Officiellement, il s’agit d’un rituel administratif annuel. Officieusement, d’un signal d’alerte sur la santé financière de l’État.

Les tuyaux budgétaires se bouchent. Par une note du ministère des Finances, le gouvernement camerounais a fixé l’arrêt des engagements le 21 novembre, des ordonnancements le 31 décembre, et la clôture comptable le 31 janvier 2026. Officiellement, il s’agit d’un rituel administratif annuel. Officieusement, d’un signal d’alerte sur la santé financière de l’État. Dans les couloirs des ministères, l’atmosphère est fébrile. Les gestionnaires de crédits s’activent pour faire passer en urgence les dossiers encore pendants. « Nous devons boucler les engagements prioritaires avant la date butoir, sinon tout sera reporté à 2026 », confie un cadre du ministère des Travaux publics. En clair, le robinet des dépenses publiques se referme, et la machine économique tousse déjà.
Signaux
Depuis le milieu de l’année, les signes d’un resserrement de trésorerie se multiplient : retards de paiement, projets suspendus, marchés publics gelés. Selon l’économiste Germain Onana, du Centre camerounais d’études macroéconomiques, « le gouvernement fait face à une forte tension de liquidités, conséquence d’une exécution budgétaire en dents de scie et de recettes fiscales inférieures aux prévisions. L’arrêt anticipé des engagements traduit une volonté de maîtriser la dépense, mais aussi une reconnaissance implicite des limites de la capacité de financement ». Pour Clarisse Mbida, consultante en finances publiques, la mesure n’est pas anodine : « En fermant le robinet dès novembre, l’État cherche à éviter les engagements de dernière minute qui gonflent artificiellement les dépenses. Mais elle révèle aussi un épuisement des marges budgétaires. Les caisses ne sont pas vides, mais elles se remplissent trop lentement ».
Ambiance
Dans les entreprises, notamment les PME prestataires de l’État, la nouvelle suscite l’inquiétude. Les retards de règlement fragilisent déjà les trésoreries. « Quand l’administration stoppe les paiements, c’est toute la chaîne économique qui se grippe », déplore Paul Mvondo, président d’une association patronale. Le secteur du BTP, dépendant des marchés publics, est particulièrement exposé : plus de 60 % des chantiers financés sur fonds publics accusent des retards de paiement depuis septembre.
Les économistes rappellent que cette situation s’inscrit dans un contexte de pression macroéconomique : croissance atone, dette intérieure élevée et recettes pétrolières moins dynamiques. « Le Cameroun n’est pas en crise, mais il vit sous perfusion budgétaire », estime Agnès Ebongué, analyste au cabinet Global Insight. « L’ajustement est inévitable si l’État veut préserver sa crédibilité vis-à-vis de ses bailleurs et éviter une explosion des arriérés ».
L’autre enjeu est politique. À l’approche du débat sur la loi de finances 2026, le gouvernement veut afficher une rigueur exemplaire. Mais pour beaucoup, cette rigueur confine à la paralysie administrative. Les ordonnateurs multiplient les correspondances, les services du Trésor filtrent les paiements, et les fournisseurs attendent, impuissants. « Tout est bloqué, même les projets prioritaires », confie un haut fonctionnaire. Entre nécessité de discipline et risque d’asphyxie, le Cameroun avance sur un fil. « Nous assistons à une forme d’austérité silencieuse », résume Germain Onana. « L’État cherche à sauver la forme sans perdre la face ». Pour l’heure, les finances publiques camerounaises tiennent, mais sous tension. Les tuyaux ne sont pas encore cassés. Ils sont simplement bouchés. Et tout le défi du gouvernement sera de les déboucher sans provoquer de fuite.
Jean René Meva’a Amougou