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Paul Biya: Maestro Discreto

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Silhouette filtrée par le temps, l’homme avance dans l’histoire du Cameroun comme un souffle ancien dans la savane, à la fois immobile et patient. Depuis 1982, son visage se mêle aux contours mêmes du pays, comme une ombre qui traverse les saisons et les scrutins, silencieuse mais persistante.

Chaque élection semble moins un rendez-vous démocratique qu’un rite suspendu, où les urnes deviennent des bassins de mémoire, les bulletins des feuilles emportées par le vent, et la campagne une rivière lente où son image flotte, immuable et diffuse. Sa manière de faire campagne relève de l’art du retrait calculé. En 2018, toute la campagne présidentielle s’est résumée à un unique discours de onze minutes cinquante à Maroua, tandis que ses adversaires parcouraient le pays comme des messagers infatigables. Et pourtant, au bout du compte, il fut déclaré vainqueur avec 71 % des voix. Une performance qui illustre à la fois l’ancienneté de son parti, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), et la constance de sa présence, même quand elle semble se faire discrète.

Caravage du temps

Mais le vent change dans la savane politique. Depuis les élections municipales et législatives de 2020, le RDPC n’est plus maître absolu de la « Fille aînée du Renouveau ». Le Front pour le Salut national du Cameroun (FSNC) d’Issa Tchiroma et d’autres partis ont pris pied, ébranlant le bastion jadis incontesté de Biya. Des meetings désertés, des élus qui se rebellent, des tensions au sein même du parti au pouvoir : autant de signes que l’autorité n’est plus seulement affaire de présence physique ou de tradition. À Maroua, les habitants attendent désormais le bilan concret des projets annoncés, qu’il s’agisse du Parse, du Programme spécial de reconstruction et de développement (PSRDEN) ou de Viva Logone. Dans cette lutte électorale, Paul Biya fait face à des figures qui ont longtemps été ses alliés, voire des héritiers de l’ère Ahidjo. Bello Bouba et Issa Tchiroma, hommes légués par l’histoire, se présentent désormais comme concurrents dans l’Extrême-Nord, deuxième plus grand vivier électoral du pays après la région du Centre. La bataille pour le contrôle du Grand-Nord, jadis chasse gardée du président, promet d’être âpre, et il n’est plus certain que les cœurs lui soient acquis.

Pourtant, l’homme ne se presse jamais vers l’exubérance. Ses slogans, brefs mais intenses, sont comme des haïkus dispersés dans le temps : « La force de l’expérience », « les grandes réalisations », « les grandes opportunités ». Chaque mot, répété depuis des décennies, devient un écho du temps, un souffle de patience et de maîtrise. Derrière ces mots soigneusement choisis, il y a un effacement stratégique : non pas disparition, mais retrait calculé, comme si l’histoire devait s’écrire moins avec lui et plus avec le Cameroun lui-même. Chaque scrutin devient un théâtre où sa présence se fait moins corporelle que symbolique, un souffle qui traverse affiches et antennes, jamais totalement atteignable.

Cœur et corps de caméléon

 Ses campagnes ressemblent à des poèmes en alexandrins irréguliers. Une strophe ici, un refrain là, des promesses modulées, des incantations de continuité. La répétition devient mémoire collective, un écho où les électeurs retrouvent non seulement le président, mais le temps lui-même, suspendu. Les images qu’il évoque – fleuves calmes, baobabs immobiles, vent léger caressant la savane – sont autant de métaphores d’une présence mesurée et d’une autorité discrète. L’effacement apparent n’est pas absence, mais contrôle subtil. Là où d’autres cherchent le feu de la jeunesse ou l’éclat du scandale, Biya offre la lenteur, la constance d’un fleuve qui creuse son lit au fil des années. Chaque slogan devient un vers, chaque apparition une strophe silencieuse. Pas de flamboyance, pas d’exubérance : tout est mesure, harmonie, respiration longue et régulière, comme un poème écrit en marge de la hâte du monde.

Ainsi se dessine le portrait d’un homme à la fois présent et absent, immuable et changeant. Ses scrutins sont des poèmes de l’attente, des chants de mémoire et d’expérience. Il enseigne que la force peut résider dans la constance, que l’éloignement peut être stratégie, et que la poésie peut traverser la politique comme un vent léger dans les feuilles d’un arbre ancien. Au bout de ces décennies, Paul Biya demeure une figure suspendue entre mémoire et présent, où chaque scrutin devient écho de son passage, chaque slogan miroir de ses choix, chaque silence ligne de poésie défiant l’agitation des voix et des passions. Dans ce retrait apparent, il est partout : stabilité incarnée, patience sculptée, constance devenue art. Le Cameroun le contemple et le mesure, non seulement comme président, mais comme vers vivant dans le poème continu de sa nation, un souffle ancien qui traverse l’histoire sans jamais se disperser.

Et si l’on y cherche un peu d’humour, on pourrait dire que Paul Biya est ce baobab qui, même au cœur de la tempête, continue de méditer sur la pluie et le vent, laissant les oiseaux s’agiter autour de lui tandis que ses racines plongent profondément dans l’histoire. L’homme avance lentement, mais inéluctablement, comme un poème que personne n’oserait interrompre, ni juger, ni raturer. Il est partout, tout en étant presque invisible : un maître du camouflage politique, mais en version élégante, presque poétique. Et c’est peut-être là sa véritable magie : tenir le temps, suspendre les âmes, imposer la lenteur comme une performance, et transformer la constance en spectacle, le silence en chant, et chaque scrutin en vers.

Jean-René Meva’a Amougou

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