Très engagé dans l’économie bleue, le pays qui, du 9 au 10 juillet 2025, accueille la Conférence internationale sur l’économie bleue durable dans le Golfe de Guinée, a longtemps montré la voie en Afrique centrale.

«Le Golfe de Guinée recèle 35 % des réserves mondiales de pétrole, des gisements précieux de minerais, et une biodiversité marine exceptionnelle. Pourtant, cette richesse attire convoitises et pratiques illégales, notamment la pêche INN (illicite, non déclarée, non réglementée) perpétrée par des flottes étrangères parfois armées. La menace pèse aussi sur la sécurité terrestre, exacerbée par la faiblesse des moyens de surveillance maritime. Les choses se compliquent avec le changement climatique. D’une part, le réchauffement contribue à l’acidification du milieu marin, entrainant de fortes perturbations de la biodiversité marine et des fortes baisses de celle-ci dans certaines zones. Certains experts détenteurs du prix Nobel ont même dessiné des scénarios catastrophes pour le Golfe de Guinée ». Constat fait Luanda, lors d’un atelier stratégique organisé par la Commission du Golfe de Guinée (CGG) du 28 au 30 mai 2025. Il y a là un programme d’envergure que tous les Etats du Golfe de Guinée pourraient utilement initier. « Puisqu’il il pèse sur chacun d’eux une responsabilité dans le maintien de la bonne santé des océans comme condition de la vie sur terre. En ce sens, la Conférence de Yaoundé 2019 a été une première initiative de synergie des efforts en matière de gestion de la mer et des océans en Afrique centrale », insiste Dr Henriette Voja Nganko. Pour cette spécialiste en droit maritime, « c’est la raison pour laquelle, en tant qu’entité importante en Afrique centrale, le Cameroun travaille à l’élaboration et à la mise en œuvre d’une politique maritime claire et ambitieuse pour le Golfe de Guinée ».
Initiatives
Et Samuel Kamé-Domguia (capitaine de vaisseau à la retraite, consultant international senior et expert en géostratégies disruptives) de compléter : « Les 24 et 25 juin 2013, la capitale camerounaise accueillait un sommet inédit sur la sécurité maritime dans le Golfe de Guinée, marquant un tournant historique dans la gouvernance des espaces maritimes africains. Ce sommet, organisé conjointement par la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et la Commission du Golfe de Guinée, allait accoucher d’un dispositif innovant et ambitieux : l’Architecture de Yaoundé. Fondée sur un Code de conduite, la création de centres de coordination multilatéraux et un engagement politique fort, cette architecture est devenue le socle de la réponse africaine aux menaces maritimes dans l’Atlantique Centre-Est. Douze ans après le Sommet de Yaoundé de 2013 qui a donné naissance à l’Architecture de Yaoundé pour la sûreté maritime, le Cameroun s’apprête une fois encore à marquer l’histoire avec la Conférence Internationale sur l’Économie Bleue dans le Golfe de Guinée ».
De telles considérations mettent pleinement en lumière l’implication assidue du Cameroun dans la promotion de l’économie bleue. Plus récemment (du 25 au 27 février 2025) à Yaoundé, un atelier organisé sous l’égide du ministère de l’Elevage, des Pêches, et des Industries animales (Minepia), avait réuni les femmes du Réseau des transformatrices et promotrices de poisson en Afrique. Les travaux visaient essentiellement à améliorer l’environnement politique, des cadres règlementaires et des capacités institutionnelles afin d’assurer une gestion durable de la biodiversité et des écosystèmes aquatiques, un domaine dans lequel le Cameroun se distingue déjà. Dans les discours de circonstance, l’on n’avait pas manqué de relever d’une part, que le Cameroun ait été choisi pour bénéficier de cet atelier consultatif national, car les écosystèmes aquatiques du Cameroun sont essentiels à la sécurité alimentaire du pays, au développement économique et aux moyens de subsistance des nombreuses communautés qui vivent de ces ressources. D’autre part, mention avait été faite sur le souci du Cameroun à lever les obstacles spécifiques aux femmes, qui sont souvent touchées de manières disproportionnées, et à renforcer l’inclusion du genre dans la gestion de la biodiversité aquatique et de l’environnement dans les Etats membres de l’Union africaines.
