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À Figuil et environs: même les lézards ont le dos marbré

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Figuil

Incursion dans un musée à ciel ouvert, où chaque pierre raconte une histoire et chaque poussière, un effort.

Dans le Mayo-Louti (Nord du Cameroun), le marbre n’est pas qu’une pierre : c’est une poussière d’identité. Ici, tout en porte la trace — les façades, les palmiers, les mobylettes… et jusqu’aux lézards, qui semblent avoir adopté la couleur locale au point de se confondre avec les veines blanchâtres des blocs extraits des collines. On dit à Figuil que « la nature elle-même s’est faite décoratrice d’intérieur ». Et ce n’est pas faux : la lumière du soleil joue sur les dalles de marbre comme sur des miroirs, offrant à chaque regard un éclat d’orgueil local.

Les habitants aiment rappeler que, jadis, Figuil n’était qu’un point sur la carte, un village perdu entre la brousse et les collines, avant que le marbre ne vienne y planter son drapeau blanc. Depuis, la ville s’est transformée en une sorte de musée à ciel ouvert, où chaque pierre raconte une histoire et chaque poussière, un effort. Au marché, les discussions tournent souvent autour des carrières : on commente les prix du bloc, la solidité du gisement, les contrats à venir. Certains prétendent même que le marbre a un caractère, qu’il « sent » celui qui le taille. D’autres y voient une bénédiction minérale, une chance tombée du ciel, même si ce ciel, souvent, est couvert de la brume blanche que les camions soulèvent en partant vers le Sud.

Le visiteur distrait pourrait croire à de la neige : une neige chaude, minérale, éternelle. Elle s’infiltre dans les ruelles, recouvre les feuilles des manguiers, et dessine sur les toits des mosaïques hasardeuses. C’est ce voile, presque féerique, qui donne à Figuil son allure de mirage. Mais ici, le rêve a l’odeur du diesel et le goût de la poussière : un parfum de travail et de persévérance. Car à Figuil, le marbre n’est pas qu’un décor : c’est une promesse, un combat, une poésie dure comme la pierre.

Au lever du jour, le grondement des engins rompt le silence des monts environnants. Les ouvriers, casques cabossés et bottes pleines de poussière, entament la danse quotidienne du marteau et du burin. Dans les ateliers artisanaux, les éclats de pierre deviennent musique. Les blocs bruts, encore tièdes de leur extraction, se métamorphosent sous des mains patientes. Tables, mortiers, statuettes, plaques funéraires : tout passe entre les doigts des sculpteurs de Figuil, qui ont fait de la pierre un langage.

Hantar, tailleur de marbre depuis vingt ans, aime répéter qu’il a « plus poli de blocs que de disputes avec sa belle-mère ». Et c’est dire. « Le marbre, c’est comme un enfant têtu, confie-t-il en riant. Il faut savoir lui parler, le flatter, sinon il casse sous la main. » À côté de lui, une jeune artisane trace des motifs délicats sur un plateau de table. Elle sourit sans lever les yeux : « Ici, on travaille la pierre, mais c’est elle qui nous sculpte, en vérité ».

Le travail du marbre, à Figuil, n’est pas qu’une question de tradition : c’est une question de survie. Car si le gisement est généreux, les conditions locales, elles, le sont beaucoup moins. Les outils sont souvent rudimentaires, les marchés irréguliers, et les routes de desserte plus cabossées que les vieilles carrioles qui transportent les blocs. Pourtant, la fierté ne faiblit pas. À la moindre pluie, les ouvriers plaisantent : « Quand il pleut, le marbre se lave tout seul, au moins ça économise les brosses ! »

Géant

Mais à l’ombre des collines blanches plane un géant gris : Cimencam. L’usine de ciment, implantée depuis des décennies, fait, elle aussi, partie des richesses minérales de la région. Et la cohabitation n’est pas toujours paisible. « Disons qu’entre le marbre et le ciment, c’est une vieille histoire de famille : même père, mais pas le même destin », ironise un employé communal. En clair, la grande industrie cimentière, dotée de capitaux colossaux, écrase souvent le petit artisanat du marbre, condamné à briller sans moyens.

Les camions de Cimencam passent à vive allure, soulevant des nuages de poussière, pendant que les tailleurs de pierre les regardent filer avec un mélange d’admiration et de frustration. « Nous, on fait dans la beauté ; eux, dans la solidité », glisse Alihou, mi-moqueur, mi-résigné. Pourtant, l’un ne va pas sans l’autre. Si le ciment bâtit les murs, le marbre en fait le visage. La commune, consciente de cette dualité, tente d’équilibrer les forces. « L’exploitation artisanale et industrielle du marbre représente près de 40 % des recettes locales », explique Moussa Adamou, agent communal. « Mais il faut que cette richesse profite à tous, pas seulement aux gros opérateurs. Nous voulons créer une filière plus structurée, attirer des investisseurs et, pourquoi pas, faire de Figuil une référence africaine du marbre. »

Ce rêve d’un “Figuil sur marbre” reste suspendu entre ambition et réalité. Car la filière artisanale peine encore à s’organiser. Les coopératives naissent, puis s’effritent ; les financements se perdent dans les méandres administratifs ; les formations techniques, promises à chaque visite ministérielle, se font attendre. Pourtant, sur les étals du petit marché, les sculpteurs continuent d’exposer leurs œuvres : lions majestueux, croix funéraires, vasques brillantes. Certaines pièces, polies à la perfection, rivalisent avec les productions italiennes, du moins jusqu’à ce qu’un client s’étonne du prix.

Le marbre, ici, se vend au kilo de patience. Et chaque artisan sait que son plus grand adversaire n’est pas le marché, mais la poussière : elle recouvre tout, lentement, même les rêves. Dans les rues, les enfants jouent à cache-cache entre les blocs de pierre, leurs rires éclatant comme des coups de burin. Le soir venu, les silhouettes rentrent, couvertes d’une pellicule blanche. On pourrait croire qu’ils sortent d’un conte mythologique : les enfants du marbre, forgés par la terre et la sueur.

Les visiteurs, eux, repartent fascinés. Certains emportent un petit souvenir — un presse-papier, un cendrier, une figurine — en se disant qu’à Figuil, même les cailloux ont de la personnalité. D’autres se contentent d’un selfie sur fond de carrière, le vent plein les cheveux et les narines de poussière. Car Figuil ne se visite pas, il se respire. Et cette odeur de pierre chaude, mêlée de sueur et de courage, laisse dans la gorge une saveur d’authenticité.

Vision

À la mairie, on garde espoir. Des projets de modernisation sont à l’étude : une zone d’artisanat structurée, une école de taille de pierre, et pourquoi pas un festival du marbre. « Si on peut faire un festival du piment ou du miel, pourquoi pas du marbre ? » plaisante un conseiller municipal. L’idée amuse, mais elle séduit. Car au fond, le marbre de Figuil, c’est un poème minéral : un mélange de rudesse et de grâce, de poussière et de lumière.

À Figuil, le marbre ne se contente pas d’orner les bâtiments : il sculpte des vies, des espoirs et des identités. Et quand le soleil se couche derrière les collines, on pourrait jurer que la ville tout entière devient une sculpture. Même les lézards, figés sur les murs, semblent poser pour l’éternité, fiers ambassadeurs d’une terre où la pierre a plus d’âme que bien des discours.

Jean René Meva’a Amougou

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