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Bello Bouba Maigari et Issa Tchiroma Bakary: le rêve égorgé d’une coalition

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Issa Tchiroma Bakary et Bello Bouba Maigari

Les élites politiques, économiques et traditionnelles avaient pourtant joué les messagers jusqu’au dernier souffle. Certains, dans l’ombre des palais et des salons feutrés, espéraient que ces intermédiaires tissent enfin un pont entre les deux hommes, mais il n’en fut rien.

Issa Tchiroma Bakary et Bello Bouba Maigari

Le 10 octobre reste gravé dans les mémoires : à Garoua, chacun des deux candidats programme son meeting à la même heure dans l’après-midi. Issa Tchiroma et ses partisans battent campagne au lieu-dit « Carrefour 8 », dans le deuxième arrondissement de la ville. Bello Bouba et sa horde de fidèles choisissent la place des fêtes sis au quartier Roumdé-Adja, toujours dans le deuxième arrondissement. Ici tout comme là-bas, les deux candidats apparaissent à la fois stoïques et majestueux dans leurs meetings respectifs. Tchiroma, entouré de ses fidèles, déroule son programme et martèle ses convictions, tandis que Bello Bouba attire sa propre foule, enthousiaste et vibrante.

Les deux scènes se déroulent en parallèle, chacune éclairée par les projecteurs des médias et par les yeux curieux des populations. La rivalité, palpable, transforme les villes en mosaïques d’émotions contrastées : espoirs, regrets, applaudissements et soupirs se mêlent dans une chorégraphie imprévisible. « C’est comme si on avait voulu organiser un double spectacle dans une seule salle », confie sous anonymat un militant, moitié désabusé, moitié amusé. Ici tout comme là-bas, les places se remplissent, les estrades vibrent, les slogans se superposent, et la ville devient un théâtre à ciel ouvert. Le rendez-vous des ambitions devient alors un théâtre d’éclipses mutuelles, où chaque projecteur braqué sur l’un faisait disparaître l’autre dans l’ombre.

Jeu de miroirs et de stratégies

Dans celui-ci, les rumeurs circulent plus vite que les journalistes. Certains militants racontent que Tchiroma, fidèle à sa réputation de diplomate, aurait tendu une main ouverte, tandis que Bello Bouba, fidèle à sa prudence proverbiale, aurait répondu par un sourire poli et un geste vague. « Il nous a fait comprendre qu’il préférait marcher seul, avec sa caravane de fidèles », murmure un autre, sous couvert d’anonymat, tout en haussant les épaules. Le désespoir des intermédiaires a atteint son paroxysme avec l’intervention d’Ousmane Mey, envoyé spécialement pour convaincre Bello Bouba de céder sur certains points de la coalition.

La tentative tourne court et s’achève par une arrestation rocambolesque, juste quelques jours avant l’heure fatidique du meeting. « C’était un peu comme dans un roman policier, sauf que tout le monde connaissait les acteurs », commente, en souriant, un militant témoin de la scène. L’arrestation ne fait qu’alimenter les spéculations : certains y voient une preuve de l’inflexibilité de Bello Bouba, d’autres une manière subtile de rappeler les règles du jeu politique dans le Nord. La journée du 12 octobre, jour du vote, confirme cette tension : chacun des candidats accomplit son devoir citoyen dans son bastion respectif, entouré de partisans fidèles. Garoua vibre aux pas de Tchiroma, Baschéo chante aux cris de Bello Bouba.

Avis

Les militants anonymes, véritables témoins de cette épopée, n’hésitent pas à livrer leurs confidences avec humour et poésie. De nombreux témoignages traduisent un mélange d’espoir et de désillusion. Certains croyaient en la coalition, espéraient que le Grand Nord parlerait d’une seule voix. D’autres acceptent la logique des rivalités, conscientes que l’ambition et la fidélité aux bastions pèsent plus que la stratégie collective. Mais tous reconnaissent la beauté de ces moments : la puissance des urnes, la gravité des choix, l’énergie des rassemblements où les voix se mêlent aux chants et aux tambours, où la politique devient un poème incarné, parfois un poème qui ricane derrière son masque de sérieux.

