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Maurice Simo Djom: « face aux manifestants dans la rue, que les militaires et les policiers pensent à leurs propres enfants »

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Maurice Simo Djom

Le fondateur de la revue internationale de géopolitique africaine L’Etat de l’Afrique évoque quelques thèmes de l’édition 2025, notamment l’analyse géopolitique de la présidence perpétuelle et de la succession dynastique en Afrique centrale.

Maurice Simo Djom

Votre ouvrage s’intitule L’Etat de l’Afrique 2025. Porté à ce jour, l’Afrique est-elle sur la trajectoire que vous annonciez ?

En créant cette revue en 2023, je la voyais comme un miroir, un thermomètre et une boussole. Comme miroir, c’est une base de données assez dense qui nous montre où nous sommes, nous, Africains. En tant que thermomètre, les analyses contenues dans la base de données indiquent comment nous allons. Et en tant que boussole, les données et les analyses tracent le chemin de l’avenir. Contrairement à ce qu’on croit, la prospective n’est pas la science qui étudie les scénarii du futur, c’est plutôt l’art de préparer l’avenir. Vous comprendrez qu’il est tôt pour dire si ce que je voulais en 2023 s’est réalisé. C’est plutôt à moi de souhaiter rester dans la même trajectoire et de persévérer. A cet effet, oui, je reste dans la trajectoire de donner à l’Afrique un outil d’introspection et de prospective pour agrandir ses marges de manœuvres dans le jeu mondial.

Vous parlez de « successions dynastiques et de présidences perpétuelles à l’épreuve des ruptures géopolitiques en Afrique centrale. Est-ce l’échec des dirigeants, des institutions ou d’un modèle postcolonial imposé ?

Je ne vois pas cela comme un échec, mais comme une dynamique. La méthode d’analyse que j’utilise est empruntée à l’Ecole des Annales, c’est l’histoire de la longue durée. En utilisant cette méthode, j’ai constaté que la présidence perpétuelle est une combinaison savante entre des ambitions personnelles de dirigeants locaux et une logique de décolonisation en trompe-l’œil, où les puissances mondiales veulent garder la main en jouant sur des figures parentales aussi longtemps qu’elles le peuvent. C’est pourquoi, lorsque la présidence perpétuelle tend à s’essouffler, la succession dynastique est tout trouvée en tant que facteur de préservation du statu quo.

Mais cette dynamique est à l’épreuve des ruptures géopolitiques et les puissances occidentales n’ont plus le monopole de la planification et de la projection. S’ouvre alors un horizon intéressant où plusieurs nouveaux acteurs s’invitent dans le jeu : les peuples, à travers l’appropriation politique par le bas, les puissances anticoloniales, notamment asiatiques et latino-américaines, porteuses d’agendas concurrents et enfin des profils politiques porteurs de rupture. La prospective suggère que la présidence perpétuelle et la succession dynastique ont un avenir incertain.

Dans le contexte politique camerounais actuel, pensez-vous que le processus politique en cours ouvre la porte aux perspectives d’une ouverture démocratique véritable ?

Ce processus politique est une énième occasion pour les populations camerounaises de devenir un peuple. Vous savez que le Cameroun en tant qu’Etat est né de la volonté des conquérants. A plusieurs reprises, les Camerounais ont essayé de reprendre la main mais ils se sont heurtés à des difficultés fortes. L’UPC avait créé un moment de construction d’un contrat social et d’une nation, mais elle a perdu la guerre de décolonisation, une guerre d’autant plus curieuse et inégale qu’elle était cachée. Depuis lors, les populations camerounaises tentent en vain de faire ce qu’il faut pour poser des bases solides. Nous avons eu plusieurs constitutions, mais aucune d’elle ne vient véritablement de nous. Elles ne reflètent ni nos réalités ni nos aspirations. En plus, dès que de faibles consensus ont été dégagés, l’autocratie a tout fait pour les détricoter.
Ce moment offre aux populations une nouvelle possibilité d’essayer. Peut-être que cette fois sera la bonne pour faire les deux choses qui vaillent : tourner la page de l’autoritarisme et écrire un contrat social. J’insiste sur le fait que tourner la page ne suffit pas. Il faut poser les bases et définir comment nous voulons vivrons ensemble.

