Du 8 au 12 décembre, un congrès consacré au panafricanisme doit se tenir à Lomé (Togo). Sur le papier, l’initiative semble positive : rassembler des intellectuels, des mouvements et des militants autour d’une vision de souveraineté africaine, d’émancipation et de dignité. Mais comment un tel événement peut-il être organisé par l’un des régimes les plus verrouillés et les plus anciens du continent ?

Depuis près de 60 ans, le Togo est dirigé par une seule et même famille : les Gnassingbé. Le père, Eyadema, a régné d’une main de fer pendant plusieurs décennies. Le fils, Faure Gnassingbé, lui a succédé, reproduisant les mêmes méthodes : arrestations arbitraires, violences contre les opposants, répression des mouvements citoyens, contrôle total des institutions. Les Togolais vivent sous un régime où critiquer le pouvoir peut coûter sa liberté, parfois sa vie.
Il y a un an encore, Faure Gnassingbé s’est maintenu à la tête de l’État grâce à un tour de passe-passe institutionnel, consolidant davantage un pouvoir déjà hypertrophié. Dans ces conditions, la tenue d’un congrès sur le panafricanisme par un tel dirigeant ne peut que susciter scepticisme et indignation.
L’instrumentalisation du panafricanisme
Pourquoi un homme accusé par ses compatriotes d’étouffer son pays se met-il soudain à porter l’étendard du panafricanisme ?
La réponse est presque évidente : Faure Gnassingbé est un opportuniste politique. Il sait que le panafricanisme connaît un regain considérable sur le continent, particulièrement chez les jeunes qui y voient un outil d’émancipation face aux régimes corrompus, aux ingérences étrangères et aux injustices structurelles.
Faure, lui, cherche à redorer son image. Car il est l’un des dirigeants les plus impopulaires d’Afrique. Beaucoup de Togolais le voient comme un homme qui séquestre sa population sous un régime policier, qui a appauvri et marginalisé son peuple, qui bâillonne les libertés publiques, qui utilise une armée fortement dominée par son ethnie, les Kabyè, comme instrument de contrôle. Difficile, dans ces conditions, de se présenter comme un champion de la liberté africaine.
Le panafricanisme qu’il tente de mettre en scène n’a qu’un objectif: sa propre réhabilitation. Ce congrès est une opération de communication, un artifice politique destiné à masquer un bilan marqué par la répression, la pauvreté et le silence imposé aux voix dissidentes.
Face à cela, aucun panafricaniste sérieux ne devrait se rendre à Lomé.
S’y rendre reviendrait à légitimer la dictature de Faure Gnassingbé. On ne peut pas dénoncer les abus en Côte d’Ivoire, au Cameroun ou au Congo et fermer les yeux sur ceux commis au Togo. Ce serait incohérent, cupide, immoral et opportuniste.
À cet égard, la position de Kemi Seba est emblématique. En annonçant clairement qu’il ne participerait pas à cette conférence, il a rappelé l’essentiel : on ne peut pas accompagner une opération politique destinée à blanchir un dirigeant dont le peuple réclame la liberté.
Ce que les Togolais attendent vraiment
Ceux qui choisiront malgré tout de se rendre à Lomé devront assumer leur décision. Ils devront reconnaître qu’ils se rendent à une conférence financée par un régime qui gouverne par la peur et l’intimidation. Ils devront savoir que l’argent qu’ils toucheront provient d’un État où la pauvreté persiste, où les infrastructures sont en déliquescence, où les ressources publiques servent trop souvent à maintenir un clan au pouvoir plutôt qu’à servir le peuple.
Le panafricanisme, le vrai, repose sur la dignité, la justice, l’autodétermination des peuples et la lutte contre toute forme d’oppression. Ces valeurs sont incompatibles avec la participation à un congrès dont la finalité est de soigner l’image d’un homme au pouvoir depuis trop longtemps et dont le peuple demande depuis des années le départ.
Les Togolais n’attendent pas de Faure Gnassingbé qu’il organise des conférences.
Ils n’attendent pas qu’il convoque des intellectuels, qu’il parle d’avenir ou qu’il prononce de grands discours sur l’Afrique.
Ce qu’ils attendent est bien plus simple, mais aussi plus radical: qu’il quitte le pouvoir. Parce qu’il a suffisamment affamé son peuple, suffisamment gaspillé les ressources nationales dans des sommets sans utilité réelle, suffisamment réprimé les Togolais qui réclament leurs droits, suffisamment consolidé un régime dynastique et autoritaire.
Un congrès sur le panafricanisme organisé par un dirigeant contestant même les bases de la liberté politique ne peut être qu’un paradoxe. Dans l’histoire des peuples, les dictateurs n’ont jamais été les artisans de l’émancipation. Le panafricanisme n’a pas besoin de Faure Gnassingbé.
Le Togo, lui, a besoin d’un avenir où la liberté ne sera plus un luxe.
Jean-Claude Djéréké




