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Grand Nord: la révolte silencieuse des villes mortes

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Entre colère populaire et désobéissance civile, le Nord-Cameroun vit une tension postélectorale sans précédent, où Issa Tchiroma devient le symbole d’une revendication politique longtemps refoulée.

Une colère contenue qui déborde

À Maroua, les rues désertes et les marchés fermés traduisent une tension palpable. « Vendredi dernier, je suis allé au marché et c’était comme une ville fantôme », raconte Fatoumata, vendeuse de tissus au marché central. « Tout le monde a fermé, certains ont même été menacés par des inconnus pour respecter le mot d’ordre de “ville morte” ». Pour Abdoulaye, épicier, la peur est réelle : « Certaines boutiques ont été vidés par leurs propriétaires dans la nuit puisque des rumeurs d’incendie pèsent sur le marché. On ne sait plus quoi faire. On ferme pour ne pas risquer notre vie ». Pour les partisans de Tchiroma, ces journées traduisent le début de la troisième phase de la lutte pour la reconnaissance de sa victoire électorale. « Il est temps que le Nord se fasse entendre », dit Mohammed, jeune étudiant à Garoua. « On ne veut plus être oubliés ».

Tchiroma, de l’homme du régime à l’icône du peuple

Ancien ministre et porte-parole du gouvernement, Issa Tchiroma Bakary était autrefois perçu comme un représentant fidèle du régime. Aujourd’hui, il incarne une revanche politique et une voix pour le septentrion. « Tchiroma, c’est notre fierté », dit Amina, enseignante à Mora. « Lui seul ose parler pour nous, pour nos droits ». Dans les cafés, les marchés et sur les réseaux sociaux, son nom circule comme un symbole : « Il représente l’espoir et la revanche des humiliés », ajoute Hassan, artisan à Garoua.

Entre légitimité contestée et inquiétude internationale

Alors que les appels à la désobéissance se multiplient, les regards extérieurs se font prudents. « L’Union Africaine reconnaît la victoire de Biya, mais nous, ici, on vit la peur et la colère au quotidien », confie Oumar, chauffeur. L’Union Européenne a dénoncé les violences policières et les arrestations, appelant à protéger Tchiroma et à ouvrir un dialogue politique. Mais pour les habitants, ces mots restent abstraits face à leur vécu. À Maroua, des comités de vigilance citoyenne ont été créés pour encadrer les villes mortes et protéger les biens. Mais leur présence suscite méfiance et critiques. « Certains sont nos voisins et maintenant ils nous surveillent », explique Salima, commerçante. « On ne sait plus si on doit les craindre ou les soutenir ». Sur les réseaux sociaux, des messages avertissent : « Ceux qui rejoignent ces comités finiront eux aussi par être traqués ».

Un septentrion à la croisée des chemins

Le climat postélectoral révèle une fracture profonde entre l’État central et une région qui se sent oubliée. Derrière les fermetures de boutiques et les slogans de désobéissance se cache un malaise politique plus vaste, nourri par les promesses non tenues, le chômage massif et la marginalisation ressentie depuis des décennies. Le Nord-Cameroun, longtemps perçu comme un bastion fidèle du pouvoir, devient peu à peu le théâtre d’une contestation sociale et identitaire. Dans cette lutte où se mêlent colère et espoir, Issa Tchiroma s’impose comme une figure paradoxale, à la fois produit du système et incarnation de la rupture. Entre peur et résistance, le septentrion retient son souffle. Car derrière les villes mortes, c’est peut-être une conscience politique nouvelle qui est en train de naître.

Tom.

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