Les Nations unies plient les drapeaux bleus. Pas par choix, mais par nécessité budgétaire. Un quart de leurs forces de maintien de la paix va rentrer à la maison, comme des soldats d’une guerre silencieuse perdue non pas sur le terrain, mais dans les bureaux feutrés des ministères américains.

Le 9 octobre dernier, l’on a appris de l’ONU que treize à quatorze mille militaires et policiers vont être rapatriés, des convois d’hommes et de femmes formés à maintenir la paix quittant des pays où la paix, justement, n’est jamais complète. Ce n’est pas une première. Chaque époque a ses replis. Mais celui-ci sonne étrangement creux. À New York, on parle de « rationalisation ». À Washington, on parle d’« America first ». Dans les capitales où s’éteindront les bases onusiennes, on parlera peut-être d’abandon.
Depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, les États-Unis ont taillé dans l’aide internationale comme dans un budget de ménage. Un milliard en moins ici, quelques centaines de millions là — et soudain, c’est toute la mécanique du multilatéralisme qui se grippe. Le budget des opérations de paix, 5,4 milliards de dollars, se voit amputer de la part du principal contributeur.
L’Amérique, jadis pilier de la diplomatie mondiale, se retire dans sa forteresse, laissant l’ONU compter ses pièces. L’organisation avait déjà deux milliards de dollars d’arriérés à éponger. Elle se retrouve maintenant avec un trou de 17 % dans son budget. Alors, elle fait ce que font tous les États en détresse : elle coupe, elle rapatrie, elle réduit. Et derrière les chiffres (25 %, 13 000 hommes, 18 semaines de retrait), il y a des visages. Des contingents africains, asiatiques, latino-américains, des logisticiens civils, des pilotes, des interprètes. Des vies suspendues au fil d’une décision américaine.
Certes, le pire scénario a été évité : Washington ne s’est pas totalement désengagé. Mais ce demi-geste ne suffit pas à masquer le recul d’un idéal. Les Nations unies devront désormais apprendre à faire la paix avec moins d’hommes, moins de moyens, moins d’illusions. Et peut-être plus de pragmatisme. Car maintenir la paix, c’est aussi maintenir l’espoir. Dans les ruines du Sud-Soudan, en République centrafricaine, au Mali naguère, ce sont les casques bleus qui incarnaient encore une présence, fragile mais réelle, de la communauté internationale. Leur retrait partiel marque un tournant : celui d’un monde qui regarde ailleurs pendant que les feux couvent encore.
La paix, jadis valeur universelle, devient désormais un poste comptable. On y coupe comme dans un arbre malade, sans trop se demander si les racines survivront. Et pourtant, c’est là, dans les interstices de ces budgets rabotés, que se joue l’avenir d’une idée : celle d’un monde capable de se tenir ensemble, même quand les nations s’éloignent. L’ONU ne s’effondrera pas, mais elle vacillera. Ses soldats bleus redeviendront des silhouettes anonymes dans les couloirs de retour. Et l’on se demandera peut-être, dans quelques années, quand la guerre aura de nouveau frappé quelque part : que coûte vraiment la paix?
JRMA