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Briser les murs invisibles de l’agriculture africaine

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L’Afrique a les mains dans la terre, mais les yeux tournés vers l’horizon. Ses champs de cacao, ses vergers de mangues, ses collines de caféiers racontent une promesse : nourrir le monde, se nourrir elle-même, transformer la sueur en prospérité. Et pourtant, cette promesse se heurte à des murs invisibles.

Des murs de papier, de procédures, de normes, de routes brisées. Des murs qui réduisent l’élan du continent au silence des cargaisons bloquées aux ports. « Nos produits ne sont pas moins bons, ils sont simplement moins tolérés. La norme devient parfois une arme », souffle le Pr Adama Kouyaté, économiste agricole à Bamako. Ses mots disent l’humiliation des conteneurs refoulés pour un résidu chimique trop élevé d’un souffle, pour une étiquette mal imprimée.

Mais la vraie injustice se joue sur la route. Là où le fruit d’un champ malien peut attendre des jours sur une piste boueuse avant d’atteindre un port. Là où un camion de café camerounais coûte plus cher à acheminer vers l’Europe qu’un navire brésilien traversant l’Atlantique. « Ce n’est pas la terre qui nous manque, c’est le chemin », résume Félicité Nguema, consultante gabonaise en commerce régional. À cette peine s’ajoute l’absurdité de la fragmentation. Des frontières africaines où chaque poste, chaque guichet, chaque douanier impose sa taxe, son tampon, son délai. La ZLECAf a promis l’unité, mais la réalité reste un archipel de nations barricadées contre elles-mêmes. « Il est plus simple d’exporter du cacao ivoirien à Rotterdam que de l’acheminer au Ghana voisin », rappelle Jean-Benoît Essomba, chercheur camerounais. L’absurde devient la règle, et la dépendance, une fatalité.

Mais la plus grande défaite est silencieuse : celle de la transformation abandonnée. Les fèves partent, mais le chocolat revient. Le coton s’en va, le tissu revient. Les fruits s’envolent, les jus débarquent. Dans ce grand bal des matières premières, l’Afrique est encore reléguée au rôle de fournisseur nu. « Nous offrons la richesse, et nous rachetons la valeur. C’est un cercle vicieux qu’il faut briser », plaide Dr. Aminata Diallo, directrice d’un centre agro-industriel à Dakar. Briser le cercle, c’est investir dans des usines, des labels, des routes. C’est donner aux paysans autre chose que la survie : un crédit, une assurance, un marché digne. « Nos cultivateurs n’attendent pas la charité, mais les outils de leur dignité », insiste Hervé Tchatchoua, banquier en agrofinance.

Alors, le vrai combat, c’est celui contre l’injustice d’un continent riche et affamé à la fois. Contre le scandale d’un monde qui veut nos matières, mais pas nos produits. Mais aussi un cri d’espérance. Car l’Afrique a tout : la terre, le soleil, la jeunesse, la volonté. Et repenser l’agriculture en Afrique, c’est poser les bases d’un modèle économique plus autonome, plus résilient et mieux ancré dans les territoires. C’est aussi répondre à une urgence : celle de garantir un droit fondamental : celui de se nourrir dignement, localement, durablement. Il ne lui manque qu’une chose : briser ses murs invisibles. Le jour où elle le fera, le jour où elle transformera ses fruits en richesses et ses récoltes en puissance, ce jour-là, l’Afrique ne nourrira plus seulement le monde. Elle nourrira aussi sa propre fierté.

Jean-René Meva’a Amougou

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