Home INTÉGRATION RÉGIONALE Présidentielle ivoirienne: Et si Laurent Gbagbo se trompait de combat ?

Présidentielle ivoirienne: Et si Laurent Gbagbo se trompait de combat ?

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Laurent Gbagbo

La décision du Conseil constitutionnel ivoirien de rejeter la candidature de Laurent Gbagbo à la présidentielle d’octobre a, sans surprise, provoqué une onde de choc dans le paysage politique national.

Laurent Gbagbo

Réaction immédiate de l’intéressé: il ne soutiendra aucun des candidats retenus, y compris Simone Ehivet Gbagbo et Don Mello, deux figures majeures de son camp. Pour lui, l’essentiel n’est pas de gagner, ni de participer, mais d’empêcher Alassane Ouattara d’être candidat, le qualifiant implicitement de faussaire constitutionnel.

Mais la posture de Laurent Gbagbo interroge. Faut-il refuser l’élection parce que lui-même en est écarté ? Faut-il diaboliser la participation des autres, simplement parce qu’il n’est pas en lice ? Et surtout, faut-il céder à la résignation sous prétexte que le système est verrouillé ? Ma réponse est non. Non, Ouattara n’est pas imbattable. Non, la participation de Simone et de Don Mello n’est pas nécessairement un accompagnement. Et non, Gbagbo n’est pas l’unique voix de l’opposition ivoirienne.

Un précédent africain… et ivoirien

L’argument central de Gbagbo et de ses partisans repose sur une idée simple: le jeu est pipé, donc inutile d’y participer. Ouattara contrôle le Conseil constitutionnel, la Commission électorale, l’appareil d’État… donc à quoi bon ?

Pourtant, l’histoire électorale de l’Afrique offre un contre-exemple frappant à cette logique. Des candidats sortants, puissants, entourés d’institutions à leur solde, ont été renversés par les urnes. Au Malawi, au Nigeria, en Zambie ou plus récemment au Sénégal, des oppositions résolues ont arraché la victoire.

Et que dire de l’histoire récente de la Côte d’Ivoire elle-même ? En 2000, personne ne croyait que Gbagbo pouvait battre le général-président Robert Gueï. Ce dernier, alors président sortant, chef de l’armée, contrôlait tout… Et pourtant, le peuple a parlé, et Gbagbo a été porté au pouvoir. L’ancien président le sait mieux que quiconque: le soutien populaire, même dans un système biaisé, peut renverser les pronostics.
Alors pourquoi, aujourd’hui, décréter que la messe est dite ? Pourquoi ne pas croire à nouveau en la force du suffrage populaire ?

Militants ou citoyens ?

Autre pilier de la stratégie de boycott: l’idée que, sans Gbagbo, les militants ne voteront pas. Peut-être. Mais faut-il rappeler une vérité trop souvent ignorée ? Les partis politiques ne sont pas propriétaires des voix des électeurs.

Les militants ne sont pas des robots. Même si Gbagbo appelle à l’abstention, rien ne garantit que tous les membres du PPA-CI obéiront aveuglément. D’autant que les appels au boycott de 2015 et 2020 n’ont pas été franchement suivis d’effet. Des millions de voix sont restées silencieuses… pas toujours par adhésion à la consigne, mais souvent par fatigue, par dégoût ou par résignation.

Or, 2025 n’est pas 2020. Le contexte a changé. Des candidatures nouvelles émergent. Des voix jusque-là silencieuses se réveillent. Et surtout, le peuple ivoirien en a assez d’être pris en otage par les querelles de chefs.

Plus de 8 millions d’électeurs sont inscrits sur les listes. Peut-on vraiment croire qu’ils sont tous des militants du PPA-CI ? Bien sûr que non. Une large majorité de ces électeurs ne sont membres d’aucun parti, ne dépendent d’aucun mot d’ordre, et souhaitent exprimer leur voix librement.
Ce sont ces Ivoiriens, souvent jeunes, souvent silencieux, qui n’ont pas voté en 2015 ni en 2020, mais qui aujourd’hui ont envie de se faire entendre. Croire que tout tourne autour de Gbagbo, c’est nier leur existence. C’est mépriser leur volonté. Et c’est, encore une fois, se tromper de combat.

Et si la candidature de Gbagbo avait été validée ? Voilà la vraie question, la question de fond. Si sa candidature avait été acceptée, aurait-il boycotté l’élection ? Aurait-il dit à Simone et à Don Mello: « Restons à la maison » ? Bien sûr que non. Il aurait arpenté les plateaux télé, sillonné le pays, mobilisé ses troupes… et réclamé le soutien de tous les démocrates, au nom du changement.

Alors pourquoi refuser aux autres ce qu’il se serait accordé à lui-même ?

Cette attitude, pour nombre d’Ivoiriens, ressemble moins à un acte de conviction qu’à une réaction de frustration. Ils sont nombreux à le dire tout haut: Laurent Gbagbo a marqué l’histoire, mais aujourd’hui, il doit savoir quitter la scène avec dignité.

Gbagbo, un leader en fin de cycle ?

Pour certains de ses compatriotes, Gbagbo est un homme qui ne sait pas partir. Après des décennies de lutte politique, des années de pouvoir, des procès internationaux, un retour triomphal, il continue de penser que, sans lui, rien ne peut se faire.

Or, le propre des grands hommes, c’est justement de savoir passer le flambeau, de former une relève, de faire passer l’intérêt général avant l’ego personnel. Ce n’est pas un aveu de faiblesse, c’est une preuve de sagesse.

Le refus de soutenir même son ex-épouse ou un camarade de longue date, sous prétexte qu’il n’est pas lui-même candidat donne l’image d’un homme plus préoccupé par son exclusion que par l’avenir du pays.

Ce que la Côte d’Ivoire attend aujourd’hui

Ce que le peuple ivoirien attend aujourd’hui, ce n’est ni une guerre d’ego, ni des consignes de boycott. Ce qu’il veut, c’est la paix, la justice électorale, la représentativité, la stabilité.

Oui, la candidature de Ouattara pose un problème constitutionnel. Oui, les institutions sont contestées. Mais la solution ne viendra ni du silence, ni de l’abstention. Elle viendra du courage civique, de l’engagement électoral, de la mobilisation citoyenne.

Participer à l’élection, ce n’est pas trahir. C’est croire encore en la démocratie. C’est dire à la Côte d’Ivoire: « Je ne baisse pas les bras ».
Et puis, les boycotts de 1995 et de 2020 ont-ils empêché Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara d’exercer leur pouvoir ? Non.

Ne pas confondre combat personnel et combat national

Laurent Gbagbo restera une figure majeure de l’histoire politique ivoirienne. Son parcours, sa résistance, ses combats pour la souveraineté et la dignité de l’Afrique lui ont valu l’admiration de millions de personnes. Mais l’Histoire ne s’écrit pas au passé. Elle s’écrit au présent, et surtout avec les autres.

Refuser l’élection parce qu’on en a été écarté, c’est confondre l’égo personnel avec l’intérêt national. Participer malgré les difficultés, c’est faire preuve de foi en l’avenir. Et cela, la Côte d’Ivoire en a plus que jamais besoin.

Le moment est venu de penser le pays au-delà des hommes. Que chacun fasse sa part! Que le peuple vote!

Jean-Claude DJEREKE

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