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Monique Dental: « Pour préfigurer l’avenir, bien souvent c’est dans la connaissance du passé que se trouvent les solutions du présent »

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Monique Dental le 24 mai 2025

Par un regard appuyé sur l’Afrique, l’experte en égalité femmes-hommes auprès de l’Union européenne (France) fait le point de son combat pour la cause des femmes. 

Monique Dental le 24 mai 2025

Bonjour Madame, qui êtes-vous ? Parlez-nous de vous et de ce que vous faites pour promouvoir l’égalité Femmes-Hommes.

Je suis une militante active depuis plus de cinquante ans. L’aînée d’une famille ouvrière. J’ai construit un parcours politique nourri de multiples révoltes contre les rapports de domination de classe, coloniale (j’ai milité pour l’indépendance de l’Algérie dans les années 1960), impérialiste (contre la guerre du Vietnam), racistes (pour les droits des étrangers et immigrés) et patriarcale. Dans cette trajectoire engagée, le féminisme et ses différents combats sont devenus centraux dans ma vie.

Mai 68, en France, a été le creuset d’où surgira, en 1970, le Mouvement de Libération des Femmes (MLF). Se dessinent le passage d’une sourde révolte personnelle à la conscience d’une oppression collective en tant que femme tout en suivant des parcours variés. Le Mouvement de Libération des Femmes (MLF) a changé ma vie. Par la suite, les luttes féministes pour le droit à la contraception et à l’IVG (Interruption Volontaire de Grossesse), reconnaissance du viol comme crime, lutte pour la parité en politique puis dans tous les domaines, développement des études féministes à l’université, lutte contre les violences et les féminicide, cet ensemble permettant de construire une « culture de l’égalité », irriguent la société française en profondeur.

Quelle est la singularité de votre parcours féministe, notamment concernant votre approche de la lutte des classes, votre rapport aux institutions et vos réflexions sur les formes de protestation ?

Monique Dental en 1962

Par mon parcours, mes choix militants et mes réflexions, j’occupe avec le Réseau Féministe « Ruptures » que j’ai créée, une place singulière dans le paysage féministe en France : ancrée dans le courant « lutte des classes », qui défend depuis les années 1970 une articulation des combats de classe, de sexe et d’origine, j’entretiens un rapport distant aux syndicats et aux partis politiques ; féministe radicale, je n’hésite pas à travailler et à militer dans les institutions du féminisme d’État pendant dix ans où j’ai travaillé aux premières données statistiques sexuées et à valoriser les études et recherches féministes, à m’engager pour la parité en politique dont j’ai animé le premier réseau féministe en France jusqu’à la promulgation de la loi en 1999. Attachée aux luttes collectives, je tiens farouchement à mon indépendance de pensée et d’action, c’est pourquoi j’ai fondé, dès la fin des années 1970, le collectif de pratiques et de réflexions féministes auquel le Réseau actuel a pris le relai pour agir dans la mixité avec les hommes sur les questions d’égalité Femmes-Hommes.

Cette singularité apparaît aussi par l’interrogation permanente qui anime mon parcours militant sur les formes que doit prendre la protestation féministe. Je me sens toujours profondément en accord avec le refus des formes pyramidales et hiérarchiques des organisations militantes traditionnelles qui sont au cœur de mes réflexions théoriques. Les questionnements sur les relations entre féminisme, partis politiques, syndicats et institutions nationales et internationales nourrissent également mon parcours.

Parlez-nous du Réseau Féministe « Ruptures » ?

Il date de la fin des années 1980 et s’inscrit dans la continuité du Collectif de Pratiques et de Réflexions Féministes « Ruptures », non mixte comme toutes les associations féministes de cette période, à cette époque, dont j’ai été à l’initiative en 1974 dans la période du Mouvement de Libération des Femmes (MLF) en France.  Constitué à la faveur des luttes pour la parité en politique, pour répondre à l’engageant d’hommes paritaristes, le Réseau Féministe « Ruptures » est désormais mixte.

Il repose sur les valeurs du féminisme universaliste, de la laïcité et de la parité. Il a pour objectif de substituer à la société patriarcale une société fondée sur une égalité réelle entre les femmes et les hommes dans le domaine économique, social et politique et culturel.

