Comment l’inattendu challenger de Paul Biya a disparu des écrans radars des forces de sécurité camerounaises.
Garoua, capitale de l’invisible
C’est un scénario qui défie toute logique sécuritaire. Alors que son domicile du quartier Marouaré, à Garoua, était placé sous la garde étroite des services les plus compétents de la République, Issa Tchiroma Bakary s’est littéralement volatilisé. Ni les caméras, ni les agents en faction, ni les voisins n’ont aperçu la moindre silhouette. L’homme politique le plus controversé du Nord-Cameroun semble s’être évaporé dans la nature.
Une fuite ou une exfiltration ?
Vendredi, une déclaration attribuée à Tchiroma a circulé sur les réseaux sociaux : « Je suis en lieu sûr avec une partie de l’armée loyaliste ». Une phrase énigmatique qui a ouvert la porte à toutes les hypothèses. A-t-il fui ? A-t-il été exfiltré ? Et surtout, par qui ? Franklin Sone, journaliste d’investigation présent sur les lieux, livre son témoignage : « Selon plusieurs sources, Tchiroma aurait été exfiltré dans la nuit de mardi à mercredi. Il a attendu vendredi pour informer l’opinion. Personne ne sait comment cette opération s’est déroulée. Certains parlent même d’un déguisement pour brouiller les pistes ». À mesure que l’enquête avance, le mystère s’épaissit. Aucun poste-frontière, aucune agence de voyage, aucune caméra de surveillance ne semble avoir capté la moindre trace du politicien.
Les voix de Marouaré
Dans les ruelles poussiéreuses de Marouaré, les discussions vont bon train. « ITB n’est-il pas un peureux qui a pris la fuite et demande aux autres d’affronter les forces de l’ordre ? », lâche le journaliste. Mais ses partisans défendent leur leader : « Un chef ne se livre pas. Il doit être à l’abri pour coordonner la résistance. S’il est capturé, la population perd le contrôle. Il faut un cerveau derrière les manifestations, sinon c’est le chaos ».
Répression et colère
Depuis lundi, plusieurs villes camerounaises se sont figées dans un silence inhabituel : marchés clos et artères désertées. À Garoua, le climat reste particulièrement tendu. « Dimanche dernier, nous avons vu des éléments des forces de défense et de sécurité procéder à une descente musclée dans un quartier abritant les proches de l’ancien ministre, saccageant le domicile de certains membres de sa famille », témoigne Abdou Salamou, mototaximan à Garoua.
Pour Josué, enseignant au département d’Histoire de l’Université de Garoua, la disparition d’Issa Tchiroma Bakary dépasse désormais le cadre individuel : « Elle symbolise la rupture profonde entre les populations du Nord et le régime de Yaoundé, perçu ici comme opaque et brutal ».
Une retraite stratégique ou un refuge souterrain ?
L’universitaire avance une thèse prudente : « Tchiroma n’a pas quitté le pays. Il connaît trop bien la région. Le Grand Nord regorge de zones reculées, parfois inconnues, qui ont déjà servi de refuge à des combattants de Boko Haram ou à des preneurs d’otages. Il pourrait s’y cacher sans que personne ne le détecte ». L’hypothèse paraît crédible. Les contreforts du Mayo-Tsanaga, du Mayo-Sava, du Mayo-Louti et du Mayo-Rey abritent de nombreuses grottes et vallées inaccessibles, longtemps utilisées comme caches par divers groupes armés. « Il pourrait même être hébergé dans un domicile privé sans que personne ne le sache », renchérit l’universitaire.
“Une disparition mystique” selon les habitants
Mais à Garoua, la frontière entre le rationnel et le mystique reste poreuse. Hamadou, habitant du quartier Poumpoumré, en est convaincu : « On peut faire disparaître un homme sans qu’il sorte de chez lui. C’est un vieux rituel pratiqué par certaines communautés, notamment les Mousgoum. On le transporte spirituellement ailleurs. Tchiroma a dû recourir à cette méthode ». Ce témoignage, oscillant entre croyance et réalité, illustre l’aura presque mystique dont s’entoure désormais le leader disparu.
Enlèvement manqué
Le journaliste Franklin Sone, présent a Garoua relate : « Issa Tchiroma Bakary a été enlevé lors d’une opération menée dans une résidence de Yola, dans l’État d’Adamawa au Nigeria, par les forces de sécurité nigérianes, entre 22 h et 23 h, le dimanche 2 novembre, selon un rapport confidentiel ». « Les forces nigérianes ont agi sur la base d’un renseignement transmis par la sécurité camerounaise, qui avait localisé Tchiroma grâce aux signaux émis par son téléphone portable. Les autorités camerounaises l’avaient décrit à leurs homologues nigérianes comme un criminel dangereux. Les services nigérians ont alors réagi promptement », poursuit-il. « Une unité spéciale venue du Cameroun se trouvait déjà au Nigeria, prête à ramener Tchiroma à la manière de Nera 10, mais lorsque les autorités nigérianes ont compris de qui il s’agissait, elles ont interrompu l’extradition convenue. Il est désormais entièrement sous la protection des services de sécurité nigérians, échappant ainsi de justesse à une arrestation », conclut le journaliste.
Entre mythe et manipulation politique
Pendant que les autorités gardent le silence, les réseaux sociaux s’enflamment. Certains parlent d’un scénario orchestré par le régime de Yaoundé pour pousser l’ancien ministre à la reddition. D’autres évoquent un rapt politique organisé par une faction dissidente de l’armée. Une chose est sûre : le « mystère Tchiroma » secoue la République. Comment un homme placé sous haute surveillance a-t-il pu disparaître sans laisser de trace ? Et surtout, que prépare-t-il, depuis ce « lieu sûr » dont il affirme coordonner la résistance ?
Tom
