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Un Parlement au service du peuple ou des puissants ?

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Jean Claude Djereke

Dans toute démocratie digne de ce nom, le Parlement est censé faire entendre la voix des citoyens, défendre leurs droits, contrôler l’action du gouvernement et veiller à une répartition équitable des ressources publiques.

Jean Claude Djereke

En Côte d’Ivoire, et dans d’autres pays d’Afrique francophone, avons-nous un Parlement godillot, c’est-à-dire soumis et passif, ou un Parlement réellement capable de défendre les intérêts du peuple ? Les récents événements survenus dans le pays semblent malheureusement pencher en faveur de la première hypothèse.

Le silence des députés face aux préoccupations populaires

L’un des épisodes les plus marquants de cette inertie parlementaire remonte à avril 2023, lorsque les opérateurs de téléphonie mobile Orange et MTN augmentèrent brutalement leurs tarifs. Une décision impopulaire qui suscita l’indignation de nombreux consommateurs. Pourtant, dans cette tempête sociale, le silence du Parlement fut assourdissant. Aucun soulèvement, aucune marche, aucune interpellation officielle de la part des représentants de la nation. Un seul député osa sortir du rang: Antoine Assalé Tiémoko. Ce dernier appela au boycott des opérateurs, geste courageux qui finit par faire reculer les deux géants de la téléphonie. Cet exemple isolé met en lumière la faillite d’une institution qui, dans sa majorité, semble sourde aux cris des plus démunis.
Autre cas tout aussi révélateur: l’affaire Komé Bakary, accusé de faux et usage de faux en écriture publique. Là encore, le Parlement resta muet. Seul Assalé Tiémoko prit l’initiative de porter plainte, le 25 mars 2025. Ce mutisme collectif est d’autant plus choquant qu’il s’agit ici d’un scandale touchant aux fondements mêmes de la justice et de la transparence dans la gestion des affaires publiques.

Une mobilisation sélective et politicienne

La passivité du Parlement est d’autant plus troublante qu’elle contraste avec sa soudaine capacité de mobilisation lorsque certains intérêts politiques sont en jeu. Ainsi, dès l’annonce de la radiation de Tidjane Thiam de la liste électorale, des députés du PDCI se sont empressés d’organiser une marche de protestation, le 14 juin 2025. Cette réaction rapide et énergique soulève une question: pourquoi une telle vigueur lorsqu’il s’agit d’un homme politique bien né, parent d’Houphouët-Boigny, alors que les injustices subies par des milliers d’anonymes sont ignorées ?
Cela donne le sentiment que l’indignation parlementaire est à géométrie variable, dictée non pas par un sens aigu de la justice ou de l’équité, mais par des intérêts partisans ou des considérations de clan. Les élus semblent davantage préoccupés par la défense de leurs proches et de leurs alliés que par celle du citoyen ordinaire.

Le privilège de l’élite: une indignité jamais dénoncée

Un autre signe révélateur du décalage entre les députés et leurs électeurs est leur silence face à certaines pratiques profondément inégalitaires. Lorsqu’un président, un ministre ou un député tombe malade, il est aussitôt évacué en Europe, en Tunisie, en Turquie ou au Maroc aux frais de l’État. Pendant ce temps, l’Ivoirien moyen, lui, meurt dans des hôpitaux surpeuplés, mal équipés, voire sans soins. Ce traitement discriminatoire, véritable affront à l’égalité républicaine, ne suscite aucune protestation de la part des parlementaires. En se taisant, ils cautionnent un système qui réserve le meilleur aux puissants et laisse les faibles à leur sort.

Le rôle du député: un idéal trahi

Théoriquement, le député est le représentant de la nation tout entière. À ce titre, il a pour mission de proposer des lois, d’interpeller le gouvernement, de contrôler l’action de l’exécutif et de veiller à la bonne utilisation des fonds publics. Il doit être un veilleur, un porte-voix, un rempart contre les abus. En Côte d’Ivoire, cette mission semble être vidée de son sens. Trop souvent, les députés se comportent comme des courtisans ou des spectateurs, alors qu’ils devraient être des acteurs engagés et critiques.

Cette démission collective est d’autant plus inadmissible que les parlementaires ivoiriens jouissent d’un traitement financier enviable. Avec un salaire mensuel de 2 600 000 francs CFA (chiffres de 2023), ils figurent parmi les fonctionnaires les mieux rémunérés du pays. Ce revenu généreux se justifierait pleinement si les députés remplissaient leur mandat avec rigueur et courage. Mais comment ne pas s’interroger sur leur mérite lorsque leur action reste si timide, si inégale, si détachée des réalités du quotidien ?

Nos députés méritent-ils leur salaire ? La question mérite d’être posée. À voir leur silence face à l’augmentation du coût de la vie, leur indifférence devant les spoliations foncières, leur immobilisme face à la dégradation des services publics et leur absence de solidarité avec les victimes d’injustices sociales, on peut en douter. Le contraste entre leurs privilèges et leur performance est choquant. Il invite à une remise en question profonde du rôle du Parlement et à une vigilance accrue de la société civile.

En fin de compte, c’est au peuple qu’il revient de rappeler aux élus qu’ils ne sont pas là pour servir leurs intérêts ou ceux de leur parti, mais pour défendre la nation. Il est temps de sortir de la résignation et d’exiger un Parlement à la hauteur des attentes populaires. Un Parlement qui ne se contente plus de voter des lois, mais qui les incarne. Un Parlement qui n’ait pas peur de se lever lorsque l’injustice frappe. Car ce n’est qu’en honorant leur mission de porte-voix du peuple que nos députés mériteront réellement le titre d’honorables.


Jean-Claude DJEREKE

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