Il vise à interroger les questions d’actualité et les problèmes de société en partant de l’approche du féminisme politique comme un des éléments de la transformation sociale. Il établit des passerelles avec des associations féministes et généralistes. Cette approche permet d’appréhender ce que serait un véritable changement social si celle-ci était généralisée. Elle nécessite de définir et de redéfinir en permanence des stratégies d’alliances et des tactiques pour faire de la mixité un levier d’égalité entre les deux sexes.

Notre conception philosophique d’organisation en réseau reprend la théorie du rhizome de Gilles Deleuze et Félix Guattari (1980) dans lequel l’organisation des éléments ne suit pas une ligne de subordination hiérarchique. Notre organisation est horizontale et transversale, auto-organisationnelle, autogestionnaire, basée sur les solidarités féministes.

Pouvez-vous nous décrire l’organisation et le fonctionnement des militantes du Mouvement de Libération des femmes (MLF) dans les années 1970, et en quoi cela différait des structures politiques et syndicales traditionnelles ?

Nous avons voulu conserver ce qui fut une révélation dans l’organisation des militantes du MLF des années 1970, en horizontalité, avec des groupes très divers, aux positionnements pluriels, assumant des différences de courants, aux expressions multiples, mais toujours en gardant à l’esprit les combats communs dans les solidarités féministes. Je me rappelle être passée durant cette période d’un courant à un autre sans que cela fasse problème et soit l’objet de jugement. Cela ne voulait pas dire que nous désertions notre courant de prédilection, cela signifiait que nous voulions découvrir comment les autres pensaient. Dans ce « vagabondage » très formateur, j’ai appréhendé et « compris », parmi d’autres réflexion, les théories lesbiennes, l’écoféminisme de Françoise d’Eaubonne dans sa période d’émergence. En somme, un brassage multiple de façons de travailler et de penser qui se trouvait aux antipodes du fonctionnement des partis politiques et des syndicats qui étaient organisé dans la verticalité, privilégiant le point de vue d’une direction au sommet repris par la base des militantes. Mais en y réfléchissant, ce modèle du « pouvoir » patriarcal repose sur l’image du phallus ; mettre en cause la société patriarcale, c’est s’attaquer à son organisation phallique. D’où la crise de la politique dans ses formes traditionnelles. Cette « verticalité », nous la rejetions, aujourd’hui, nous n’en voulons toujours pas. Nous voulons maintenir ces formes d’expression et d’organisation qui peuvent paraître obsolètes ou décalées pour des jeunes femmes et les jeunes hommes féministes, qui, dans la période actuelle, adhèrent plutôt à des formes plus classiques, probablement parce que leur première expérience d’organisation en France s’est produite dans les syndicats lycéens ou à l’université.

Quelles sont les valeurs fondamentales qui animent le réseau féministe « Ruptures » et comment se traduisent-elles dans vos actions ?

Le Réseau Féministe « Ruptures » est destiné à relayer les informations et les initiatives d’associations féministes et/ou de recherche sur les femmes et le genre, les mettre en commun, en partage, faire connaître ce qui existe dans de nombreux points du territoire français et international permettant d’imaginer des campagnes, des interventions communes sur une région ou à l’échelle nationale et internationale. Tous les groupes qui font partie du Réseau Féministe Ruptures sont indépendants et autonomes. Il n’y a pas de centre, ce qui nous relie, c’est une charte commune de valeurs qui repose sur un féminisme universaliste, laïque, paritaire, antiraciste et écologique. Nos outils : une lettre agenda bimensuelle électronique, notre site et notre page facebook complètent l’information. Nous refusons notre inscription sur les réseaux sociaux. Nos militantes et militants sont entièrement bénévoles. Dans une période effrénée de financiarisation du monde associatif par les entreprises privées, c’est la garantie de notre indépendance.

Pour ce qui me concerne, j’anime l’ensemble des activités en réseau, davantage pour diffuser l’information du travail de ces groupes et ses membres, où chacune et chacun est autonome. Nous nous enrichissons mutuellement des pratiques collectives sur tous nos champs d’action pour aller vers d’autres étapes où d’autres contradictions liées à la période seront à résoudre.

De quelle manière votre organisation aborde-t-elle la question de la régression des droits des femmes face à la montée des intégrismes religieux, tant au niveau national qu’international ?

