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L’hypocrisie d’une partie de l’opposition ivoirienne

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Jean-Claude-Djereke

Il y a des renversements qui heurtent la raison et la dignité. Ce qu’on a dénoncé avec force hier, on le cautionne aujourd’hui.

Tel est, malheureusement, le spectacle auquel on assiste depuis quelques semaines dans certains cercles de l’opposition ivoirienne. Même parmi des partisans de Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam que je croyais lucides, ouverts d’esprit et intègres, on entend désormais des voix favorables à la participation de leurs partis aux législatives organisées par la Commission électorale indépendante (CEI) qu’ils ont vigoureusement décriée avant la présidentielle d’octobre 2025.

Comment expliquer qu’on puisse vilipender une institution pour sa partialité et, quelques jours plus tard, accepter de fonctionner avec elle comme si de rien n’était ? Cette contradiction n’est pas du débat raisonné. C’est de l’enfumage. C’est une pirouette morale destinée à masquer des intérêts inavoués.

L’argument mythique des précédents : un leurre

Les défenseurs de la participation avancent un argument souvent répété: autrefois, le PDCI, le RDR et le FPI avaient pris part aux législatives même lorsqu’ils avaient été exclus de la présidentielle. De là, on conclut que rien n’empêche le PPA-CI et le PDCI d’aller aux législatives malgré la CEI décriée. Cet argument tient pourtant sur du vent.

Premièrement, confondre des situations politiques différentes en les traitant de précédents identiques est un abus d’analogie. Deuxièmement, invoquer ces précédents sans reconnaître la profondeur de la crise institutionnelle actuelle revient à justifier la normalisation d’une injustice.

L’éthique sacrifiée sur l’autel du clan

Il ne faut pas se leurrer: beaucoup de ces discours ne visent pas le bien commun, mais la préservation d’intérêts personnels ou claniques. Le vrai moteur de cette volte-face, pour nombre d’acteurs, n’est pas l’amour du pays, mais la défense d’un frère de la même ethnie — même s’il commet des erreurs ou s’il prend des décisions condamnables. On retrouve là la vieille logique patrimoniale: la solidarité d’abord pour le clan, la morale et la justice ensuite.

À l’heure où des Ivoiriens croupissent derrière les barreaux pour des raisons politiques, à l’heure où des familles pleurent des morts et portent les blessures insupportables de la crise préélectorale, accepter d’aller aux législatives avec la CEI décriée revient à tourner le dos à la souffrance collective. C’est indécent. C’est impardonnable.

Il est vain de nier l’existence d’un facteur matériel puissant dans cette équation. Le salaire mensuel d’un député — 3 millions de francs CFA — est, dans notre pays, une tentation réelle. Pour des citoyens qui peinent à survivre, un tel revenu est attractif. Mais réduire l’engagement politique à la recherche d’un revenu, c’est déshonorer la vocation publique.

Ce qui caractérise, hélas, une partie de ces pseudo-opposants, c’est la cupidité et la légèreté morale. Ils vocifèrent quand il s’agit d’attaquer des adversaires hors du champ institutionnel, mais deviennent étonnamment muets quand il s’agit de défendre les principes de la démocratie face à une CEI discréditée. L’appât du gain finit par dicter des choix politiques: mieux vaut un siège payé que la lutte désintéressée pour la justice et la transparence.

Admettons, pour l’instant, que le PPA-CI et le PDCI obtiennent quelques sièges aux législatives sous la CEI actuelle. Quelle sera alors la portée réelle de ces victoires ? Croire qu’ils pourront être majoritaires et résister à un exécutif aux commandes de tous les leviers de l’État est illusoire. N’a-t-on pas déjà vu, par le passé, comment un découpage électoral léonin et des mécanismes administratifs biaisés peuvent offrir au pouvoir une écrasante majorité ? Le RHDP lui-même s’était naguère octroyé 89 sièges grâce à un découpage favorable — un précédent qui devrait servir d’avertissement, non d’encouragement.

Il est donc illogique, et même naïf, de penser qu’une participation timide au jeu truqué du pouvoir conduira à des résultats probants. Au contraire, cela légitimera les institutions viciées, fragmentera encore plus l’opposition et renforcera la machine du pouvoir.

Traîtres ou complices ? La responsabilité des partis participants

À la lumière de ce qui précède, il faut parler clair. Les partis qui décideront de participer aux législatives malgré la CEI non réformée devront être regardés comme complices de la stratégie du pouvoir. Ils ne seront pas de simples acteurs politiques. Ils seront, aux yeux d’une grande partie du peuple, des traîtres à la patrie, des éléments qui, par leur consentement, participent à la destruction de la Côte d’Ivoire.

La politique ne se conçoit pas comme une succession de combinaisons personnelles destinées à sauver des élus. Elle est une responsabilité envers la nation. Qui trahit la nation pour un siège, trahit l’avenir des générations. Qui accepte d’entrer dans un parlement né d’une mascarade électorale participe activement à la banalisation de l’injustice.

Appel à la lucidité et à la défense du bien commun

Face à cette crise morale et politique, il est urgent que les Ivoiriens se réveillent et jugent librement les actes de leurs dirigeants. Les électeurs doivent comprendre que la quête du pouvoir personnel ou du confort matériel ne peut primer sur la défense des institutions démocratiques et le respect des vies sacrifiées.

Aux partisans de Gbagbo et Thiam — et à tous les citoyens épris de justice — je lance un appel: ne vous laissez pas ensorceler par le chant des sirènes qui promettent des sièges parlementaires et le confort matériel. Ce n’est pas le moment de céder au chantage du ventre ni aux solidarités ethniques. Le moment exige courage, esprit de sacrifice et loyauté envers la nation.

L’honneur d’un peuple vaut plus que le confort d’un élu

Celui qui, aujourd’hui, choisit la facilité — accepter une CEI non réformée en échange de quelques députés — signe l’acte de trahison contre l’espoir démocratique. La Côte d’Ivoire mérite mieux que des marchandages d’appareils politiques et des compromissions qui enterrent la vérité.

Que les partis qui pensent participer aux législatives méditent ceci: l’Histoire ne retient pas ceux qui sauvent un fauteuil. Elle retient ceux qui sauvent une nation. Plutôt que d’engranger des sièges au prix de la dignité nationale, il est préférable d’être du côté de la mémoire, de la justice et du peuple. L’honneur d’un pays vaut infiniment plus que le confort matériel de quelques-uns.

Il appartient maintenant aux Ivoiriens lucides de sanctionner, au prochain rendez-vous de l’Histoire, ceux qui auront choisi la trahison plutôt que la résistance — et de faire savoir haut et fort que la démocratie ne se négocie pas au prix d’un mandat.

Jean-Claude Djéréké

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