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Situation économique et financière : la tendance au 24 mars 2025 en zone Cémac

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Yvon Sana Bangui, le gouverneur de la Beac.

Selon la Beac, cette année, plusieurs indicateurs témoignent d’une embellie dans l’espace communautaire.

Yvon Sana Bangui, le gouverneur de la Beac.

Commençons par quelques remarques concises et instructives du gouverneur de la Beac, Yvon Sana Bangui, qui fait le point sur la situation. « La pression inflationniste dans la zone Cemac suit une tendance baissière, et nous anticipons une diminution encore plus marquée cette année. Cette évolution favorable s’accompagne d’un niveau globalement confortable de nos réserves de change, témoignant de la résilience de notre économie face aux chocs externes », a-t-il expliqué lors de la conférence de presse de clôture du Comité de politique monétaire (CPM) le 24 mars dernier. Adoptant une perspective temporelle beaucoup plus ample sur la trajectoire des taux d’intérêt, Yvon Sana Bangui offre ici une description exhaustive de la politique monétaire anti-inflationniste adoptée par la banque centrale.

En données brutes, cette tendance de fond fait appel à plusieurs références. « Au niveau sous régional, les prévisions macroéconomiques et financières actualisées en février 2025 par les services de la Beac tablent sur : un renforcement de la croissance à 2,9 % contre 2,6 % en 2024, en lien avec la bonne tenue des activités non pétrolières (3,9 % en 2025, contre 3,1 % en 2024) ; un repli du taux d’inflation sous la norme communautaire, autour de 2,9 en moyenne annuelle, contre 4,1 en 2024 ; une légère amélioration du solde budgétaire, base engagements, hors dons, à -0,9 % du PIB en 2025, après -1,2 % du PlB un an plus tôt; une dégradation du solde du compte courant, dons officiels compris, à – 4,0 % du PIB, après -0,4% un an auparavant ; une augmentation de la masse monétaire de 10,6 %, contre 10,0 % en 2024; et une augmentation des réserves de change de 4,0 % à 7 584,9 milliards, correspondant à un taux de couverture extérieure de la monnaie de 76,1 % après 74,9 % à frn 2024-et un niveau des réserves en mois d’importations de biens et services à 4,8 mois, contre 4,6 mois en 2024 », a précisé le gouverneur de la Beac à l’issue du CPM du 24 mars 2025.


Indices
La grille de lecture fournie par le Centrafricain permet de repérer certains indices clés dans la conduite de la politique monétaire, avant de détailler leur portée et leur ampleur en zone Cemac. Il s’agit, a-t-il souligné, des premiers résultats des politiques d’import-substitution mises en place dans certains pays de la Cemac pour freiner les importations massives, qui sont à l’origine de 80% de l’inflation selon la banque centrale. Ensuite, il y a les résultats de la politique monétaire restrictive mise en place par la Beac dès fin 2021, et qui a consisté à durcir les conditions de refinancement des banques commerciales auprès de la banque centrale, et à durcir les conditions d’accès au crédit dans le secteur bancaire, le tout à l’effet de contenir les 20% de l’inflation qui sont d’origine monétaire.


Selon Yvon Sana Bangui, « ces indicateurs se rapprochent de l’objectif fixé par la Banque centrale et conforte ainsi sa nouvelle politique de taux directeurs ». Concrètement, depuis le 24 mars 2025, le taux d’intérêt des appels d’offres (TIAO), qui est le taux auquel les banques commerciales se refinancent auprès de la Beac, est fixé à 4,5%, contre 5% auparavant. Le taux de facilité de prêt marginal, qui est la rémunération des financements obtenus par les banques commerciales auprès de la Beac pour une période de 24 heures, passe quant à lui de 6,75% à 6%. « Cet assouplissement va contribuer à stabiliser les perspectives d’inflation à moyen terme », a indiqué le Centrafricain.

Jean-René Meva’a Amougou

Eviter la «loi du marteau»

Vous connaissez « la loi du marteau » ? C’est ainsi que les sociologues appellent le biais de jugement consistant à trop faire confiance à un seul instrument : quand on a pour unique outil un marteau, tous les problèmes finissent par ressembler à un clou. Pour ne pas croupir sous cette « loi », la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac), après deux années de croissance perfusée à quelques mesures draconiennes, se satisfait d’un ralentissement sensible des prix dans la zone Cemac. Réuni le 24 mars 2025, le Comité de politique monétaire (CPM) de la Beac a annoncé l’assouplissement de sa politique monétaire par la réduction de ses taux directeurs. De 5,00%, le taux d’intérêt des appels d’offres passe à 4,50% ; de 6,75%, le taux de la facilité de prêt marginal passe à 6%. En revanche, le CPM a décidé de maintenir le taux de la facilité de dépôt à 0,00% ; et les coefficients des réserves obligatoires à 7,00% sur les exigibilités à vue et 4,50% sur les exigibilités à terme.
Et selon le CPM de la Beac, bien que des défis continuent de peser sur l’activité économique sous régionale, les prévisions de croissance (portées par le dynamisme des secteurs non pétroliers et une l’inflation déclinante) peuvent être placées à 2,9% contre 2,6% en 2024.

