Entre militarisation, peur et colère contenue, les populations attendent la proclamation des résultats dans une atmosphère de terreur politique.

Les rues se sont vidées, les visages se ferment, les conversations se murmurent. Dans les villes du Grand Nord, l’attente des résultats de l’élection présidentielle du 12 octobre a pris des allures d’angoisse collective. À Garoua, Maroua, Ngaoundéré, Mokolo, Yagoua ou Kousseri, la tension est telle qu’on parle désormais d’une région « en veille de feu ».
Tous les regards sont braqués vers le Conseil constitutionnel, ultime arbitre d’un scrutin dont la légitimité est déjà contestée dans plusieurs cercles.
Un calme de façade, une peur bien réelle
Depuis quelques jours, un calme précaire s’est installé. Mais c’est un calme chargé de peur, de colère et de résignation. Les premières mobilisations populaires, rapidement contenues par les forces de sécurité, se sont tues, non pas par apaisement, mais par attente stratégique.
« Les gens attendent juste la proclamation des résultats pour sortir à nouveau. Ce sera le signal », confie sous anonymat un enseignant de l’Université de Maroua. Les centres urbains du septentrion sont désormais placés sous haute surveillance policière. Les patrouilles se multiplient, les check-points fleurissent à chaque carrefour stratégique. « Un régime qui dit être plébiscité, mais qui déploie l’armée partout, vit dans la peur de son propre peuple », ironise un jeune militant de Garoua.
L’appel à la rue de Tchiroma : la tension monte d’un cran
Dans ce climat électrique, une nouvelle étincelle vient raviver les inquiétudes. Le candidat Issa Tchiroma Bakary, arrivé en tête dans plusieurs bureaux de vote du septentrion selon des compilations locales, a appelé ses militants à une marche pacifique nationale ce dimanche 26 octobre. Objectif déclaré : « dénoncer la volonté du régime de s’approprier la victoire du peuple ».
L’annonce, largement relayée sur les réseaux sociaux et les radios locales, a immédiatement provoqué un branle-bas de combat dans les services de sécurité. Des instructions fermes auraient été données aux gouverneurs et préfets pour empêcher tout rassemblement non autorisé, même pacifique. À Garoua, des camions antiémeutes ont été déployés près du rond-point de la Présidence régionale. À Maroua, les forces mixtes sont visibles autour du marché central et des grands axes. « Nous marcherons pacifiquement, car c’est notre droit. Si on nous empêche, ce sera la preuve que le pouvoir a peur de la vérité », déclare Hassan Hamidou, membre du comité de campagne de Tchiroma joint par téléphone.
Un pays sous tension : peur, réserves et paralysie
Dans plusieurs foyers, les familles font des stocks de vivres. À Garoua comme à Maroua, les marchés ont été pris d’assaut : riz, farine, huile, eau, tout ce qui peut tenir quelques jours sans sortie.
Des messages circulent sur les réseaux : les camionneurs sont appelés à suspendre les trajets vers le Tchad et le nord du Cameroun, par peur de blocages ou d’émeutes.
À l’Université de Garoua, le ministre de l’Enseignement supérieur a ordonné un arrêt de cours de quelques jours, officiellement « pour apaiser le climat social ». Officieusement, il s’agit d’éviter les regroupements étudiants dans une ville où la grogne enfle.
« Quarante-trois ans, c’est assez » : la jeunesse gronde
Partout, la jeunesse dit son ras-le-bol. « Quarante-trois ans au pouvoir, et nos vies n’ont pas changé. Nous sommes encore sans électricité, sans routes, sans emplois », dénonce Bruno Adamou, jeune de Tokombéré, le regard dur. Son congénère, assis à côté, ajoute : « Le Président est venu à Maroua en 2018 implorer nos voix. Il est rentré et s’est enfermé pendant sept ans. Il ne peut pas gouverner par procuration depuis Yaoundé pendant que nous survivons ici. Ses proches décident de tout, pendant que nous, on crève ».
Les frustrations se mêlent à un sentiment d’abandon. Dans cette région historiquement fidèle au régime, le fossé entre le pouvoir et la population n’a jamais semblé aussi profond.
Le Grand Nord au bord du précipice
Alors que le Conseil constitutionnel s’apprête à proclamer les résultats, la question brûle sur toutes les lèvres : le pays est-il prêt à affronter la vérité des urnes ? Le septentrion, longtemps considéré comme un bastion stable, semble à la croisée des chemins : entre loyauté historique et exigence de changement. Un cadre administratif local résume la situation avec gravité : « ce n’est pas seulement une élection. C’est un moment de vérité nationale. Soit on écoute la colère, soit on la subit ».
Tom.





