Il aura fallu soixante ans. Soixante années de persévérance, de recherches, de luttes intellectuelles pour qu’aboutisse enfin l’un des projets éditoriaux les plus ambitieux du XXe siècle : l’Histoire générale de l’Afrique, lancée par l’Unesco en 1964, trouve aujourd’hui son achèvement.

À Paris, ce 17 octobre 2025, les trois derniers volumes ont été présentés. Et avec eux, c’est bien plus qu’une somme de connaissances qui se clôt : c’est une page de la souveraineté culturelle africaine qui s’ouvre. Car ce projet n’était pas neutre. Il ne l’a jamais été. Il est né dans un contexte de décolonisation politique, pour répondre à un vide aussi immense qu’injuste : l’absence d’une histoire de l’Afrique pensée, écrite et racontée par les Africains eux-mêmes. Jusqu’aux années 1960, l’histoire du continent était racontée depuis l’Europe ou l’Amérique du Nord, à travers un prisme biaisé, souvent paternaliste, parfois raciste, toujours éloigné des réalités vécues.
Les historiens africains ont donc repris la plume. Ils ont déconstruit les mythes, écarté les schémas diffusionnistes selon lesquels l’Afrique aurait toujours reçu de l’extérieur, sans jamais innover. Ils ont rétabli des vérités, fait émerger des figures oubliées, mis en lumière les dynamiques internes du continent. Pendant plus d’une décennie, plus de 200 chercheurs, réunis sous la coordination de l’archéologue camerounais Augustin Holl, ont travaillé sans relâche pour harmoniser les approches, intégrer les nouvelles découvertes et replacer l’Afrique au centre de sa propre histoire.
Cette œuvre monumentale est une victoire. Mais elle n’est pas un aboutissement : elle est un point de départ. Car l’histoire n’est pas qu’un savoir : c’est un pouvoir. Celui de se nommer, de se projeter, de construire un récit commun. En se réappropriant son passé, l’Afrique pose les fondations de son avenir. Elle brise les chaînes symboliques d’un savoir confisqué et affirme sa voix dans le concert des nations.
« Mission accomplie », disent les responsables du projet. Peut-être. Mais la mission véritable commence maintenant. Écrire l’histoire, ce n’est pas simplement retrouver le passé. C’est façonner le présent, préparer l’avenir. Il ne suffit pas de corriger les livres. Il faut les lire, les transmettre, les incarner. Il est temps que les manuels scolaires africains reflètent cette histoire réécrite. Que les médias africains la diffusent. Que les jeunes générations s’en inspirent. Trop longtemps, les imaginaires africains ont été nourris par les récits de l’autre. Il est temps de se raconter soi-même. De ne plus subir les regards extérieurs, mais de porter le sien, lucide et digne, sur son propre chemin.
L’Afrique ne manque ni de voix, ni de mémoire, ni d’héritage. Ce qu’elle réclame, c’est que son histoire cesse d’être périphérique. Qu’elle cesse d’être racontée à la troisième personne. Qu’elle retrouve sa centralité dans les débats mondiaux, non pas comme un continent de souffrance, mais comme un espace de création, de pensée, d’humanité. L’Afrique reprend la plume. À nous de l’écouter. Et, surtout, de ne plus jamais lui arracher le stylo.
JRMA





