C’est avec grand retard que j’ai appris la disparition de Claude Langlois, survenue dans la nuit du 24 au 25 mai 2024.

Sa mort m’a profondément touché parce que Claude Langlois était un homme d’exception, tant par la qualité de son travail que par la simplicité de son engagement intellectuel. Il a terminé sa carrière d’enseignant à La Sorbonne, plus précisément à l’École Pratique des Hautes Études, où il a laissé une empreinte durable.
Langlois était reconnu comme l’un des meilleurs historiens et sociologues des religions en France. Son œuvre témoigne d’une rigueur scientifique alliée à une profonde humanité. Jusqu’à l’âge de sa retraite, il n’a cessé de publier, contribuant à nourrir le débat académique avec constance et passion. Cette persévérance dans le travail illustre sa vocation d’enseignant et de chercheur, dont l’amour pour la connaissance ne s’est jamais démenti.
J’ai eu la chance d’être l’un de ses étudiants et ce fut une expérience marquante. Claude Langlois n’était pas un professeur qui imposait sa présence ou son autorité. Bien au contraire, il incarnait une disponibilité et une bienveillance rares. Je n’avais jamais besoin de courir après lui pour qu’il lise mon travail ou qu’il me donne rendez-vous. Lui qui était le directeur de thèse, il était toujours prêt à prendre le temps, à découvrir les questionnements que je portais.
Ce qui frappait chez lui, c’était sa simplicité et sa modestie. C’est lui-même qui choisissait l’endroit où nous devions discuter de mes recherches, souvent dans l’un de ces cafés emblématiques qui entourent la Sorbonne. Ces lieux, à la fois conviviaux et propices à la réflexion, étaient parfaits pour un échange d’idées à la fois rigoureux et détendu. Après avoir écouté attentivement et fait ses remarques éclairées, il fixait toujours la date de notre prochain rendez-vous avec une sérénité pleine de respect pour mon rythme.
Au début de nos rencontres, il ne manquait jamais de prendre des nouvelles de ma famille restée au pays, qui traversait alors une grave crise politique. Cette attention témoignait d’une véritable empathie, et d’un regard porté sur le monde au-delà des seules questions académiques. Une empathie qui venait peut-être des deux années passées jadis au Mali (1965 et 1966). C’est cette humanité qui rendait son enseignement si précieux et ses conseils si précieux.
Durant ses cours, Claude Langlois avait l’art de présenter les grandes questions de l’histoire des religions avec clarté et profondeur. Il commençait toujours par faire circuler les derniers livres parus en histoire et sociologie des religions, partageant ainsi avec ses étudiants les toutes dernières avancées et réflexions du domaine. Ensuite, il exposait ce qu’il avait à dire avec pédagogie et précision. Mais il ne souhaitait pas que son discours reste figé. Il encourageait vivement ses étudiants à réagir, soit en allant dans son sens, soit en le contredisant — mais toujours de façon argumentée et respectueuse. Il répétait inlassablement qu’il n’avait pas la science infuse, prônant ainsi une posture d’humilité intellectuelle qui rendait ses échanges d’autant plus riches.
Il maîtrisait parfaitement les grands documents du Concile Vatican II (1962-1965), les questions relatives aux congrégations religieuses, ainsi que les rapports entre l’Église et le pouvoir politique. Toutes ces thématiques, essentielles à la compréhension de la sociologie des religions contemporaines, étaient abordées avec une profondeur et une rigueur exemplaires.
Sa douceur et son ouverture d’esprit étaient palpables, tant dans sa manière d’enseigner que dans ses rapports humains. Il savait susciter la curiosité intellectuelle, éveiller la réflexion critique et nourrir une démarche scientifique rigoureuse. Son apport au champ de la sociologie des religions est considérable. Il a su montrer combien les croyances et les pratiques religieuses sont des vecteurs essentiels pour comprendre les dynamiques sociales, les rapports de pouvoir, les identités collectives. Sa démarche combinait histoire, sociologie, et anthropologie, offrant ainsi une lecture riche et nuancée des phénomènes religieux. Son héritage est précieux pour tous ceux qui cherchent à appréhender le religieux non pas comme une donnée figée, mais comme un processus vivant et évolutif.
En quittant l’École Pratique des Hautes Études, Claude Langlois n’a jamais cessé d’être un acteur du savoir. Il continuait à publier, à participer aux débats, à accompagner des chercheurs, avec la même passion et la même exigence. Sa retraite n’a pas signifié un retrait du monde intellectuel, mais plutôt un prolongement discret et constant de son engagement.
Aujourd’hui, il est difficile de mesurer pleinement l’étendue de la perte que représente sa disparition. Mais son œuvre et sa manière d’être restent pour nous un modèle d’intégrité, de rigueur et d’humanité. Claude Langlois nous a appris à regarder le monde des religions avec un regard attentif, critique, et toujours ouvert à la complexité.
À travers cet hommage, je souhaite exprimer toute ma reconnaissance envers cet homme qui a su m’accompagner avec tant de patience et de générosité. Son souvenir demeurera à jamais gravé dans la mémoire de ses étudiants et de tous ceux qui ont eu la chance de croiser son chemin.
Jean-Claude DJEREKE