Palette d’incertitudes, coussins de précautions

Au milieu des craintes entourant l’impact de l’agenda politique au Gabon et au Cameroun, la Beac prend ses dispositions.

Bien entendu, cette nouvelle politique est tout à fait inhabituelle. Et pourquoi? « Parce que c’est la première fois (depuis 2021) que la Beac revoit à la baisse ses taux directeurs. Par rapport aux projections macroéconomiques de la Cemac, la banque centrale mise sur une décrue des pressions inflationnistes. Les banquiers centraux veulent toutefois observer l’évolution de près et ajuster la politique monétaire à nouveau si nécessaire. Toutes choses pesées, ils s’attendent à ce que la croissance sous régionale s’accélère, malgré l’incertitude entourant l’impact des élections présidentielles au Gabon et au Cameroun.

Selon une source ayant pris part aux délibérations du CPM du 24 mars dernier, ces incertitudes politiques ont alimenté les craintes d’un ralentissement économique accru dans l’espace communautaire. « Si les conditions financières du Gabon et du Cameroun venaient à se dégrader davantage, la banque centrale pourrait intervenir pour éviter une contagion des tensions financières. Si ces inquiétudes se renforcent, les taux peuvent de nouveau grimper», prévoit Dr Vincent Awoumou. « Dans cette optique, le temps que le brouillard se dissipe sur les effets des politiques de ces deux élections, l’inflation qui est l’objectif premier de la Beac sera un paramètre crucial tout au long de 2025», poursuit l’expert camerounais des questions monétaires.


Dans l’immédiat, la Beac a mis sur pied un dispositif ciblé de soutien à la liquidité, au renforcement des partenariats entre les institutions financières pour soutenir le développement économique en zone Cemac. Son scénario de référence est celui d’une sortie de l’inflation sans récession « C’est pourquoi elle a mis en place des injections massives de liquidité sur des maturités plus longues qu’habituellement, en vue de réduire les tensions sur les marchés interbancaires à court terme », renseigne une source à la Beac. Celle-ci ajoute que « Les banques peuvent ainsi obtenir autant de liquidités qu’elles le désirent auprès de la Beac, en utilisant la facilité de dépôt auprès de la banque centrale pour placer leurs excédents, augmentant la base monétaire. Et c’est pour cela que l’optimisme semble plutôt dominer ».


Jean Rene Meva’a Amougou

Regards croisés

Dr Vincent Awoumou

L’universitaire, expert des questions monétaires, s’étale sur le contexte et les effets en zone Cemac de la politique d’assouplissement des taux directeurs de la Beac.

Qu’entend-on par « taux directeurs» ?
C’est le principal outil de la politique monétaire d’un État ou d’une union monétaire. Le taux directeur est un taux d’intérêt fixé par une banque centrale qui sert de référence pour les taux d’intérêt appliqués par les banques commerciales. Il influence directement les conditions de financement de l’économie, notamment en ce qui concerne les prêts accordés aux entreprises et aux particuliers. Dans un tel contexte, une détente des conditions monétaires n’est pas le résultat du désir de favoriser les emprunteurs, mais plutôt une réaction nécessaire pour ramener l’économie sur la voie d’une croissance durable dans un environnement de stabilité des prix.