Car finalement, peu importe comment le Cameroun a été constitué initialement, maintenant la question c’est le contrat social : comment les Camerounais veulent-ils vivre ensemble ? Sommes-nous une monarchie ou une république ? Si nous nous accordons pour être une monarchie, alors rédigeons un contrat de monarchie et le roi restera là comme au Maroc, à vie. Mais si nous sommes une république, le contrat social devra garantir que chacun de nous fasse ce qui est nécessaire pour que ce contrat soit respecté.

Votre livre évoque la bataille de Tinzaouatène. De quoi s’agit-il ?

C’est un événement, une bataille qui a eu lieu au nord du Mali en juillet 2024. Tinzaouatène est une localité du Mali qui a son pendant de l’autre côté de l’Algérie (dont la graphie est Tinzawatène), un peu comme Kolwezi en RDC qui a son pendant symétrique en Zambie (Solwezi). En 2023, le fait marquant de l’année, c’était la bataille de Niamey, mais je parlais alors d’une bataille qui n’a pas eu lieu car le porte-avion français « Mistral » avait certes mouillé au large du golfe de Guinée, mais il était reparti sans avoir propulsé le moindre avion de guerre en direction de Niamey. Contrairement à la bataille de Niamey qui n’avait pas eu lieu, la bataille de Tinzaouatène, elle, a bel et bien eu lieu. C’est le fait marquant de l’année 2024. L’ouvrage analyse le contexte, les combats, les belligérants directs et indirects et les enjeux. Le rôle de chacun est décrypté : les mercenaires internationaux, les FAMa, l’Ukraine, l’OTAN, le Sénégal, l’UA, etc. L’analyse offre l’occasion de comprendre le jeu mondial en Afrique et l’absence de projection africaine au sujet de ce jeu.

Vous parlez de « l’intégration régionale qui entre dans une zone de turbulence, avec la sortie consommée de trois pays de la CEDEAO ». A quoi ressemblerait, concrètement l’Afrique du XXIe siècle, selon Maurice Simo ?

Absolument, l’année 2025 marquait le cinquantenaire de la CEDEAO, mais l’anniversaire n’a pas été célébré. Pourtant c’est la CER [Communauté Economique Régionale] qui enregistre le plus d’avancées en matière d’intégration. La sortie du Burkina Faso, du Niger et du Mali de la CEDEAO n’est pas une bonne nouvelle. L’Afrique que je souhaite ? C’est un continent maître de son destin : capable de se projeter lui-même, capable de faire des choix souverains et capable de se défendre. L’analyse géopolitique est le moyen par lequel je m’engage à contribuer à la réalisation de cette vision parce que je pense que la puissance commence par être un état d’esprit avant de se traduire par des instruments. C’est pourquoi l’intégration de l’Afrique me tient à cœur. C’est dans la solidarité et l’unité que nous ferons face à nos défis. Divisés, émiettés, nous ne serons capables de rien faire dans ce monde implacable.

Les transitions politiques observées dans la région (Tchad, Gabon, RDC…) annoncent-elles un renouvellement de leadership ou une simple reconduction du statu quo ?

Le Tchad et le Gabon sont dans le registre de la succession dynastique, l’autre versant de la présidence perpétuelle. Au Cameroun, au moment où je donne cette interview, le 23 octobre 2025, la jeunesse réclame le respect de la vérité des urnes. Elle se rend compte que voter le candidat de son choix ne suffit pas, encore faut-il utiliser le droit de manifester pacifiquement, avec persévérance pour faire respecter son choix. C’est cela la démocratie. L’histoire nous enseigne que quand les règles du jeu électoral sont biaisées, l’élection ne suffit pas pour que la volonté du peuple triomphe.

Enfin, si vous deviez résumer en une phrase la vision de l’Etat de l’Afrique 2025, quel serait le message ultime que vous souhaitez adresser aux décideurs africains ?

A tout instant, pensons aux générations futures. Mettons la photo de nos enfants dans nos bureaux, dans nos voitures, sur des écrans de nos téléphones portables. Ne faisons rien pour nous-mêmes mais pour eux. Face aux manifestants dans la rue, que les militaires et les policiers pensent à leurs propres enfants. Que les juges, au moment de prononcer un verdict, pensent à leurs enfants, etc. Ne sacrifions pas l’avenir au profit du passé.

Interview réalisée par Tom.

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