérêts économiques et militaires sont menacés. Et pour cela, elle utilise les mêmes méthodes: présence militaire non déclarée, soutien aux régimes qui lui sont favorables, opérations clandestines, manipulations diplomatiques.
Les médias français disent que la France traverse une crise économique profonde, que ses finances publiques sont dans un état déplorable, que sa dette explose. Et pourtant, elle continue de financer une présence militaire en Afrique dont elle n’a plus les moyens et qui ne sert qu’à maintenir des privilèges coloniaux d’un autre âge.
La solution ? Que la France rapatrie enfin son armée, qui n’a rien à faire en Afrique et qui lui coûte extrêmement cher.
Les Africains n’en veulent pas. Les Français n’en profitent plus. Et le monde n’en est plus dupe.
Tôt ou tard, Paris devra accepter cette évidence: l’Afrique n’est plus sa chasse gardée. Et aucune opération secrète menée depuis Abidjan, aucun soutien clandestin à un régime autoritaire, aucune manipulation diplomatique ne pourra changer cette réalité.
Jean-Claude DJEREKE