« On se serait cru dans une pièce de théâtre où chaque acteur répète sa tirade sans jamais écouter l’autre », raconte un jeune cadre politique. « On riait de nous-mêmes, mais au fond, on pleurait pour la coalition qui ne viendrait jamais. » Les discussions nocturnes dans les quartiers évoquent les mêmes images : des négociations transformées en chassé-croisé, des espoirs suspendus à un fil, et un Ousmane Mey qui, par son arrestation, devient un personnage presque mythique de cette saga politique. Au-delà des anecdotes, l’échec de la coalition révèle les logiques complexes du pouvoir et des ambitions personnelles. Les deux candidats semblent incapables de dépasser un passé de rivalité entretenu par les calculs stratégiques et les influences multiples. Les élites, malgré leur rôle de médiateurs, se heurtent à la muraille de l’ego et de la méfiance. « On voulait que la raison triomphe », souffle un observateur, « mais c’est le théâtre des ambitions qui l’a emporté ».

Au vrai, malgré la mobilisation populaire en faveur de Tchiroma, certains acteurs politiques refusent de s’y ranger. Des cadres influents, des alliés traditionnels et des notables redoutant l’émergence d’un nouveau leader trop puissant, choisissent de maintenir leurs distances. Les réunions secrètes et les conciliabules dans les salons feutrés révèlent les tensions : « On ne peut pas simplement suivre le succès de Tchiroma, il faut protéger nos propres intérêts », murmure un conseiller influent, comme s’il expliquait une règle d’échec à des enfants turbulents. Dans les villages, des partisans hésitent, doutent de la stratégie collective et préfèrent rester fidèles à leurs clans, refusant de se fondre dans la vague d’enthousiasme autour de Tchiroma.

Pourtant, jusqu’au dernier moment, certains habitants continuaient à croire au miracle. Dans les ruelles de Maroua et sur les places de Garoua, l’espoir fragile se lisait dans les conversations. Fatoumata, marchande de fruits à Maroua, confie : « Je voulais vraiment croire que Tchiroma et Bello Bouba marcheraient ensemble. Ce serait bien pour le Nord. » Issa, jeune enseignant, se souvient : « On parlait d’alliance depuis des semaines… je pensais qu’ils laisseraient leurs rancunes de côté. » Aminata, infirmière à Garoua, ajoute : « Jusqu’au matin du 10 octobre, je me disais que les meetings allaient se rejoindre, que les rivières de la Bénoué ne seraient pas séparées. » Même Mamadou, chauffeur de taxi, avoue : « Je ne sais pas si la coalition a jamais existé… mais au fond de moi, je voulais croire que oui. » Et Hadidja, étudiante en droit, résume : « On espérait tous un miracle. Que ces deux-là puissent trouver un terrain commun.

Mais aujourd’hui, c’est clair, chacun trace sa route. »
Les experts politiques observent avec attention, entre optimisme prudent et crainte. Dr Souleyman, analyste électoral, commente : « Si les rivalités ne dénaturent pas le vote, le Grand Nord pourrait parler d’une seule voix. Mais chaque refus de se rallier à Tchiroma est un pas vers le regret. » Pour le sociologue Kader Fofana, « ces tensions reflètent un équilibre fragile entre tradition et ambition. Si la division l’emporte, les habitants risquent de pleurer non pas la victoire ou la défaite, mais l’occasion manquée d’une coalition symbolique. »

Dans les villages et quartiers, les habitants s’interrogent à voix haute : « On espère que nos rivalités locales ne pèseront pas sur les résultats… sinon, on aura des regrets amers », confie Mariam, vendeuse de tissus à Garoua. Et Moussa, jeune étudiant, ajoute avec un sourire triste : « On aurait pu rêver plus grand. Mais les hommes ont leurs ambitions, et les urnes ne pardonnent pas ».

À la fin, il reste ce mélange d’humour et de poésie qui accompagne chaque récit : la coalition n’a pas vu le jour, mais les histoires qu’elle a produites, les anecdotes des militants et les épisodes rocambolesques comme l’arrestation de Mey, offrent une chronique vivante d’un processus politique intense et humain. Et, dans cette mosaïque de tensions et d’espoirs, chacun peut sourire, réfléchir et peut-être rêver encore à une alliance possible, un jour, lorsque les étoiles s’aligneront enfin au-dessus du Nord du Cameroun.

Jean-René Meva’a Amougou, de retour de Garoua

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