La Beac a récemment décidé de revoir ses taux directeurs à la baisse. A qui profite cette décision?
Cette décision n’est pas anodine. C’est un signal qu’elle témoigne de sa confiance dans la lutte contre l’inflation. La décision de la Beac devrait desserrer les conditions de crédit des ménages et des entreprises. Ceux-ci pourront emprunter à un coût un peu moins cher, et donc consommer et investir davantage, stimulant la croissance économique. Cette décision devrait bénéficier à plusieurs acteurs économiques de la Cemac. Les particuliers qui demandent un crédit, par exemple, puisque les établissements bancaires, en empruntant pour moins cher auprès de la Beac, pourront en effet diminuer les taux d’intérêts et assouplir leurs conditions de prêt. Et les Etats endettés, puisqu’une baisse des taux directeurs permet aussi un allègement des conditions pour l’emprunt public. En revanche, elle pourrait être une mauvaise nouvelle pour les épargnants. En effet, les banques commerciales se fournissent en liquidités auprès de la Beac. En échange, elles doivent payer des intérêts, basés sur le taux de refinancement, qui est l’un des taux directeurs de la Beac. Par un effet domino, les établissements bancaires répercutent ces coûts à leurs clients. Si les particuliers se réjouissent de taux d’intérêt qui redescendent, les banques, quant à elles, craignent de subir à nouveau une période de vaches maigres. Même si elles vont retrouver un peu de rentabilité, elles sont en effet obligées de prêter à des taux d’intérêt faibles. Pour compenser leurs manques à gagner, les banques vont alors adopter une stratégie discrète mais efficace : augmenter les frais annexes. En tête de liste, on retrouve les frais de tenue de compte, ces prélèvements mensuels ou annuels que les clients jugent souvent incompréhensibles.


Parallèlement, le prix des cartes de paiement, ainsi que les commissions sur certaines opérations spécifiques, comme les virements à l’étranger, les paiements par carte hors zone euro ou encore les découverts autorisés, seront également revues à la hausse. Et ce sont souvent les clients les plus modestes qui en paient le prix. À cela s’ajoute une digitalisation croissante du secteur bancaire, qui pousse les clients à effectuer eux-mêmes certaines opérations autrefois réalisées en agence. Non seulement, le numérique a permis aux banques de réduire leur masse salariale ainsi que le nombre d’agences physiques (et donc de faire des économies substantielles), mais cette évolution, sous couvert de simplifier la vie des usagers, cache surtout une pléthore de frais additionnels, comme ceux liés à l’envoi de relevés papier ou à la réalisation d’opérations nécessitant un conseiller… qui étaient jusqu’alors gratuites.


En théorie, la baisse des taux d’intérêt favorise les entreprises en leur offrant des conditions de financement plus souples. Certaines entreprises et secteurs semblent davantage en tirer parti, tandis que d’autres peinent à capter ces avantages.


Mais, globalement, c’est un coup de pouce bienvenu pour l’économie de la zone Cemac, empêtrée dans une stagnation dont elle peine à sortir depuis quelques années. Les banques commerciales ont de l’épargne, et beaucoup d’argent est prêt à être consommé, mais elles restent prudentes. Les baisses de taux peuvent aider à débloquer la confiance. Les raisons sont multiples : baisse du coût de la dette, incitation à investir plutôt qu’à épargner, et soutien indirect à la consommation.


En conclusion, si la baisse des taux est perçue comme un levier de relance économique, son impact sur la Bourse reste asymétrique. Les grands gagnants sont sans conteste les secteurs les plus réactifs aux conditions de financement avantageuses, tandis que les petites entreprises et les particuliers en ressentent les effets plus tardivement, voire marginalement.


Propos recueillis par JRMA

Charles Menye

La baisse des taux directeurs ne profite pas aux PME et aux ménages

La Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) a annoncé pour 2024 un bénéfice record de 336 milliards de francs CFA. Pour beaucoup, ce chiffre est la preuve d’une bonne gestion. Mais pour des millions de citoyens de la CEMAC (Cameroun, Congo, Gabon, Tchad, RCA, Guinée équatoriale), cela soulève une question simple et douloureuse : à quoi sert cet argent, si notre quotidien reste toujours aussi difficile ? Le regard du Président du Comité de Vigilance Financière de la CEMAC (CVFC)

Comment la BEAC gagne-t-elle de l’argent?
La BEAC n’est pas une banque comme les autres. Ce n’est pas une banque où l’on ouvre un compte pour retirer de l’argent au guichet. C’est la banque des banques, mais aussi la banque des États de la CEMAC. Elle gagne de l’argent de plusieurs façons.


Grâce à l’argent qu’elle place à l’étranger
La BEAC détient des réserves de change : des devises comme le dollar ou l’euro. Elle place cet argent sur des marchés financiers. Ces placements rapportent des intérêts chaque année.


En prêtant de l’argent aux banques locales (refinancement)
Les banques commerciales (comme Afriland, BGFI Bank, UBC, etc.) ont parfois besoin d’argent pour fonctionner, surtout quand elles n’en ont pas assez en caisse pour faire face aux demandes de leurs clients. Dans ce cas, elles vont emprunter à la BEAC. C’est ce qu’on appelle une opération de refinancement.