: Sur le plan national comme international, un axe très fort de notre travail, est la lutte contre tous les intégrismes religieux qui entérinent l’infériorisation des femmes, si ce n’est la négation de leur existence (la situation des femmes en Afghanistan et en Iran, qui vivent un véritable « apartheid sexuel » selon Karima Beloune). Les Etats, ONG et pouvoirs intégristes religieux sont à l’œuvre dans les conférences mondiales et développent des stratégies régressives et répressives contre les femmes. Ils ne cessent d’intervenir pour demander le retrait dans les textes officiels de la notion d’égalité pour la remplacer par les termes « équité » ou « complémentarité ». Fort heureusement, dans ce domaine, nous avons noué de longue date des alliances avec des femmes et des féministes des pays sous lois musulmanes, tissé des solidarités pour que demeure la notion d’égalité, parce que la loi est la seule mesure de l’égalité, l’équité, elle, présente un contenu différent d’un pays à l’autre.

Le développement des mouvements politico-religieux, les silences et les complaisances qu’ils rencontrent ont pour conséquence un indéniable recul des droits des femmes et des droits humains en général. Face à ces attaques, frontales ou insidieuses, des associations féministes ont résisté ; elles ont combattu et continuent de le faire en affirmant leur exigence de liberté et d’égalité ». Ces situations symptomatiques d’un climat et d’un contexte général très dégradé préludent à la période de grande confusion dans laquelle nous vivons.

Comment les mouvements féministes et les groupes de défense des droits humains peuvent-ils concrètement renforcer leurs alliances internationales ?

Débusquer, démasquer, analyser les multiples stratégies utilisées par les forces politico-religieuses, faire connaître leur impact négatif sur l’autonomie des personnes et, en particulier, celle des femmes, s’avère indispensable. A cet égard, forger des alliances entre les mouvements féministes et les groupes de défense des droits humains au niveau international est une nécessité absolue. C’est à cette condition que des victoires ont pu être remportées. Elle doit être accompagner d’une analyse critique en termes d’inégalités entre les femmes et les hommes en chaussant les lunettes de l’égalité, « voir le monde avec des yeux de femmes » comme l’ont dit les ONG féministes à la conférence mondiale, de Pékin en 1995. C’est cette approche à double niveau qui permettra de ne pas être dans la répétition de l’histoire.

Dans la période actuelle, face à la montée de l’islamisme sur fond de retour du religieux et leur collusion avec les extrêmes droites dans le monde, les luttes des femmes pour leurs droits révèlent de l’impérieuse nécessité de conjuguer, plus que jamais, liberté et égalité, ce qui les oblige à définir des stratégies et à inventer de nouvelles formes de luttes face aux pièges, aux menaces et aux violences des intégrismes religieux.

Pour préfigurer l’avenir, bien souvent c’est dans la connaissance du passé que se trouvent les solutions du présent. C’est pourquoi il est très important de garder à l’esprit qu’il existe différentes façons de s’organiser et de réaffirmer le caractère politique du féminisme, c’est-à-dire un de ses apports essentiels : le privé est une question politique. C’est ce que MeToo a réactivé dans la période.

Pensez-vous que les intégrismes religieux font également des ravages en Europe ?

Les attentats islamistes perpétrés en France sont au nombre d’environ 73. On distingue quatre grandes vagues d’attentats : une première entre 1980 et 1986 menée par le Hezbollah et l’Iran (16 morts), une deuxième entre 1994 et 1996 menée par le Groupe islamique armé (17 morts) et enfin une troisième entre depuis 2012, menée principalement par Al-Qaïda et l’État islamique (275 morts).

En Europe, nous avons connu plusieurs attentats comme dans le monde entier, féminisme et religion sont des composantes de la pensée humaine qui comme l’huile et l’eau ne peuvent pas se mélanger. Les dogmes religieux, qui tous se posent comme précédant les lois des pays, donnent à la femme un rôle inférieur, de soumission, à minima, vouée à la protection de l’homme. Cet état de subordination s’est avéré de tout temps comme un carcan porté par les femmes. Les morales chrétiennes ont confiné les femmes dans des rôles de mères et d’épouses, a qui même la Révolution française a refusé le statut de citoyenneté. Les pouvoirs religieux du Moyen-âge ne leur toléraient aucune liberté personnelle et n’hésitait pas à brûler les récalcitrantes en les condamnant pour sorcellerie. Les religions, aux mains des hommes dans tous les pays d’Europe, ont imposé aux femmes des lois morales et familiales qui conféraient aux hommes tous les pouvoirs sur leurs filles et leurs femmes.

