Au Mali, les « consultations sur la relecture de la Charte des partis politiques », organisées à l’initiative des autorités militaires de transition, se sont achevées le mardi 29 avril 2025. Les participants ont formulé plusieurs recommandations, dont la prolongation de la transition pour une durée de cinq ans et la « suspension de toutes les questions électorales » jusqu’à la « pacification » du pays.
Le chef de la junte, le général Assimi Goïta, a été élevé au rang de président de la République et il lui a été également recommandé de dissoudre les partis politiques et de durcir les conditions de leur création. Si ces recommandations sont validées par le chef de la junte, elles consacrent un recul du pluralisme politique obtenu de haute lutte depuis la chute de Moussa Traoré, le 26 mars 1991.
Éric Topona Moncga, journaliste à la Deutsche Welle, à Bonn (Allemagne)
Au commencement était une transition qui ne devait pas s’étendre au-delà de deux années. Au fur et à mesure que les années passent, la transition politique au Mali n’a eu de cesse de s’éterniser, à tel point que nombre d’observateurs se sont trouvés en droit de se demander, à juste titre, si un retour à l’ordre constitutionnel était toujours envisageable.
Dans cet intervalle de temps décidément interminable, les militaires au pouvoir à Bamako ont évoqué, chaque fois qu’ils sont interpellés sur cette question cruciale, l’impératif de sécuriser le pays et de rétablir son intégrité territoriale. C’est à se demander si les pays qui ont tenu des élections en Afrique depuis que le pluralisme politique est devenu la règle étaient tous pacifiés.
Le Sénégal a tenu depuis des décennies des élections démocratiques, alors que le conflit en Casamance n’était pas encore résolu. Le Nigeria a organisé des élections présidentielles en 2023, dont les résultats ont été publiés en 48 h, alors que la pieuvre terroriste de Boko Haram n’est pas encore entièrement neutralisée. Le Tchad, tout aussi engagé dans un processus de transition politique, a organisé des élections générales inclusives tout en continuant le combat contre les nombreuses menaces à ses frontières.
L’argument de la « pacification » du pays est d’autant moins recevable dans l’environnement international extrêmement instable qui limite toute prévision fiable sur le long terme, voire le moyen et le court terme, que nul ne peut prédire ce que sera le monde à très court terme.
Il y a à peine un semestre, nul ne pouvait prévoir un retournement géostratégique majeur des États-Unis dans le conflit russo-ukrainien, avec ses conséquences à la chaîne sur l’ensemble de la scène politique internationale.
Moins encore, la guerre commerciale féroce que Donald Trump livre au reste du monde crée une nouvelle donne totalement imprévue qui diminue considérablement les possibilités budgétaires de nombreux États.
Front patriotique et Union sacrée
Si nul ne met en doute la nécessité pour les autorités actuelles du Mali de rétablir l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire national, la question qu’il est légitime de se poser est celle de savoir si le pouvoir central à Bamako pourra efficacement mener la guerre contre le terrorisme djihadiste jusqu’à son éradication en divisant le pays comme il ne l’a jamais été.
En effet, il y a plutôt lieu de redouter qu’elles obtiennent l’effet inverse de celui recherché. L’histoire des pays qui font face à des agressions extérieures atteste que, lorsque la nation doit combattre un ennemi commun à ses frontières, seul un front patriotique le plus large possible peut venir à bout de cette menace.
Cet impératif stratégique se justifie d’autant plus que les forces armées maliennes sont confrontées à une guerre pour l’essentiel asymétrique. Les terroristes, comme dans la plupart des pays confrontés à cette menace, se fondent dans la population ou en font partie depuis des lustres. Comme l’a démontré le récent rapport du Timbuktu Institute, les terroristes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) ne cessent de gagner du terrain dans l’ouest du Mali, en raison entre autres d’un délitement du lien social, du déclassement d’une jeunesse en proie à la persistance du chômage et à l’absence des services sociaux de base et des perspectives d’avenir. Dès lors, ces segments de la population deviennent des proies facilement manipulables par les terroristes salafistes.
Du pain béni pour les djihadistes
Plutôt que de proposer la dissolution d’une centaine de formations politiques, dont les plus importantes du pays, ne fallait-il pas organiser une vaste concertation afin de créer cette nécessaire Union sacrée face à une menace qui ne cesse de progresser, en dépit du discours officiel de moins en moins rassurant ?
Cette recommandation formulée par des partisans de la junte militaire qui fait le lit de mécontentements de plus en plus grandissants est plutôt, en réalité, du pain béni pour les terroristes qui pourraient les exploiter pour répandre leur catéchisme pseudo-religieux et criminel.
La dissolution annoncée des formations politiques est par ailleurs hautement préoccupante sous l’angle du respect du pluralisme politique et de l’avenir de la gouvernance au Mali.
Depuis quelque temps, en Afrique subsaharienne francophone, notamment dans les pays de la nouvelle Alliance des États du Sahel, se fait entendre un discours qui fait le procès de la démocratie et estime que ce système politique n’a pas permis d’apporter aux Africains la prospérité économique et la souveraineté rêvées. Or, c’est une grave erreur d’appréciation que de limiter la revendication des peuples africains, depuis les années 1990 et pour une meilleure gouvernance, à la démocratie formelle, après l’échec des partis uniques.
Par ailleurs, l’un des principaux reproches qui était fait à ce système de gouvernance, c’était l’absence de reddition des comptes et la centralisation excessive du pouvoir d’État entre les mains d’un seul homme, voire d’une clique.
Le plus déplorable durant ces décennies, c’est que, dans la plupart de ces États à parti unique, les promesses de progrès social et de construction d’un État moderne et solide n’ont guère été tenues, jusqu’à leur effondrement dans le sillage de la faillite du communisme soviétique qui fut leur modèle d’inspiration. L’une des vertus du pluralisme politique, et non des moindres, est son potentiel de dissuasion contre certains abus de pouvoir et autres dérives autocratiques.
La mobilisation actuelle des forces politiques qui s’oppose à ce verrouillage sans précédent de la vie politique au Mali, comme naguère au Burkina Faso et au Niger, est gravement préoccupante pour l’Afrique tout entière. C’est une période de graves incertitudes qui s’ouvre et devrait mobiliser l’Union africaine, dont ces pays demeurent membres, en dépit de leur retrait de la CEDEAO.
Gageons que le général Assimi Goïta prendra la mesure de la situation en ne mettant pas en musique ces recommandations, notamment celle relative à la suppression des partis politiques. La survie de la démocratie malienne chèrement acquise en dépend.