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Cyrille Maka Njoh:« C’est un débat sur le rapport entre souveraineté, intégration sous régionale et ouverture aux étrangers»

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Cyrille Maka Njoh

L’économiste camerounais estime qu’il revient à l’Etat souverain le droit d’établir les modes d’accès aux métiers nommés « petits », de concevoir les règles d’arbitrage entre intérêts ou objectifs opposés des étrangers.

Cyrille Maka Njoh

Le gouvernement gabonais vient d’interdire aux ressortissants étrangers d’exercer dans plusieurs secteurs d’activités qualifiés de « petits métiers ». Que vous inspire cette actualité ?

Pour vous répondre, je partirai de l’intention officielle des autorités gabonaises qui est de favoriser l’insertion professionnelle des locaux. Maintenant, sont-ils vraiment si « petits » ces nombreux métiers qui occupent les étrangers au Gabon ? Ce sont des activités marginales, des activités sans lieu fixe, ni services et infrastructures à disposition, sans possibilité d’obtention de crédits ou de facilités ; mais qui représentent une partie fortement considérable de l’économie de nos pays en Afrique centrale. À n’en pas douter, il y a dans l’énonciation de la « petitesse » des métiers les dimensions réelles d’activités non déclarées ou non reconnues par les instances étatiques ou internationales, qui se réalisent sans protection sociale ou juridique pour les travailleurs, génèrent de faibles revenus et s’opèrent dans la plus grande précarité.

Là-dedans, il y a un ensemble de choses qui renvoient à des représentations diffuses de la débrouille, de la subsistance, de la pauvreté, de l’informalité ou même de l’illégalité. Ces petits métiers ne naissent pas seulement comme conséquence des exigences de survivance et comme résultat de l’inventivité des étrangers, mais surtout comme expression d’une bonne aptitude à saisir les besoins de l’usage.

En toile de fond, ce qui a été décidé au Gabon renvoie à une problématique plus large qui touche de nombreux pays de la Cemac : comment concilier souveraineté économique, intégration sous régionale et ouverture aux étrangers dans une sous-région en quête de croissance. Qu’en pensez-vous ?

En fait, contrairement à une idée trop répandue le libéralisme ne s’oppose pas à l’intervention. Le libéralisme ne saurait être assimilé au laissez‐faire et à la croyance en l’harmonie naturelle des intérêts individuels. C’est un débat sur le rapport entre souveraineté, intégration sous régionale et ouverture aux étrangers. Celui-ci trouve un écho dans l’affrontement entre deux conceptions du libéralisme. D’un côté, toute intervention est prohibée au bénéfice d’une généralisation des relations concurrentielles de marché et/ou de la mise en place d’une ou de plusieurs autorités indépendantes ayant pour fonction de pallier les imperfections de marché. De l’autre côté, le libéralisme est impensable sans une intervention publique qui mêle inévitablement règle et choix discrétionnaire, et, de quelque manière, économie et politique. Suivant cette seconde conception, il ne suffit pas d’imposer la mise en œuvre de règles d’intégration sous régionale présumées optimales pour que l’architecture dessinée par les Etats soit indiscutée.

Par ailleurs, il faut reconnaître que la conciliation de la souveraineté économique, l’intégration sous régionale et l’ouverture aux étrangers n’a pas d’autre vertu que d’éclairer les arbitrages, nécessairement et justement politiques, entre des objectifs voire entre des intérêts opposés ou divergents. Nier que les Etats ont chacun leurs lois en matière d’emplois pour les étrangers sont, non seulement absurde, mais ne peut que les exacerber et conduire à des situations extrêmes. Il revient à l’Etat souverain le droit d’établir les modes d’accès à ces métiers nommés « petits », de concevoir les règles d’arbitrage entre intérêts ou objectifs opposés des étrangers.

Vous convenez avec nous qu’aucun modèle robuste n’enseigne, sous des hypothèses raisonnables, que réduire ou interdire l’accès des étrangers à quelques petits métiers, c’est résoudre ipso facto celui du chômage des locaux. Que répondez-vous à ceux qui pensent comme nous ?

C’est vrai. Aucun modèle robuste n’enseigne que réduire le nombre d’étrangers sur le marché du travail dans un pays assure une relance de l’emploi des jeunes. Par contre, il existe un modèle robuste qui enseigne que restructurer ou démanteler les niches fiscales éparses génère des ressources et permet de promouvoir l’investissement et l’emploi à moyen et long terme. En fait, il faut parfois, sinon souvent, appliquer certaines mesures garantir l’investissement courant et l’emploi futur. Des mesures fortes sont parfois inévitables, sinon nécessaires, surtout dans des économies ô combien fragiles comme celles de la Cemac.

Il ne suffit donc pas d’imposer la mise en œuvre de règles ou d’institutions présumées optimales dont l’architecture serait dessinée par les économistes. Il faut reconnaître que l’analyse économique n’a pas d’autre vertu que d’éclairer les arbitrages, nécessairement et justement politiques, entre des objectifs voire entre des intérêts opposés ou divergents.

Et que faut-il faire dans ce cas, s’agissant particulièrement de la Cemac ?

Je pense que la mise en œuvre de cadres de réglementation migratoire fondés sur les besoins du marché du travail peut être bénéfique aux Etats. Le suivi attentif des indicateurs du marché du travail, combiné à la mise en place de mécanismes de consultation, en particulier auprès du secteur privé, peut constituer un appui supplémentaire aux systèmes de gestion des migrations.

Tirer le meilleur parti de l’impact de l’immigration sur l’économie. Les pays de destination devraient envisager des interventions politiques visant à : favoriser l’employabilité des immigrés, par exemple au moyen d’un réseau élargi de services privés d’emploi ou de formation, et de possibilités d’apprentissage tout au long de la vie afin de perfectionner leurs compétences ; encourager leur investissement en levant les obstacles à l’investissement et à la création d’entreprises ; et maximiser la contribution fiscale des immigrés en soutenant la croissance du secteur formel ou en élargissant l’assiette fiscale et les contributions du secteur informel.

Propos recueillis par Rémy Biniou

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