« Gadgets »
En octobre 2021, le pays avait déjà jeté les base d’une Politique Nationale des Transports Maritimes (PNTM). En cohérence avec les orientations de l’Organisation Maritime Internationale (OMI), ce cadre opérationnel était censé donner au gouvernement les outils nécessaires pour devenir un acteur efficace dans le secteur du transport maritime et tirer pleinement profit du potentiel de l’économie bleue. Ce n’est pas tout. « Toujours en octobre 2021, situe Dr Henriette Voja Nganko, le Cameroun envisageait déjà de ratifier deux Conventions. La première, c’est celle du Cape. Elle comprend des exigences internationales obligatoires de stabilité de navigabilité associée, des machines et installations électriques, du matériel de secours, du matériel de communication ainsi que la construction d’un navire de pêche. Cette Convention vise à garantir la sécurité des équipages et des observateurs, et à assurer l’égalité des chances dans le secteur. La deuxième, c’est la Convention du travail maritime de 2006. Objectif : assurer des conditions de vie et de travail décent à tous les marins. Cette Convention confère aux marins le droit à la liberté d’association, la reconnaissance effective du droit à la convention collective, l’élimination de toute forme de travail obligatoire ou forcé, l’abolition effective du travail des enfants, l’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession ».
L’autre action promue par le Cameroun, c’est la mise en service du Centre de Recherche de Sauvetage, dans le but de garantir la sûreté des eaux camerounaises. « Cette opération a pour principaux avantages, la réduction des pertes en vies humaines et dégâts matériels, la création d’un environnement sain pour les industries liées au transport maritime, aérien, au tourisme, à la recherche, etc. dans l’optique d’améliorer la performance du registre d’immatriculation des navires camerounais à travers l’identification de toute escale sanctionnée, conduite par des navires battant pavillon camerounais afin de recenser toute activité suspecte de navires qu’il s’agisse de transferts de navire à navire ou de non-conformité au Système Automatique d’Identification (AIS).
Lire plus : Afrique centrale : Que faire ?
Dans la foulée, le pays envisage la création d’un centre d’arbitrage maritime. « A travers ce centre, l’on espère que la mise à disposition d’un mécanisme impartial et efficace de règlement des différends commerciaux transnationaux renforcera la confiance mutuelle entre les investisseurs étrangers, et partant, favorisera les flux de capitaux étrangers au Cameroun », révèle une source qui annonce également la mise à niveau de la législation maritime nationale qui remonte à 1960. Objectif : identifier le conflit entre la législation maritime nationale et d’autres législations nationales, s’assurer que la législation maritime camerounaise est assez dissuasive pour éviter des activités illégales. « La législation et la réglementation maritimes nationales doivent être revues afin de s’assurer qu’elles sont actuelles, adaptées et conformes aux besoins des parties prenantes », expliquet-on au ministère des Transports. C’est donc une véritable transformation du secteur maritime qui est annoncé.
Yaoundé en « bleu »
« Renforcer l’appropriation et l’impact de l’économie bleue dans les pays du Golfe de Guinée afin de créer des richesses grâce aux mers, aux océans, et aux eaux intérieures dans le but d’assurer le bien-être des populations tout en préservant durablement l’environnement ». Tel est libellé l’objectif central de la Conférence internationale sur l’économie bleue durable dans le Golfe de Guinée. Placé « sous le très haut patronage du président de la République du Cameroun », l’événement se tient du 9 au 10 juillet 2025 au palais des Congrès de Yaoundé. En plus de ceux du Cameroun, pays hôte, des experts de quinze autres pays africains (Angola, Bénin, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée-Equatoriale, Libéria, Nigeria, République Démocratique du Congo, Sao Tomé-et-Principe, Sierra Leone, Togo) figurent sur la liste des participants. A leurs côtés, l’on retrouve des représentants de nombreuses organisations internationales et régionales, des banques, et des bailleurs de fonds multilatéraux.
A en croire le comité d’organisation de la Conférence, tout ce monde vient discuter du comment développer une exploitation durable, voire régénérative des opportunités offertes par le Golfe de Guinée. Plus simplement, ils se pressent sur Yaoundé pour réfléchir sur l’économie bleue dans cet espace géographique. La démarche vise notamment à adopter la Déclaration de Yaoundé sur l’économie bleue ; encourager l’adoption d’un projet de résolution sur l’économie bleue dans le Golfe de Guinée en vue de son approbation par l’UA et par la suite son endossement par l’Assemblée générale des Nations unies ; proposer un ensemble de principes volontaires pour une économie bleue durable et résiliente dans le Golfe de Guinée ; faire un plaidoyer en faveur de la création d’un fonds régional pour l’économie bleue dans le golfe de Guinée ; créer un observatoire international sur l’économie bleue en Afrique centrale et promouvoir les meilleures pratiques, l’intégration des données scientifiques et les partenariats entre tous les acteurs de la chaîne de valeur de l’économie bleue.
Rémy Biniou