Pour faire pousser leurs projets, il leur faut plus que de la terre fertile : il leur faut de l’argent. Et là, c’est une autre culture à apprivoiser : celle des banques et des microcrédits, souvent aussi mystérieuse qu’une pluie au désert.

« Je suis allée à la banque avec mon manioc sous le bras pour montrer que je travaille dur. On m’a regardée comme si j’avais amené un mouton en costume-cravate », raconte Clotilde Ngo Djell, maraîchère à Songmbengue (Sanaga-Maritime, région du Littoral), en éclatant de rire. Comme elle, des milliers de femmes apprennent à jongler entre justificatifs, procédures et formulaires, souvent plus complexes qu’un labyrinthe de termitières. Mais l’humour est aussi une arme contre l’adversité. Marie Mbock Nloga, agricultrice à Massok-Songloulou, confie : « J’ai essayé de demander un prêt à la banque. On m’a demandé un titre foncier que je n’ai pas. Je me sens oubliée par ceux qui devraient nous soutenir. Quand on me demande si je peux rembourser un prêt, je réponds : “Je peux rembourser… si le soleil daigne sourire à mes tomates !” »
Derrière la plaisanterie se cache une vérité : l’accès au financement est une lutte quotidienne, ponctuée de débrouillardise et de solidarité. Les femmes se réunissent en coopératives, mettent en commun leurs maigres économies et inventent des systèmes d’épargne collectifs dignes d’un roman d’aventures. Certaines expérimentent même la « banque du village » à leur façon : contributions mensuelles, micro-prêts entre voisines, et sanctions hilarantes pour celles qui oublient de rendre l’argent… « On fait payer un sac de manioc ou cinq fagots de bois à celles qui retardent leur remboursement. Ça motive et ça fait rire », confie Angèle, trésorière d’une coopérative agricole dans la Mefou-et-Afamba (région du Centre).
Pourtant, derrière les rires et les astuces, le message est sérieux. Les femmes rurales savent que sans accès au financement, pas de semences, pas de récoltes, pas de revenus. Les programmes de microcrédit existent, mais restent souvent inadaptés : taux élevés, garanties impossibles et démarches labyrinthiques. Elles réclament un soutien adapté, des outils simples et des financements accessibles, pour transformer leurs efforts quotidiens en prospérité durable.
A Songmbengue, les femmes rurales ont rappelé, avec humour et courage, que la finance n’est pas un terrain réservé aux comptables et aux bureaux climatisés. Chaque prêt accordé à une femme rurale est une graine semée dans la terre du possible, et chaque sourire face à l’absurdité des procédures est une petite victoire poétique. Entre chants de célébration de la 30e Journée mondiale de la Femme rurale et calculs de pouce, elles ont montré que même face aux banques les plus têtues, la créativité africaine sait faire des miracles.
JRMA




