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« Discours de campagne »: Cavaye sauvé par la tradition

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Cavaye Yeguie Djibril, pendant son" discours" à Maroua

Comme un lion qui confond la savane à la forêt, le président de l’Assemblée nationale s’est perdu dans sa prise de parole. A Garoua et à Maroua, l’on défend le lamido.

Cavaye Yeguie Djibril, pendant son » discours » à Maroua

À Maroua, ce 7 octobre 2025, le soleil cogne sur les crânes comme un tambour impatient. On attend la grande messe du verbe politique, la parole inspirée du président de l’Assemblée nationale, devant Paul Biya en campagne électorale. Et soudain, Cavaye Yeguie Djibril entre en scène, drapé dans la dignité de ses longues années de fidélité, le regard perdu entre le passé glorieux et le micro tremblotant.

Le public, éventail en main, soupire d’avance : on va entendre l’hommage à Paul Biya, le poème de la constance, la chanson du chef éternel. On a bien un poème, oui… mais d’un genre nouveau : la poésie du désordre syntaxique.

Les mots de Cavaye s’élancent comme des papillons ivres. Une phrase commence au Nord et finit au Sud, sans passer par le verbe. Les idées se croisent comme des chèvres en liberté sur une route de campagne. Parfois, une métaphore s’écrase sur une comparaison mal attachée. On dirait une peinture de Dali récitée à voix haute : le temps fond, les mots coulent, et personne ne sait plus où commence la louange ni où finit la confusion. Cavaye veut glorifier Paul Biya ; il finit par célébrer le chaos organisé. Et au milieu du désastre, Cavaye, impassible, continue, sûr que le message, lui, plane devant le chef de l’État.

Sous la tente blanche, les applaudissements sont mécaniques, presque rituels. On n’écoute plus les mots : on salue l’effort. « Il parle », disent les uns. « Il survit à sa phrase », murmurent les autres. La fidélité, ici, se confond à l’auteur du discours, pas à sa cohérence.

À Garoua, la nouvelle du « discours » s’est répandue comme un parfum de moquerie contenue. Mais attention : on ne rit pas d’un lamido. La tradition, indulgente, protège le vieil homme de la raillerie. « C’est le lamido, on est obligé de l’écouter », souffle un jeune militant du RDPC. À dire que, même quand la parole s’égare, le respect tient la bride au rire. Ici à Garoua, beaucoup haussent les épaules avec philosophie. « Le vieux lion rugit encore, même s’il confond la savane et le désert », glisse un commerçant entre deux gorgées de thé brûlant. C’est que, en ces lieux, le respect s’enrobe toujours d’un brin d’humour.

Dans les cafés, la conversation s’étire. Un vieux militant résume la pensée générale : « Ce n’est pas ce qu’il dit qui compte, c’est le fait qu’il soit encore là pour le dire. » Et tout le monde acquiesce, entre respect et résignation.

Pas grave

Dans les rues poussiéreuses de Maroua, les commentaires vont bon train. Hamadou, militant de la première heure sous la bannière du RDPC, balaie la critique d’un revers de main : « Vous autres, vous aimez trop les mots bien rangés. Cavaye parle avec le cœur, pas avec le dictionnaire ! »

À côté de lui, Zara, jeune étudiante drapée dans un pagne du parti, hausse les épaules : « On ne comprend pas tout, mais il parle devant le chef de l’État et ça suffit ». Plus loin, Moussa, vendeur de téléphones, rit doucement : « Moi, je crois qu’il a mélangé son texte. Mais ce n’est pas grave. Tant qu’il dit “Biya”, le reste passe. Un lamido est inspiré par Dieu ».

Ici et là, quelques avis parlent du « poème du désordre ». Comme si, à force de vouloir plaire, Cavaye laisse parler son inconscient politique.
« On l’écoute comme on écoute la pluie sur la tôle : sans comprendre chaque mot, mais heureux qu’il pleuve encore », confie Aïssa, militante du RDPC à Maroua, les yeux pleins de tendresse.

À Garoua tout comme à Maroua, le discours de Cavaye s’évapore dans l’air chaud, comme une incantation dont on oublie le sens mais pas la musique. Il reste dans les mémoires comme une parabole du temps politique : quand les mots trébuchent, la tradition les relève. Quand la raison s’égare, la coutume s’incline. Et quand le chef bafouille, on applaudit encore plus fort, par patriotisme ou par réflexe.

JRMA

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