Malgré les avancées des droits des femmes au 20ème siècle, pourquoi assiste-t-on toujours à une résistance forte des institutions religieuses et des courants traditionalistes face à une émancipation des femmes ?

Au 20ème siècle, cette prédominance du patriarcat est toujours soutenue par les églises qui luttent contre une évolution de la société dans laquelle les femmes ont conquis des droits personnels jugées par les églises contraires à la morale selon leurs dogmes.

Si l’on considère comme une victoire, pour les femmes et les filles, l’inscription de l’IVG dans la constitution française, les violentes réactions que cela a provoqué, particulièrement soutenues par les courants traditionnalistes d’extrême droite, doivent inciter les femmes et les hommes qui se sont battus pour l’obtenir à rester vigilants.

Les féministes de nos jours ne sont plus des sorcières que l’on brûle mais elles demeurent une cible vouée aux gémonies par les partisans les plus fervents des églises, des temples et des synagogues. Que faire quand les temps chaotiques paraissent incompréhensibles ? L’avenir n’est pas écrit et il sera contradictoire, nous devons nous y préparer.

Quel est votre plaidoyer pour la promotion de l’égalité femme-homme en Afrique ? (Parlez-nous de vos aspirations pour une meilleure prise en compte de la femme dans le monde en général, dans la société africaine en particulier).

Toutes les femmes du monde ont en commun d’être opprimées par le système patriarcal parce qu’elles sont des femmes, aucune n’y échappe sur la planète.

En Afrique, les femmes luttent contre les mutilations sexuelles, le mariage forcé, la polygamie qui sont des fléaux à l’émancipation humaine. Elles sont mobilisées depuis longtemps contre les féminicides et les violences pour les juguler. Cette question est primordiale pour qu’elles réalisent le rôle crucial qu’elles peuvent tenir dans le développement, sachant qu’elles sont les piliers de l’économie informelle. Les textes internationaux indiquent que « l’Afrique est la région du monde où les femmes ont le plus de risques d’être tuées par un partenaire intime ou un membre de la famille ». Comment les Etats africains ont-ils mis en œuvre les douze objectifs stratégiques de la plateforme qu’ils ont adoptée à la 4ème conférence mondiale sur les femmes à Beijing en 1995 ? Ils doivent rendre des comptes et les sociétés civiles doivent les exiger. Comment ont-ils intégré l’approche de genre dans les initiatives de développement, comme cela avait été préconisée en 2016 ?  

Selon vous, quels sont les principaux leviers permettant de dépasser les dogmes traditionnels et les séquelles du passé afin de construire une société où hommes et femmes ainsi que les nations avancent en toute égalité et dignité ?

Si l’on veut bien considérer l’importance du rôle des femmes dans toutes les sociétés, rien n’indique qu’il soit inférieur ou supérieur à celui des hommes, au contraire, il est incontestablement central quant au maintien d’une espèce qui est l’espèce humaine, ni la femme seule, ni l’homme seul ne peuvent espérer continuer à voir le soleil et la lune ponctuer la course des jours. C’est à égalité et dans le respect mutuel qu’ils pourront avancer, émancipés de tous les dogmes qui feraient de l’un ou de l’autre le serviteur ou bien le maître. La terre est cultivée, l’eau est puisée, les animaux sont gardés mais si l’on fait abstraction de la coutume aucun rôle n’est déterminé. Rien n’est réellement attribué à l’homme ni à la femme et le sage ne devrait-il pas se départir de la tradition pour que demain la fille et le garçon marche côte à côte pour construire un commun plus riche grâce à leur différence. Il n’est pas question de tout abandonner mais de regarder ce que chacun aurait à gagner si la fille et le garçon marchaient d’un même pas.

Les techniques modernes de communication permettent d’atteindre toutes les parties du monde, de diffuser la connaissance, de la partager avec tous, avec toutes. Longtemps des peuples ont maintenu d’autres peuples sous leur dépendance. La justice a été rendue non sans difficulté mais la colonisation et ses effroyables effets comme l’esclavage et le racisme ont laissé des cicatrices. L’émancipation de ces pays ne sera totale que lorsqu’il n’y aura plus sur leur territoire la reproduction de toute forme de subordination. Lorsque les garçons et les filles instruits ensemble et promis à un avenir partagé, respectueux des libertés de chacun et de chacune, construiront ensemble une Afrique riche de ses propres ressources, matérielles et humaines. 

Propos recueillis par Tom

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