Exemple : une banque locale emprunte 10 milliards de FCFA à la BEAC. Elle devra rembourser cette somme, avec des intérêts. En 2025, le taux appliqué par la BEAC est de 4,5 %. Cela signifie que la BEAC touche 450 millions de FCFA d’intérêts pour ce prêt. Plus les banques empruntent, plus la BEAC gagne.


Grâce aux dépôts obligatoires des banques
La BEAC oblige toutes les banques de la CEMAC à déposer une partie de leur argent chez elle. C’est une sécurité. Mais ces réserves obligatoires ne sont pas ou peu rémunérées. Cela donne donc à la BEAC une source de liquidités gratuites, qu’elle peut faire travailler à son avantage.
En vendant ou en achetant des devises


Pour maintenir la stabilité du franc CFA, la BEAC fait parfois des opérations sur les marchés de devises. Quand elle achète ou vend des dollars ou des euros, elle peut aussi faire des gains.


Et les citoyens dans tout ça ?
Aujourd’hui, les banques, les importateurs et la BEAC font des bénéfices. Mais le citoyen moyen, lui, n’en voit pas la couleur. Pourquoi?
Exemple 1 : les produits comme le riz


En 2024, le prix du riz a baissé sur les marchés mondiaux (–6,8 % selon la BEAC). Mais sur les marchés de Douala, Yaoundé, Libreville ou N’Djamena, le prix du kilo de riz reste autour de 485 à 500 FCFA. Les importateurs continuent de vendre cher, même quand ils achètent moins cher. Le consommateur est donc le grand perdant.
Exemple 2 : les crédits bancaires


En 2025, la BEAC a baissé son taux directeur de 5 % à 4,5 % pour aider les banques à prêter plus facilement. Cela veut dire que les banques empruntent moins cher. Mais elles n’ont pas baissé leurs propres taux pour les entreprises ou les particuliers. Résultat ? Les crédits restent chers, autour de 10 à 12 %. Les petites entreprises ne peuvent pas emprunter pour grandir. Les jeunes, les femmes, les familles n’ont pas accès au crédit. Les banques profitent, pas les gens.


Un système qui enrichit les uns… et oublie les autres


Ce modèle économique produit des gagnants:


• La BEAC, qui accumule des milliards.


• Les banques, qui empruntent à faible coût mais ne baissent pas leurs taux.


• Les importateurs, qui profitent des prix mondiaux mais ne les répercutent pas.


Et pendant ce temps, le peuple lutte :


Le riz est trop cher. Le crédit est inaccessible. Les PME n’arrivent pas à embaucher. Les jeunes ne trouvent pas leur place. Que peut-on faire ? Des idées simples, mais efficaces.


La BEAC peut changer la donne grâce aux bénéfices qu’elle a engrangés. Voici trois propositions :
Créer un Fonds régional de garantie


Ce fonds aiderait les petites entreprises à obtenir des crédits. Aujourd’hui, les banques refusent souvent, car elles jugent les PME trop risquées. Ce fonds jouerait le rôle de caution : s’il y a un problème, le fonds couvre une partie des pertes. Cela permettrait à des milliers d’entrepreneurs locaux de se financer : agriculture, artisanat, énergie, numérique, etc.


Encourager les crédits à taux réduits pour les ménages
La BEAC pourrait financer, avec ses bénéfices, des crédits bonifiés pour les jeunes, les femmes, les commerçants. En baissant le coût du crédit, on redonne du pouvoir d’achat et on stimule l’économie locale.


WPlutôt que d’acheter toujours à l’étranger, on peut utiliser une partie des excédents pour soutenir les filières locales : riziculture, transformation alimentaire, production d’énergie, etc. Cela créerait de l’emploi et réduirait la dépendance aux importations.


Les bénéfices doivent redescendre
336 milliards de FCFA de bénéfice, c’est une immense opportunité. Mais un chiffre, s’il reste dans un bilan comptable, ne nourrit personne. La BEAC peut continuer à faire de la stabilité monétaire sa priorité. C’est son rôle. Mais la stabilité n’a de valeur que si elle aide les gens à mieux vivre. Elle doit devenir un acteur du développement, pas seulement un gardien des chiffres. Si elle prend cette voie, elle pourra dire un jour : « Oui, nos milliards ont changé des vies ». Si elle ne fait rien, alors ce bénéfice restera un symbole : celui d’un système où l’argent circule en haut, pendant que la pauvreté se creuse en bas.

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