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Présidentielle 2025 : comprendre le silence volubile de Paul Biya

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Paul Biya, artisan en chef du sommet conjoint

Fidèle à ses habitudes, l’homme du 6 novembre 1982 parle bouche bée. Analyses.

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Pour certains esprits, le silence de Paul Biya peut être ramené à une technique essentiellement managériale. « Il brasse une idéologie et délivre un message substantiel capable de modifier le cours des choses », soutient Cyriaque Tiki Koum. Ce que dit le linguistique traduit le silence de Paul Biya comme une posture managériale qui joue de la politique dans la forme comme dans le fond. « Cela s’observe bien en saison électorale », fait observer Cyriaque Tiki Koum. « Quand, toujours, c’est une année électorale au Cameroun, le chef de l’État garde longtemps le silence. Un silence chargé de brouiller les analyses et toutes les convictions », complète Nicaise Batoum, militant du Social Democratic Front (SDF).

Si le procédé est propre à Paul Biya, il est davantage renouvelé en fonction des polémiques et des enjeux liés à l’élection présidentielle. « En 1992, situe Dr Flavien Nkoudou Mani, on a vu le président de la République garder longtemps le silence, sachant bien que celui-ci lui sert de masque avant la convocation du corps électoral. On dirait qu’il se mure derrière ce silence pour ne pas troubler l’ordre public par quelque sortie, et s’éloigner d’un électorat populaire. C’est le cas en 1992.C’est le cas en 1997, où des polémiques et des controverses animées par des nébuleuses politiques et diplomatiques avaient fait de la tricherie présumée de 1992 le substrat de leur contestation ». L’analyste politique ajoute : « Comme il se doit dans une campagne électorale, la lutte contre un président sortant se fait au nom du changement, Paul Biya ne pouvait manquer de se taire face à la bruyance ambiante en 2011. A sa place, seuls ses affidés le présentaient comme un candidat différent pour une politique différente. La même chose en 2018, où Paul Biya n’a pas rompu avec son attitude moins bavarde ».

Inchangé
Ainsi faut-il comprendre Paul Biya en 2025 : peu porté aux éclats verbaux et aux exhibitions people. « Parce que son habitus d’homme très peu volubile le porte à l’extrême modestie et aux compromis sous silence, il ne faut pas s’attendre à ce que son style subisse quelque changement », valide Cyriaque Tiki Koum. Ce qui est ainsi énoncé est traduisible autrement : « En faisant mystère sur sa candidature ou non candidature en octobre prochain, Paul Biya n’entend pas réaménager son habitus de politicien silencieux qui contrôle les choses de loin, et par des circonstances qui l’amenent à endosser le rôle de chef d’État quand il le faut », selon Dr Flavien Nkoudou. De là à deviner que, pour le moment, par rapport à la prochaine élection présidentielle, il assume tout simplement l’inspiration programmatique de son parti : les appels à candidature.

Conseillers
À côté d’une certaine opinion interne au RDPC qui exprime une volonté de changement, il apparaît que le mystère Paul Biya n’en finit pas, cette fois encore, de réveiller les souvenirs d’un homme politique qui cède très difficilement à la pression. Et si nous continuons de pénétrer un peu plus avant à l’intérieur de la mécanique biyaiste, très vite on prend la mesure de l’importance des conseillers et autres personnages commis au même rôle. « Depuis les précédentes années de la présidentielle, le nombre des conseillers n’a jamais cessé de croître. En général, ils sont désignés, mais n’ont aucun statut juridique propre. Ils ne forment pas un cabinet, puisque chaque conseiller relève du président lui-même personnellement, via le secrétaire général de son parti. Il s’établit ainsi une relation largement intuitu personae entre le président et son conseiller, même si cette dernière rencontre très rarement le président en personne. Chacun de ces conseillers finit d’ailleurs par acquérir une culture propre, surtout lorsque la compétence technique de l’un est requise.

Il s’y établit un véritable rapport de force à multiples facettes qui détermine la position silencieuse du chef de l’État sur tel ou tel sujet. Avant et pendant la campagne électorale, chaque conseiller a la charge d’une série de dossiers, correspondant habituellement au domaine couvert par un autre », renseigne une source très introduite.  Le rôle des conseillers, tel qu’il apparaît dans ce cas est d’informer Paul Biya, de lui rendre compte de ce qui se trame dans les états-majors des autres partis politiques, et ce, sans donner son avis ou de proposer des choix, encore moins des attitudes à adopter. Il envisage simplement les possibles.« Ceci suppose que, dans le cadre des préparatifs d’une élection présidentielle, le conseiller, immergé dans un réseau relationnel aux contours variables, à travers lequel il entre en contact avec de nombreux interlocuteurs, dispose de toutes les informations collectées à partir de toutes les relations avec des journalistes, ceux-ci étant également intégrés à la mécanique d’ensemble », souffle encore notre source. Et selon ceux qui ont des entrées dans le serail, c’est la juxtaposition de ces réseaux qui permet, pratiquement, la collecte de l’information. L’exercice de l’arbitrage, c’est-à-dire de la prise de décision, revient exclusivement à Paul Biya lui-même.Cette forme de management préélectoral est induite par la nature même de l’homme du 6 novembre 1982.

En prenant les choses par ce bout, il n’est pas inutile de se remémorer le contexte politique préélectoral en commençant par l’actualité la plus récente : les batailles autour du mandat impératif. Paul Biya qui, depuis toujours, n’est pas dans la logique « attrape-tout » donne l’impression d’ignorer le sujet. « Si le contexte politique importe, il faut comprendre le cadre de son silence politique qui lui permet de recréer artificiellement un contexte contigu et continu fait d’émotions diverses, elles-mêmes amplifiées par l’effet de halo que leur mise en scène médiatique suscite », conclut Cyriaque Tiki Koum. En ce sens, la technique du silence autorise Paul Biya à renforcer une relation intime avec son cœur de cible électoral. En cela, son silence confirme son image d’arbitre silencieux sous le manteau d’une neutralité politicienne. Faisant ainsi de son âge, non pas un handicap, mais un avantage dans le cadre de la prochaine élection présidentielle, puisque associé à la sagesse.

Jean-René Meva’a

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